29 novembre 2017

Henri Terrenoire, libre penseur et jardiniste…

Posté par Paul dans la catégorie : Portraits d'artistes, de militantes et militants libertaires d'ici et d'ailleurs .

 Le personnage dont je vais vous parler aujourd’hui n’est ni un guérillero ni un grand théoricien de l’anarchisme. Il s’agit de l’un de ces nombreux militants qui ont œuvré, au quotidien, pour que leur idéal puisse un jour se concrétiser. Outre les nombreuses luttes dans lesquelles il s’est investi en tant que militant de la Libre Pensée et de la Fédération Anarchiste de l’Allier, Henri Terrenoire avait une passion : le jardinage et, plus particulièrement, la création de roses… En 2009, âgé de 87 ans, il obtint une nouvelle variété qu’il aimait beaucoup et qu’il souhaitait dédier à… Michel Ragon, un auteur qu’il appréciait pour la richesse de son œuvre. En résumé, un homme que je regrette de n’avoir pas connu car nous aurions sans doute trouvé quelques sujets de conversation communs !

C’est au cours de la deuxième guerre mondiale, alors qu’il était déporté en Allemagne, dans le cadre du STO, que Terrenoire s’intéressa aux idées libertaires. Les injustices et la barbarie dont il fut témoin le convainquirent du fait que lutter pour la paix et contre le militarisme était un devoir et que l’on ne pouvait se contenter de rester un simple spectateur de la folie des humains embrigadés. Une rencontre joua un rôle décisif dans son orientation politique, celle de Robert Favry, travailleur forcé, comme lui, mais aussi militant du mouvement des Auberges de Jeunesse, de la CGT et de la Fédération Anarchiste. Il faut croire que le discours de Favry fut particulièrement convaincant. A la Libération, Henri Terrenoire, sympathisant de gauche mais pas vraiment militant avant guerre, s’engagea à son tour dans différents mouvements. En 1945, il suivit les cours de l’école d’horticulture d’Angers et adhéra à la CGT. Pour terminer sa formation, il partit travailler en Suisse et devint un lecteur régulier du journal « Le Libertaire » que lui adressait son compagnon de déportation. En 1947, de retour dans son département de l’Allier, il devint membre du groupe local de la Fédération Anarchiste ainsi que de la Libre Pensée. De simple lecteur du « Libertaire », il devint collaborateur, puisqu’il fut correspondant régional de ce journal. Bien qu’il ait quitté l’école à quatorze ans avec en poche comme seul diplôme le Certificat d’Etudes, notre « jardiniste », comme il aimait se présenter, maniait aussi bien la plume que le sécateur.

 Le groupe anarchiste de Vichy était un groupe actif, fortement impliqué dans le fonctionnement de l’organisation. Une ambiance amicale régnait entre les militants et Henri Terrenoire se lia avec d’autres activistes comme Gabriel Auboire, Secrétaire départemental de la Libre Pensée, ou le couple François, Raymond et Suzette… Gabriel était un militant particulièrement engagé et qui s’était distingué par ses nombreux écrits dans la revue « Le Combat Syndicaliste » où il dénonçait l’alliance du cléricalisme avec le fascisme et le militarisme. C’est à sa demande qu’Aristide Lapeyre vint à deux reprises faire une conférence dans l’Allier, la première fois en 1937 pour parler de la Révolution en Espagne, puis la seconde en 1947 pour soutenir le mouvement libertaire en plein développement. C’est à cette occasion que Terrenoire le rencontra et sympathisa avec lui. Son engagement ne faiblissait pas et en 1956 il s’impliqua, avec le groupe de Vichy, à organiser la tenue du congrès de la Fédération Anarchiste. La même année il se lança aussi dans la mise en place d’une coopérative de consommation, Vichy Coop, à propos de laquelle il est malheureusement difficile de trouver des informations.

 En 1961, il fonde le Comité Départemental d’Action Laïque, ce qui témoigne de la persistance de son engagement anticlérical. Après les événements de mai 1968, un élan nouveau est donné au mouvement libertaire ; jeunes et anciens se rejoignent dans la lutte. Avec quelques compagnons, Henri Terrenoire crée l’Atelier Populaire qui va être l’un des supports de l’agitation post soixante huitarde dans l’Allier. Il participe à la publication du journal de contre information « Le Débrédinoir », qui paraît dans les années 70/80 (objet singulier que ce débrédinoir – car cela existe – je vous laisse faire quelques recherches iconographiques !). Le bulletin est tiré à trois cents exemplaires et diffusé sur Vichy et Moulins. On retrouve les animateurs de l’atelier et de la revue dans toutes les luttes en cours à l’époque. Henri Terrenoire est, par exemple, secrétaire au comité Larzac, même s’il ne participe pas à la grève de la faim parce qu’il a – explique-t-il – quatre enfants à nourrir et se doit de rester en forme. Il n’apprécie pas la prise de contrôle du groupe de la « Libre Pensée » par les Trotskistes et s’éloigne de cette organisation pour devenir président d’une autre, « l’association des Libres Penseurs de l’Allier ». Il prend la défense aussi d’un élu, Fernand Auberger, lorsque cet homme pourtant intègre est accusé par une cabale d’opposants politiques, d’avoir été un collaborateur. A cette occasion, Henri Terrenoire rédige un ouvrage intitulé « Fernand Auberger et la Résistance : mon devoir de mémoire ». Il connaissait bien l’action de ce militant socialiste, appartenant au mouvement de résistance le MUR. Sa présence pendant quelques temps dans l’administration du gouvernement de Vichy lui avait permis de protéger et de faire sortir de nombreux militants de Gauche, de toutes tendances, parmi lesquels Gabriel Auboire, ami anarchiste du jardinier libre penseur.

