20 mars 2016

Cette année, je plante un oranger des Osages

Posté par Paul dans la catégorie : Notre nature à nous; voyages sur la terre des arbres .

Lasdon_Arboretum_-_Maclura_pomifera_-_IMG_1420 Les belles journées ensoleillées de la mi-mars, même si elles ne sont pas très chaudes encore, ont le mérite de nous ramener au jardin. Je ne sais si ce changement d’activité sera bénéfique à mon dos vermoulu ou pas, mais mon esprit n’aspire qu’à cela en ce moment : lézarder au soleil, gratter la terre, semer et désherber, planter quelques nouveautés dans le mini arboretum… Flux et reflux saisonniers, rythme parfaitement naturel : notre organisme sort de la torpeur hivernale. L’un des premiers petits arbres que je vais planter cette année (je n’ai plus de place pour héberger des « seigneurs de la forêt ») est un oranger des Osages. Le trou est prêt, ce qui est meilleur signe pour un arbre que pour un humain !
J’ai observé à plusieurs reprises cet arbuste dans des parcs que nous avons visités et il me plait. J’aime bien aussi la sonorité de son nom. Je serai peut-être déçu par le côté « oranger ». L’arbre est ainsi appelé car ses fruits, de couleur verte, évoquent l’aspect des oranges, mais ils ne sont pas comestibles. Ils ne sont pas toxiques mais simplement peu plaisants à déguster (trop amers). Quant aux « Osages » (et non aux usages, bon ou mauvais), il a fallu que j’éclaire ma propre lanterne pour connaître l’origine du mot, et je vais vous renvoyer les quelques rayons de lumière qui me sont parvenus… Générosité quand tu nous tiens !

Osage_warrior « Osages » c’est le nom d’une tribu indienne d’Amérique du Nord. Ce n’est pas, bien sûr, le nom qu’eux-mêmes se donnaient puisqu’ils se nommaient Wah-zah-zhay, « enfants de l’eau du milieu ». Ce patronyme bizarre leur a sans doute été attribué par les trappeurs et coureurs des bois canadiens francophones. Ceux-ci ont transcrit les sons à leur manière, en prononçant « j » le « zh » qui ne correspondait à rien dans leur propre langage. Les Anglophones, quant à eux, disent « oh-sage ». Comme je souhaite œuvrer à l’accroissement de votre culture linguistique, je vous signale que le mot qui permet une salutation amicale est « howa ». Par contre, je n’ai pas réussi à traduire « Feuille Charbinoise » !
Le territoire des Osages se trouvait dans l’actuel état du Missouri. Une rivière, affluent du Mississipi, qui traverse cette région a reçu elle aussi le nom d’Osage. Rappelons, pour mémoire, que cette zone faisait partie de la Louisiane française et par conséquent de la Nouvelle France. La tribu des Osages, parente de celle des Sioux, Indiens des plaines, a mal supporté la « cohabitation » avec les nouveaux colons américains. Aux dernières nouvelles (relevées sur Wikipédia), en 1996, la langue osage n’était plus parlée que par 5 à 10 locuteurs, tous âgés de plus de 75 ans. Il y aurait, en 2015, 300 nouveaux apprenants, mais tous les locuteurs anciens ont disparu. Les effectifs de la tribu ne sont pas élevés non plus : on estime qu’à la fin du XIXème siècle il ne restait plus qu’un millier de survivants. La déportation vers l’Oklahoma, les persécutions, la maladie… avaient bien fait leur travail. Les recensements plus récents (1995) dénombrent environ 15 000 personnes se réclamant de cette ethnie, mais beaucoup sont des « sangs mêlés ». Ils vivent dans l’Oklahoma pour la plupart.

Maclura_pomifera2 Le rapport entre la tribu en question et l’arbre dont je vais vous parler ? Il est direct : l’Oranger des Osages avait deux usages essentiels. Les guerriers osages utilisaient le bois de l’oranger pour fabriquer leurs arcs et le jus des fruits comme teinture pour la peau et les vêtements. Le latex contenu dans le Maclura Pomifera (nom botanique) a en effet la particularité de virer jaune à la lumière. En raison de son premier usage, l’arbuste est parfois baptisé « bois d’arc », mais cette appellation prête à confusion car d’autres végétaux ont été nommés de la sorte. L’oranger des Osages est une plante dioïque. Ce terme signifie qu’il y a des arbres portant des fleurs femelles et d’autres, des fleurs mâles. Il faut donc deux arbres de genre différent côte à côte si l’on veut que les fleurs ne soient pas stériles. Cet oranger présente une autre particularité en ce qui concerne sa reproduction. La dissémination des graines n’est pas suffisante pour générer de nouvelles plantes : trop peu d’animaux apprécient l’amertume du fruit et beaucoup de graines sont perdues de ce fait. La présence de nombreuses épines sur les branches n’encourage pas non plus à la consommation ! Par contre, l’arbre se bouture assez facilement. Lorsqu’il est chargé de fruits, son tronc et ses rameaux se courbent jusqu’à toucher le sol… et s’enracinent, formant ainsi un nouveau plant. La propagation de l’arbre se fait souvent de cette façon là, même si la germination des graines reste possible elle aussi comme méthode de reproduction.

