30 septembre 2016

Sur les routes de l’Aveyron (2)

Posté par Paul dans la catégorie : Carnets de voyage; Feuilles vertes; vieilles pierres .

Splendeur et déclin d’une ville médiévale : Peyrusse-le-roc

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Quand nous sommes arrivés à Peyrusse le roc, signalé comme site médiéval sur les cartes touristiques de l’Aveyron, je ne m’attendais vraiment pas à ce que nous allions trouver. La découverte de la richesse des lieux est très progressive. Les deux tours perchées au sommet d’un roc que l’on montre sur tous les dépliants touristiques, nous ne les avons vues ni depuis la route par laquelle nous sommes arrivés, ni depuis le parking où nous nous sommes garés. En fait, c’est relativement fréquent, ces grandes bâtisses qui ne se révèlent qu’au dernier moment, après un ultime virage de la route ou à travers les arbres grâce à une trouée. C’est le cas à Bonaguil, l’un de mes châteaux préférés : le magnifique bâtiment ne se voit que quelques centaines de mètres avant l’arrivée car il est situé au fond d’une vallée.

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En fait, pour apercevoir les ruines du premier château construit à Peyrusse, il faut d’abord traverser le village puis emprunter un chemin empierré qui descend dans la vallée. Le point de vue, magnifique, se dévoile au bout de quelques centaines de mètres de marche. À partir de là, on va de surprise en surprise. Avant de descendre vers les constructions les plus anciennes, on passe sous une jolie porte qui permet de franchir le mur d’enceinte et on débouche sur une grande esplanade. L’église du village est construite dans les écuries du château le plus récent dit château royal. Le donjon a été transformé en clocher. Les deux tours qui constituent l’icône du village se trouvent quelques centaines de mètres plus bas. Elles sont construites au sommet d’un impressionnant piton rocheux et l’accès est un peu scabreux. Les premières constructions remonteraient à l’épique carolingienne. On sait que Pépin le Bref assiégea la ville et s’en rendit maître en 767, après d’âpres combats. Le fait que Jules César ait parlé de la place semble par contre relever d’une simple légende.
En descendant dans le vallon, le chemin se faufile au milieu des ruines de ce qui a été, au Moyen-Âge, et plus tard à la Renaissance, une ville de plus de 3000 habitants.

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Les ruines les plus significatives apparaissent au détour du chemin : le beffroi, l’église Notre dame de Laval construite après la croisade des Albigeois, l’hôpital dit « hôpital des Anglais », la synagogue. L’église à elle seule est impressionnante même s’il ne reste que quelques colonnades et pans de murs : la nef mesure 40 m et comporte 12 chapelles latérales (autant que de « sponsors » !). Peu de traces des habitations qui ont été englouties dans la végétation. Leurs plus belles pierres ont été vendues après leur abandon.
N’ayant lu aucune documentation sur le site avant de l’explorer, nous ignorions que nous étions en train de parcourir les ruines d’une bourgade importante. Bref, nous nous sommes posé beaucoup de questions et la rencontre fortuite d’un membre passionné de l’association « Le Bastidou », élément constitutif de l’association nationale REMPART, nous a permis d’avoir un certain nombre de réponses. L’une de mes premières interrogations a concerné la taille de la ville : la population est estimée à trois ou quatre mille résidents au Moyen-Âge. Ma demande suivante concernait bien évidemment le pourquoi de l’ascension et du déclin de la cité. L’exposé de mon interlocuteur a été plus long et solidement documenté…

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Le long du ruisseau qui coule dans la vallée, l’Audierne, on trouve un gisement assez important de plomb argentifère. Ce minerai contient également une proportion importante d’antimoine. L’argent a la valeur que vous connaissez, mais le plomb obtenu après une séparation assez grossière était très apprécié aussi pour deux raisons : sa rigidité plus grande que celle du minerai habituel ; le fait qu’il ne s’oxydait pratiquement pas en raison des éléments associés présents dans sa composition. Le fait de ne pas savoir raffiner correctement permettait d’obtenir des alliages intéressants que l’on a mis parfois des siècles à recomposer. Le même phénomène s’est produit avec l’acier : toutes les épées de combat fabriquées au Moyen-Âge ou à la Renaissance ne se valaient pas. Les lames de Tolède par exemple étaient particulièrement réputées.

