5 juin 2018

Taboula boum boum tchac !

Posté par Paul dans la catégorie : Delirium tremens; les histoires d'Oncle Paul .

Fabliau gesticulé

Roland, le patron de l’auberge du « vieux pressoir », aurait-il pété un boulon ? En tout cas, cette expression étrange, c’est la réponse plutôt sibylline qu’il offre à tous les visiteurs qui lui posent une question, lui demandent son point de vue ou susurrent à son oreille un quelconque lieu commun posé comme vérité.

Genre le discours du petit jeune, la semaine dernière : « Notre Dame des Landes on s’en souviendra ; dans quelques années le nom du ministre de l’intérieur qui a géré de façon sinistre cette belle affaire aura disparu dans les poubelles de l’histoire. » – « Taboula boum boum tchac tchac tchac ! » rétorque l’illuminé derrière son comptoir en essuyant les verres. Je suis sûr que le psy de service dirait que le nombre de « tchac » a son importance et permettrait d’exprimer une forme d’approbation ou de réprobation. Roland, il laisse entendre ce qu’il pense mais sans trop se mouiller. C’est fou ce que c’est savant un psy…

On ne sait pas s’il lui reste tous ses boulons au patron, mais il a gravement reçu quand même. L’un de ses potes dit qu’il s’exprime comme cela parce qu’il en a marre d’écouter les plaintes des uns, les pets vocaux des autres. Les onomatopées sortant de la bouche de Roland constituent en fait une forme de langage primitif. « Allez vous faire foutre ! » mais avec des nuances d’assentiment ou de réprobation. « Boum » dominant : « allez vous faire foutre bande de connards de fachos ! ». Tchac majoritaire : « allez vous faire foutre, remuez vous, y’a des gars qui se battent et ils ont besoin de vous ; see you later ».

Tout pareil pour la grève de la SNCF. « Taboula boum boum boum tchac » serait la réponse qui suivrait immanquablement l’affirmation selon laquelle « la majorité de l’opinion publique est hostile aux cheminots, favorable au Macron, et enthousiaste à l’idée d’une réforme ». Faut dire que Roland la « cheuneusseufeu » il connaît. Il y a bossé quarante ans avant de reprendre le gourbi de son vieux.

Tony, le sociologue expert en piliers de comptoir défaillants s’est livré à une petite étude de texte. « Boum » ça craint, « Tchac » c’est plutôt sympa. Reste l’onomatopée « Taboula » qui – pour l’instant – est un mystère complet. N’est pas expert le premier venu, faut faire des études et du travail de terrain pour valider ses diplômes. Tony le sait et pour mener à bien l’enquête qu’il dirige pour le journal « soixante millions de défoncés », il s’installe au comptoir dès l’ouverture, et tient sa permanence pendant huit heures sans débander.

Ce matin, quand Martinet, l’ex-mercenaire à la retraite qui vient là juste parce qu’il habite à côté, est rentré en rigolant parce que « les tireurs d’élite de Tsahal avaient flingué plus de cinquante bougnouls », il a eu droit à tellement de « boum, boum, boum… », qu’il a fini par s’extirper du tripot sans obtenir la moindre goutte de blanc. Comme c’est pas une lumière et encore moins un expert, il n’a rien compris au sitcom et il est allé direct au café des platanes retrouver ses potes « de souche » (comprendre, issus de la même souche de connerie). Il faut dire que le patron d’ici il soutient plutôt les minorités en difficulté. Avant qu’il entame sa crise de mutisme partiel, il faut voir les bordées de jurons qu’il balançait à son téléviseur lorsque le pitre de service aux infos lui montrait un véhicule blindé bleu marine écrasant des salades pour défoncer une bergerie en bois. Quand il voyait la gueule d’Edouard, il se réfugiait aux toilettes et la moindre apparition de Trump provoquait des crises d’aérophagie monstrueuses…

