12 octobre 2020

La météo fait grise mine ? Eh bien je lis… et c’est pas triste !

Posté par Paul dans la catégorie : Des livres et moi; l'alambic culturel .

On voulait de la pluie, eh bien on en a eu de la pluie et on en a encore. Ça se passe plutôt bien pour l’instant car, par chance, il y a la quantité mais pas la violence de la tempête et les dégâts qui l’accompagnent. Un temps parfait pour faire quelques coupes sévères dans la pile de livres que j’ai accumulés depuis la fin du confinement. Quand le temps devient maussade et que les jours raccourcissent, une envie frénétique de lecture me saisit en effet. Je vous propose quelques notes sur les découvertes romanesques de ces dernières semaines… J’espère que nous pourrons partager ainsi quelques bons moments…

 « L’enfant céleste » (de Maud Simonnot, éditions de l’observatoire) est l’un des titres de la « rentrée littéraire » de Septembre. Noyé au milieu de quelques centaines d’autres volumes, j’espère qu’il aura l’occasion de se faire une place dans la vitrine des libraires, car c’est vraiment un excellent roman ; une très belle page de vie, riche et sensible, que nous conte Maud Simonnot. le style très simple mais aussi très poétique de l’auteure a fait mouche : dès les premiers chapitres, j’ai été ému par ses personnages. Elle dresse leur portrait avec beaucoup de finesse et de nuances. Mary, la quarantaine, écorchée vive suite à une rupture sentimentale, est aussi la maman sensible et attentive de Celian, un jeune ado de quinze ans qui a bien du mal à s’adapter à une institution scolaire peu respectueuse des différences. Mary propose à son fils une démarche de rupture par rapport à ce quotidien submergé par la grisaille. Tous deux sont passionnés d’astronomie et de nature sauvage. Un lieu original va servir de refuge à leur détresse passagère : l’île de Ven, dans la mer Baltique, au Nord du Danemark, où l’astronome Tycho Brahe a séjourné de longues années et construit un observatoire astronomique. Ce voyage est l’occasion pour l’auteure de nous faire rêver avec de somptueuses descriptions. J’ai découvert avec ravissement les paysages sauvages de l’île de Ven. Le climat serait sans doute un peu rude pour moi, mais je l’ajouterais volontiers à la liste des lieux que j’aimerais découvrir. L’aventure est humaine aussi grâce aux habitants du lieu qui accueillent les deux voyageurs en perdition avec chaleur.
J’ai trouvé le scenario, mêlant astronomie, écologie, poésie, psychologie…, particulièrement intrigant et attachant. Le récit alterne la description des émotions ressenties par les personnages, avec des récits historiques et anecdotiques ; aucune lourdeur Au fil des pages, on découvre ainsi l’histoire de ce grand astronome qu’était Tycho Brahe. L’image du savant est quelque peu égratignée au passage, l’auteure n’omettant pas de décrire les aspects de la personnalité tyrannique du maître de l’Île. D’autres figures historiques sont d’ailleurs évoquées au fil des rencontres avec les résidents de l’île : Shakespeare, le mal connu, ou Copernic, le disciple de Tycho Brahe…  Les « second rôles » aussi sont pittoresques et ont leur importance dans l’histoire.
Le lien presque magique existant entre la mère et l’enfant reste cependant l’un des traits marquants de ce récit plutôt singulier. Dans sa tête, Mary navigue entre les paysages du Morvan de son enfance, et ceux de l’île où elle séjourne ; mais aussi entre ses problèmes existentiels et ceux de cet enfant qu’elle chérit avant tout. La manière de conclure le récit m’a également plu. Bref un premier coup de coeur pour cet automne 2020, un livre que je rangerai sans doute non loin de « la calanque de l’aviateur » tant aimé l’année passée. Il s’agit là d’un premier roman et je suis à l’affût des prochains écrits de Maud Simonnot…