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Grâce à l’extraction de ce minerai et à sa transformation sur place, une ville importante s’est rapidement développée. Un quartier de mineurs s’est constitué le long de la rivière (il a été longtemps un faubourg de Peyrusse n’étant pas inclus dans l’enceinte qui a protégé la ville de la convoitise des pillards). De riches négociants ont accaparé les concessions et se sont installés dans des bâtiments de plus en plus conséquents. Des moulins se sont bâtis le long de la rivière pour utiliser l’énergie disponible sans limite. On a dénombré pas moins de sept galeries de mine le long de l’Audierne. Des artisans ont ouvert des ateliers, dans lesquels travaillaient de nombreux ouvriers et apprentis. Phénomène peu courant à cette époque de l’histoire, la ville est restée indépendante très longtemps, n’étant inféodée à aucune Seigneurie externe, n’étant gouvernée par aucun seigneur. Cette situation a résulté entre autres d’une charte de privilèges accordée par Charles V en février 1369. La ville était gouvernée par des consuls, représentant les familles les plus riches de la cité (jusqu’à 40 familles dans la période la plus faste). Qui sont ces consuls ? Ce sont pour la plupart de riches négociants, propriétaires des mines, des moulins et des ateliers de transformation. Ce sont eux qui habitent châteaux et maisons fortes. Il n’y avait pas moins de 6 notaires et un changeur de monnaie installés au cœur de la cité. Ces bourgeois aimaient le luxe et la sécurité : ils ont œuvré à l’embellissement de la cité et aménagé l’ensemble de manière à rationaliser le raffinage et le transport des marchandises. On sait par exemple qu’une voie empierrée, large de 4 m, en pente douce, permettait le transport du minerai concassé du fond de la vallée jusqu’aux voies de circulation situées sur le sommet de la colline. Le conseil de Peyrusse a financé les travaux de défense : construction de murailles élevées de plus en plus longues au fur et à mesure du développement des infrastructures à protéger ; entretien d’une milice importante et bien armée pour assurer la surveillance de l’ensemble (pas moins de 4 chevaliers et 187 hommes en arme). Pour les armes de qualité, ce n’était pas difficile : on les fabriquait sur place !

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De tout cela, il ne reste plus rien ou presque plus rien. Lorsque les gisements sont devenus plus difficiles à exploiter la cité a commencé à décliner, mais la cause principale de la désaffection est le changement de statut officiel. En 1719 elle a perdu son statut de bailliage et tout au long du XVIIIème siècle, le nombre d’habitants a chuté drastiquement. Nobles, bourgeois et notables déménagent dans des villes plus importantes où ils pourront trouver de nouveaux avantages matériels. Artisans et commerçants, privés de leurs plus riches clients, ne trouvent plus assez d’occasions de travail et font de même. Terminées les grandes réceptions et les cortèges de visiteurs officiels. Au XVIIIème, XIXème et au début du XXème, les maisons servent de carrière de pierre. Dès 1758 les consuls de la ville se plaignent du fait que certains monuments anciens, notamment l’église, soient pillés par certains habitants. La géographie politique de la région évolue. D’autres villes sont entrées en concurrence dès la Renaissance, comme la toute nouvelle bastide de Villefranche de Rouergue. Les rivalités ont été nombreuses. Au moment où une nouvelle organisation administrative s’est mise en place, à la création des préfectures et des sous-préfectures, les autorités ont longuement hésité avant de préférer Villefranche à Peyrusse… Cette décision a entériné le déclin de la ville.
Au cours des dernières décennies, divers travaux ont été entrepris pour essayer de sauver ce qui peut l’être encore.

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Pourquoi est-ce que je vous parle de Peyrusse et non de Conques ou d’autres lieux hautement touristiques comme Rocamadour ? Mes raisons sont diverses. Les sites que j’ai mentionnés n’ont pas besoin qu’on leur fasse de promotion et beaucoup d’informations circulent à leur sujet. Je crois surtout que les ruines m’inspirent, comme elles ont inspiré les Romantiques au XIXème siècle parce qu’elles laissent une plus grande place à l’imagination. Quand il ne reste d’une maison que le chambranle d’une porte ou le soubassement des murs, on peut la reconstituer dans son esprit ou sur le papier, en tenant compte de quelques vérités élémentaires, et il n’y aura point d’expert pour venir critiquer tel ou tel aspect de votre travail. L’imagination règne en maîtresse absolue et le décor lui fournit une trame. Pour peu que le lieu ne soit pas envahi par les touristes, on peut essayer de croire, un instant, qu’on a changé d’époque et qu’on évolue, invisible, au milieu de gens étranges et diversement costumés !
J’ai déjà ressenti une telle impression dans une autre cité disparue, proche de mon domicile : Quirieu… J’avais alors affirmé le caractère magique et romantique de l’endroit. Je n’en démords pas : Peyrusse m’a procuré le même ressenti.

Vous pouvez relire mon billet sur Quirieu au passage !

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