Des réfugiés il n’y en a pas trop dans le quartier. Mais chez Roland, une main tendue ne reste jamais vide et il y a eu bien des matins où le bénef de la caisse a servi à beurrer des tartines et à remplir des tasses de chocolats chauds gratuits. Du temps de son père, déjà, quand l’Italien qui jouait de l’accordéon sur le banc du coin avait froid, il savait qu’il pouvait venir trôner au comptoir et qu’il aurait autant à boire qu’il avait soif. Roland a perpétué la tradition ; seul le public a changé. Les Maghrébins, les Maliens, les Roms ont remplacé les Espingoins et les Ritals, mais le cœur de Roland est resté aussi chaleureux.

Malgré le défilé de cons, il a conservé le bistrot ouvert, « pour faire du lien » disait-il, entre Riton qui venait fanfaronner après son dernier tournoi de pétanques, la Marguerite qui dépensait sa pension à nourrir les chats du quartier et Momo, l’étudiant thésard depuis dix ans, racontant ses amours envolées. La fierté du tenancier c’est que jamais un keuf en uniforme n’a osé mettre les pieds chez lui. Le Roland, il est comme Brassens et tant d’autres, les uniformes ça lui donne plutôt des crises d’allergie !

D’après Tony, c’est bientôt fini tout cela. Lui voit un sens plutôt mélo à la situation présente. La crise onomatopéenne du pourvoyeur d’anisette, c’est le chant du cygne du bistrot. Le patron en a marre du foutoir qui s’est installé dans le quartier. La République en Marche n’a jamais franchi le pas de la porte, pas plus que les divers rassemblements franchouillards de Droite, mais la proportion de jeanfoutres augmente dangereusement. Roland a beau dire que chez lui « on ne fait pas de politique », le clan des admirateurs du Président des Riches a réussi à s’infiltrer et il a du mal à supporter. L’autre jour, il a failli craquer grave. Y’a un gars, un commercial apparemment, qui a commencé à bavoter au comptoir sur le fait que le Macron, lui au moins, il faisait ce qu’il avait promis… Le patron a posé les verres qu’il était en train d’essuyer ; il s’est emparé de la télécommande du téléviseur et a basculé le son à fond. La nénette qui chantait une ânerie à la mode a bénéficié d’une puissance acoustique pire que dans une betterave partie. Le baveux, lui, il a sifflé son demi et il est sorti la queue basse.

D’après Mlle Irma et son demi de bière en cristal, le Roland, il serait sur le point de prendre une seconde retraite et de bazarder tout le matos. Le pas de porte, en tout cas, il n’aura pas de mal à le céder ; il paraît que ça fait dix ans qu’il est assiégé par les demandes des enseignes à la mode qui lorgnent sur cet emplacement stratégique à l’entrée du quartier piétonnier. Le bistrot du « Vieux pressoir » remplacé par un fast food ou un magasin de pulls snobs… quelle misère ! Il n’est pas prêt à servir de pourvoyeur à une boîte qui, selon lui, n’est bonne qu’à voler la terre aux habitants de Patagonie…

Une solution peut-être – Tony en a parlé avec Momo – trouver une équipe sympa pour reprendre l’estanco et en faire une buvette, une boulangerie ou un café-librairie sympa. Sûr que le patron y serait favorable et arrangerait côté finances. Mais deux paires de bras ça ne suffit pas pour un projet pareil ; faudrait mobiliser dans le quartier et faire de l’établissement une zone à défendre prioritaire ! Il y a du pain sur la planche. Momo est motivé mais il n’a pas vraiment le sens de l’organisation alors il va lui falloir du soutien ! Aux dernières nouvelles Tony aurait parlé du projet à Roland. La réponse serait : « Taboula boum boum tchac tchac tchac tchac tchac » !

NDLR : Roland, Tony, Momo, Irma et toute la bande souhaitant conserver l’anonymat, vous comprendrez aisément que leur portrait n’illustre pas cette chronique épique.

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