  « Les trois sœurs qui faisaient danser les exilés » (d’Aurélia Cassigneul-Ojeda, éditions « ateliers Henry Dougier »), publié en Juin 2020, est une autre pépite de cette fin d’été. Un nouveau roman sur le thème de la « Retirada », l’exil vers la France, en 1939, des réfugiés espagnols après la victoire de Franco (mais une façon originale de l’aborder !). Que ce triste épisode de notre histoire nationale revienne sur le devant de la scène est une bonne chose, ne serait-ce parce que le problème des migrants, volontaires ou non, est à nouveau sur le devant de la scène, et que la gestion de ce genre de problèmes par nos gouvernants n’a guère évolué après quatre-vingt années. L’approche de l’auteure est particulière, puisque le premier personnage dont nous faisons la connaissance est lui-même un exilé italien, ayant quitté, avec ses parents, pour des raisons économiques, sa région natale des Pouilles et sa grand-mère tant aimée. Jeune enfant, il a dû suivre ses parents qui se sont installés dans la région d’Agen et ont fondé une activité de pépinière.
Blessé par une séparation mal vécue avec son épouse, Gabriele, notre héros, décide de changer de cadre de vie et de s’installer au Cap Cerbère pour y refaire sa vie. Son attention est très vite attirée par une grande demeure abandonnée dont il va se porter acquéreur. Dans cette maison ont vécu trois sœurs espagnoles, Flora, Rosa et Begonia, ainsi que leur père, artiste peintre fortuné, d’autres exilés également, mais pour des raisons sentimentales (décès de la mère). Au croisement de toutes ces routes d’exil, va naître une histoire riche en péripéties et en belles rencontres. La grande bâtisse va devenir un lieu d’animation plus ou moins confidentiel au cœur de la bourgade.
Au moment de la Retirada, les trois sœurs vont s’impliquer dans l’accueil, plus ou moins officiel, de réfugiés politiques, avant d’ouvrir leurs portes, quelques mois plus tard, aux Résistants traqués par la Milice, et aux Juifs menacés de déportation. La grande habileté de l’auteure est de nous faire changer de période historique, et de narrateur, en nous tenant par la main avec un fil conducteur suffisamment solide, la maison et ses occupantes, pour que l’on ne soit pas perdu. Je ne vous conterai pas le détail des péripéties qui réservent plus d’une surprise. Je vous dirai seulement que le livre se termine par de belles réflexions sur le problème de l’exil, et ce quels que soient les motifs qui l’ont provoqué. Un beau talent de plume qui donne envie de découvrir d’autres ouvrages d’Aurélia Cassigneul-Ojeda. Vous pouvez regarder cette présentation vidéo du livre par l’auteure pour compléter mon propos.

 « On dirait que l’aube n’arrivera jamais » (de Paolo Rumiz, éditions Arthaud). Un journal de bord pendant le confinement et la pandémie. Un de plus me direz-vous, mais l’originalité est au rendez-vous. Amusant de lire le récit du « surplace » d’un écrivain habitué à voyager. Cette fois, on ne navigue pas sur le Pô, on ne traverse pas les Apennins en Topolino, on ne suit pas le chemin des éléphants d’Hannibal dans les Alpes. Le décor est limité à une vue sur la mer Adriatique depuis un balcon au cœur de la ville historique de Trieste. Dans l’un de ses ouvrages précédents contant un séjour dans un phare en haute mer, l’auteur s’était déjà livré à l’exercice de l’écriture confinée. Dans ce dernier essai, la problématique est nettement plus large puisqu’au fil des pages Paolo Rumiz partage avec le lecteur ses réflexions sur la vie politique italienne et européenne, le désastre écologique et notre singulier comportement d’autruche face au désastre annoncé et largement documenté.
Je n’avais guère envie de lire de « journal de confinement ». je pensais d’ailleurs qu’il y aurait une floppée de publications sur ce thème. J’ai suivi « à chaud » les écrits journaliers de David Dufresne en Avril-Mai ; je crois que mon intérêt à ce genre d’évocation s’était arrêté là. Mais j’apprécie Paolo Rumiz, en particulier sa « légende des montagnes qui naviguent » et j’ai voulu savoir de quelle manière cet auteur allait aborder la question. Le résultat est intéressant, plus passionnant même. Rumiz est un auteur surprenant et sa philosophie m’interpelle. Ce que je trouve original en particulier c’est que cet homme « de droite » comme il se qualifie lui-même, a une analyse particulièrement fine des problèmes de notre société, et des conclusions loin de satisfaire à la doxa libérale habituelle. Je n’ignore pas que la classification arbitraire droite/gauche est souvent caricaturale… Mes vieux réflexes politiques jouent cependant leur rôle et me donnent souvent quelques a priori… La raison pour laquelle Rumiz se proclame parfois « de droite » me fait sourire aussi : il s’appuie sur le mépris qu’il a pour le carriérisme et la nullité des politiciens de Gauche de son pays. D’accord, mais de là à soutenir le camp dit « d’en face », il y a un pas que, personnellement, je ne franchirais pas, à moins qu’il ne s’agisse d’une part de provocation.
Bref, je vous invite à vous plonger dans les insomnies et les longues nuits de Rumiz : une lecture qui ne « prend pas la tête » mais permet quand même des réflexions profondes !