oranger-osages-inflorescence-femelle Cette plante singulière a été découverte par les Européens en 1673. Cette année là, deux explorateurs francophones, un père Jésuite, Jacques Marquette, et un Français du Canada, Louis Joliette, descendent le Mississipi. Ils sont à la recherche d’une voie navigable vers l’Ouest. Jacques Marquette dessine les premières esquisses de l’arbuste. Il observe les arcs longs (1,80 m) qui sont fabriqués à l’aide de son bois. Lors de l’expédition de Lewis et Clark en direction du Pacifique, deux botanistes, Dunbar et Hunter, transplantent les premiers spécimens du Maclura Pomifera dans un parc à Baltimore. Le nom de « Maclura » lui a été donné en hommage au géologue William Maclure. En 1806, un botaniste français, Victor Leroy, s’intéresse à l’oranger et procède à quelques semis expérimentaux. En 1823, il expédie quelques jeunes plants en Angleterre et en France. Dans un premier temps, l’arbuste n’intéresse que quelques collectionneurs. D’autres plants sont rapportés en 1832 par un autre botaniste, Alire Raffeneau-Delile. Celui-ci est nommé directeur du jardin des plantes de Montpellier. C’est l’un de ses collègues, Matthieu Bonafous, directeur du jardin royal de Turin, qui va rédiger un mémoire sur un nouvel usage possible du « Bois d’arc ». Le savant est à la recherche d’un arbre plus résistant que le mûrier blanc, pour nourrir les vers à soie. Or les deux arbres sont « cousins » et appartiennent à la même famille : les moracées. Le problème du mûrier blanc c’est qu’il ne supporte pas les coups de froid. La limite « Nord » de son aire de répartition est donc très au Sud ! L’hiver précédant les observations faites par Bonafous, les feuilles des mûriers blancs ont gelé à Turin, compromettant, par là même, l’élevage des jeunes vers nés au printemps. Bonafous, dans son mémoire, envisage de remplacer le mûrier par l’oranger, plus résistant aux basses températures (il supporte jusqu’à -20°). Le projet n’aboutit pas, pour des raisons que j’ignore. Le Maclura Pomifera conserve son rôle principalement décoratif dans les parcs et les jardins d’ornement. Son feuillage prend une très belle couleur jaune lorsque l’automne arrive.

220px-Bonafous,_Matthieu L’oranger des Osages, cet arbre qui aurait pu, selon Bonafous, intéresser les sériciculteurs,  est donc originaire d’Amérique du Nord, et plus particulièrement des états centraux des Etats Unis (Oklahoma, Arkansas, Texas, Missouri). Au cours de la deuxième moitié du XIXème siècle, les parcs se multiplient en Europe et il est introduit dans de nombreux pays de la zone tempérée. D’autres usages accessoires ont été découverts, notamment des propriétés médicinales. Il est réputé avoir une action contre les rhumatismes ; avoir un pouvoir désinfectant sur les blessures ; être un stimulant cardiaque… Mais comme il est relativement rare, il n’appartient pas aux « plantes essentielles » que l’on peut trouver dans la besace d’un phytothérapeute. A signaler, par ailleurs, que le bois fournit d’excellent piquets, quasiment imputrescibles. Les fruits ont quand même un usage domestique : ils peuvent servir de répulsif pour les cafards.

Osage_Orange On peut observer cet arbre de dimension modeste, dans de nombreux arboretums et jardins botaniques. Les spécimens plantés à Montpellier en 1832 sont toujours présents. Ils ne méritent plus le qualificatif d’arbuste d’ailleurs car si la croissance est lente, elle n’est pas négligeable puisque l’on connait des exemplaires qui ont atteint une quinzaine de mètres de hauteur. Les Parisiens peuvent en observer dans le parc des Buttes-Chaumont. Il est présent à l’arboretum des Barres dans le centre de la France (je crois bien d’ailleurs que c’est en voyant cet arbre-là que j’ai noté dans mon bloc-notes de voyage qu’il fallait que j’en plante un à la maison !). On en trouve beaucoup dans la périphérie de la ville d’Orange, le long des chemins ou dans des espaces verts… Je vous laisse jouer au chasseur de plantes rares ! Sur ces propos hautement culturels, il est grand temps que je vous quitte. Mon oranger vient d’être livré et je compte le planter rapidement pour favoriser ses chances de reprises. Je vais donc me mettre au boulot : encore un fichu trou à creuser et pas de contribuable pour le remblayer ! Comme me l’a dit un copain hier pour m’encourager : c’est un choix intéressant ton arbre : les fruits ne sont pas comestibles, il est bourré d’épines… tu pourras toujours te fabriquer un arc pour chasser le sanglier ! Dommage, je ne suis pas chasseur !

Documentation : parmi les diverses sources que j’ai utilisées, je tiens à mentionner un article solidement documenté rédigé par Jean-Claude Drouilhet en juillet 2004. Celui-ci conte, de manière plus détaillée que je ne l’ai fait, le voyage du Maclura d’Amérique en Europe. Les illustrations proviennent pour la plupart de Wikimédia Commons.

2 Comments so far...

la Mère Castor Says:

20 mars 2016 at 13:16.

Il me semble en avoir vu un à Poitiers et je me souviens que personne ne connaissait son nom, merci pour ces éclaircissements.

Paul Says:

20 mars 2016 at 17:37.

@ Mère Castor- j’espère que celui que j’ai planté va croître et embellir rapidement. Par contre, en rédigeant cette chronique, je me suis aperçu que je n’en avais commandé un… et qu’il va falloir rectifier le tir.

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