 L’autre passion de Terrenoire, c’est le jardinage, domaine dans lequel il possède une solide expérience. Des fraises des bois qu’il produit à Cusset pour la clientèle des hôtels de Vichy, à la pépinière de fruitiers qu’il installe par la suite à Bellerive, il ne cesse d’innover et de cultiver des variétés ou des plantes insolites. Il ne se contente pas de produire des plants ; il effectue aussi un travail de paysagiste et intervient dans les jardins publics et privés.

«A Cusset, je me suis surtout concentré sur les plants de fraisiers avant de déménager à Bellerive-sur-Allier, en raison du coût des locaux. Là, je fabriquais mes propres plants, plantes vivaces, arbres, arbustes fruitiers et d’ornement. J’avais des centaines de clients qui venaient chez moi, me demandaient des conseils. […] Mais, à cette époque, les marchands de graines et de bulbes ont commencé à vendre des plantes. Et puis ce fut l’avènement des magasins spécialisés. […] Heureusement, je ne vivais pas uniquement de mes ventes. Je concevais également des jardins pour mes clients, partout, même dans le Midi. J’ai été obligé d’engager des ouvriers pour qu’ils me donnent un coup de pouce. Je regrette de ne pas avoir été photographe, j’aurai voulu conserver des souvenirs. Beaucoup de mes jardins étaient vraiment très beaux.»

Il invente le terme de « jardiniste » qui lui permet de mieux définir son activité professionnelle : l’art de cultiver, certes, mais aussi de mettre en valeur le produit de ses pépinières. Voici la définition qu’il donne de ce « mot-valise » : « Le jardiniste dessine et conçoit les jardins, il ne se contente pas de les cultiver ». Il s’intéresse aux arbres fruitiers nains mais surtout aux roses de collection. Dans l’hommage qui lui est rendu dans l’un des bulletins de la ville de Bellerive, il est dit qu’il a créé au moins une quinzaine de variétés de roses originales parmi lesquelles « Libre Pensée », « Emile Guillaumin » ou « Alice Auberger ». Il est l’inventeur du « pêchelier », hybride du pêcher et de l’amandier et son nom a été donné à une variété de cornouiller : « Terrenoire Gold ». Il conçoit son jardin comme un laboratoire pour le futur… Henri Terrenoire a le regard tourné vers cet avenir qu’il espère meilleur : sans haine, sans violence, sans armée, sans religion. « Le passé peut être étudié, analysé, mais pour moi il ne doit pas être un idéal auquel on s’attache. Passéiste, non, c’est l’avenir qui m’intéresse. »

 Henry Terrenoire est mort le 20 avril 2016 à Randan, dans le Puy de Dôme. Il a légué toutes ses archives au groupe libertaire de l’Allier. Trois bibliothèques fort sympathiques ont été crées en partie grâce à cette documentation. Elles portent son nom et sont situées en trois lieux alternatifs du département : « Le Maquisard » à Doyet ; au local du « Lokara », lieu alternatif du Mazerier, près de Gannat ;  aux « Peuplas » (que je n’ai pas réussi à localiser !). La bibliothèque Henri Terrenoire possède un site internet avec de nombreuses archives en ligne, entre autres sur les luttes en cours ou passées, dans l’Allier. J’y ai déniché la « une » du journal « La Torche », journal anarchiste publié dans ce département au début du siècle dernier qui illustre ce dernier paragraphe, histoire de montrer que l’agitation anarchiste n’y était pas quelque chose de nouveau…

Bravo pour le travail réalisé dans ces bibliothèques : la mémoire de notre ami des roses et du drapeau noir n’est pas totalement éteinte !

Sources documentaires principales : bulletin de l’Association des Libres Penseurs de France – Dictionnaire Maitron des anarchistes – Gallica, site de la BNF (d’où provient la dernière illustration).

One Comment so far...

Phphi Says:

29 novembre 2017 at 12:45.

Merci Paul!
Je me régale à lire tes biographies et à découvrir toutes ces personnalités.

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