 « Le vent se lève » (de Lucienne Cluytens et Chantal Lebecq, éditeur Gilles Guyon) – Allez, va pour un p’tit coup de nostalgie. Mai 68, je n’ai pas connu, mais les années qui ont suivi, j’avais les deux pieds dans la marmite. La contestation et les manifs sur Lille, je n’ai pas connu, mon territoire étant plutôt à l’opposé géographique… Quant aux manifs antinucléaires, Bugey, Malville, entre autres, j’y ai mis non seulement les pieds, mais les mains également. Par chance, ce sont tous les événements de cette période « soixante-huitarde » et surtout « post-soixante-huitarde » qu’évoquent Lucienne Cluytens et Chantal Lebecq, dans un livre bien documenté, avec une plume alerte de surcroit. La structure du récit m’a un peu surpris au départ : les deux auteures ont travaillé de façon plutôt indépendante. Lucienne Cluytens se cache derrière des personnages fictifs et raconte le quotidien d’une adolescente et de son frère, leur découverte du milieu contestataire, les luttes antimilitaristes et antinucléaires, les premières revendications féministes ; Chantal Lebecq écrit à la première personne et s’appuie largement sur ses souvenirs personnels pour évoquer un parcours de vie au quotidien pour le moins agité. Ce choix d’écriture en alternance permet de couvrir un plus large spectre d’événements, chacun sachant que peu de militantes et de militants ont eu l’occasion de participer aux événements foisonnants de l’époque, du combat antinucléaire à Fessenheim, à la lutte antimilitariste sur le plateau du Larzac… En toile de fond, la musique, omniprésente, tous styles confondus : des artistes à l’origine du renouveau de la folk musique en France, des chanteurs engagés, des musiciens de Jazz… L’occasion de se rappeler qu’à l’époque Maxime Leforestier passait pour un chanteur engagé ! J’avoue que bon nombre de ces références musicales m’ont rappelé quantité de bons vieux souvenirs. Après tout, il n’est pas interdit de se faire du bien, même si la nostalgie l’emporte parfois !
Mais ce livre n’est pas réservé qu’aux vieux barbons… Pour ceux qui ont la chance (eh oui, ça présente certains avantages) d’être plus jeune, cela permet de comprendre un peu mieux l’ambiance de l’époque, et les grommellements frustrés des anciens combattants face à certaines revendications et combats actuels. Comme une impression de déjà vu, un sentiment de mouvement qui fait du surplace au lieu de suivre son cours naturel. Greta Thunberg n’aurait peut-être pas tant déparé que cela à côté de Pierre Fournier ou de Jean Pignero. Ils l’auraient certainement aidée à donner une tournure moins naïve à certaines de ses déclarations. Des revues comme « La Gueule ouverte », « Survivre et vivre », et même « Actuel », méritent une place dans l’histoire de la contestation sociale. Enfin, bref, un chouette bouquin qui m’a fait passer de bons moments et qui a pas mal remué le couteau dans des plaies pourtant bien cicatrisées ! C’était l’époque où l’on se déplaçait en stop, un sac de couchage et un sac à dos à l’épaule… Comme me l’a fait remarquer un copain, aller en Grèce en dormant en cabine plutôt que sur le pont supérieur du ferry, c’est pas mal non plus ! Je remercie les deux écrivaines pour leur travail de mémoire ; cela m’a évité de trop me creuser les méninges ! Mon seul reproche : quelques longueurs dans les évocations de souvenirs familiaux, mais cela participe aussi à la « couleur » de l’ensemble du récit.

On se retrouve dans quelques temps, pour un billet sur le mode « je râle, je râle, mais cela ne fait guère avancer le schmilblick semble-t-il ! »

One Comment so far...

Zoë Lucider Says:

15 octobre 2020 at 23:56.

Un peu de nostalgie ne nuit pas. C’est un bonbon un peu amer mais sucré aussi. Ah! La Grèce en stop, j’ai fait et il est vrai que je ne fais plus de stop, mais je prend des autostoppeurs devenus rares il faut dire. Merci pour cette revue. mais ce n’est pas gentil d’ajouter des ouvrages sur ma pile. Quant à la pluie, elle ne cesse plus par ici.

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