11 mars 2022

Où vais-je ranger ce livre dans ma bibliothèque ?

Posté par Paul dans la catégorie : Des livres et moi .

où je trouve un prétexte pour vous parler de mes lectures du moment.

 Je termine un recueil de nouvelles écrites par Leïla Sebbar au sujet d’Isabelle Eberhardt. A peine ai-je lu les dernières pages de la postface rédigée par Manon Paillot que mon esprit vagabonde. Quelle place ce livre singulier doit-il occuper dans mes rayonnages ? Sans doute aux côtés des différents ouvrages que je possède déjà de la main même de cette aventurière . J’ai l’habitude de regrouper les ouvrages ayant trait à un auteur•re avec les livres rédigés par cette personne. Je trouve ce système assez rationnel, même s’il conduit à scinder parfois l’œuvre de quelqu’un qui est à la fois auteur de fictions mais aussi de biographies. Je ne possède pas d’autres livres de Leïla Sebbar, dont l’œuvre est plutôt abondante ; si je mets un terme à cette lacune il est probable que les nouvelles acquisitions figureront au voisinage des écrits d’Isabelle Eberhardt. On crée ainsi un pont entre deux auteurs, ce genre de lien constituant souvent l’originalité du classement d’une bibliothèque privée – système ayant le défaut d’être un peu hermétique aux yeux d’un visiteur adepte d’autres cheminements. Ce faisant je me suis identifié aux observations fournies par un écrivain turc, Enis Batur, dans son ouvrage « d’une bibliothèque l’autre » évoquant ce problème du classement qui constitue souvent la clé permettant de se repérer dans une collection étrangère à la sienne propre.

Ce dernier livre relève chez moi d’un autre catégorie littéraire, celle des gens qui écrivent non seulement sur les auteurs et les autrices mais aussi sur les livres eux-mêmes. A la maison, « d’une bibliothèque l’autre » a rejoint par exemple les divers écrits d’Alberto Manguel parmi lesquels « la bibliothèque, la nuit » ou « je remballe ma bibliothèque ». Sur la même étagère figure ce petit bijou qu’est « l’infini dans un roseau » d’Irène Vallejo, lu cet hiver et grandement apprécié pour la richesse et la variété avec laquelle l’autrice a abordé le thème un peu indigeste de l’histoire du livre. Comme le fait remarquer Alberto Manguel à plusieurs reprises, certains écrivains ne sont pas aussi simples à ordonner que cela. Je pense aux écrivains voyageurs, aux naturalistes et aux romanciers qui frisent ces différents domaines… De Ella Maillart à Pete Fromm en passant par Mario Rigoni Stern , Paolo Rumiz ou Paolo Cognetti, allez donc poser un quelconque repère ou inventer une cousinade plutôt improbable ! Les catégories « inventées » par les éditeurs sont parfois saugrenues et certains arrangements, conformes à la nomenclature classique, donnent lieu à des mariages plutôt discordants. Etant suisses tout deux, ayant eu l’occasion de se côtoyer, je veux bien célébrer les épousailles sur les rayonnages d’Ella Maillart et de Nicolas Bouvier… L’un ayant lu les écrits de l’autre et s’y référant parfois, nul problème à relier Mario Rigoni Stern et Paolo Cognetti… Pour ranger à leur côté les écrits d’André Bûcher et ses descriptions attachantes de la Drôme provençale, c’est un peu moins évident. Je l’ai fait quand même car cela me satisfaisait et c’est finalement le critère essentiel.

Dans ma bibliothèque le classement des ouvrages rédigés par les écrivains voyageurs et par ceux que les anglo-saxons regroupent dans la catégorie « nature writing » et que je préfère baptiser « naturalistes », a été complexe car ces deux domaines s’interpénètrent facilement. Le voyageur qui s’attarde plus sur les cactus croisés au bord du chemin que sur le mode de vie des autochtones rencontrés au fil de son parcours est-il plus écologiste qu’ethnologue ? Dans l’ œuvre du célèbrissime Edward Abbey, « désert solitaire » est plutôt contemplatif alors que son « gang de la clé à molette » s’apparente au roman d’aventure et au pamphlet d’écologie radicale… Peuvent-ils voisiner avec la « route de la soie » parcourue par Bernard Olivier ? Je peine à les imaginer ensemble.

J’apprécie beaucoup les livres de Joël Cornuault. On peut, sans difficulté les classer dans la rubrique littérature de la bibliothèque. Quoique… Nombre de ses écrits sont plus des essais que de la fiction. Biographe d’Elysée Reclus, plusieurs de ses ouvrages rejoignent – selon un principe énoncé plus haut – le rayon consacré à mon géographe anarchiste préféré. D’autres recueils touchent à des domaines divers : philosophie, éloge de la marche ou portraits de paysages, éthique… Difficile de ranger dans les écrivains naturalistes quelqu’un qui a consacré une partie de son travail d’écrivain à parler de son enfance parisienne et à décrire les arrondissements de Paris qu’il chérit avec une profonde nostalgie… De plus cet ennemi acharné du bibliothécaire méticuleux a le don de mélanger les genres dans beaucoup de recueils. Je viens d’en acquérir trois qui manquaient à ma collection auprès des éditions Plein Chant et j’ai longuement réfléchi à la question de leur voisinage dans les rayons. Il n’est en effet pas question pour moi de disséminer les livres d’un auteur (ayant de surcroit une forte personnalité) aux quatre coins de ma bibliothèque. Du coup, je lui ai conservé la place de choix qu’il occupait auprès du singulier Kenneth White dont l’œuvre oscille entre géographie, poésie, récit de voyage et réflexions sur notre vie quotidienne. Un bel appariement à mes yeux (que d’autres ne manqueront pas de contester). Non loin d’eux figurent des célébrités comme David Henri Thoreau ou John Muir.

 Il ne faut pas croire que la littérature générale échappe à ce genre de problématique… Quel intérêt de ranger Henry Poulaille aux côtés de Jacques Poulin ? Le concept de littérature prolétarienne me plaisant beaucoup, il est évident que très rapidement Poulaille a rejoint Guillaumin, Guilloux et Massé, dans le même secteur de la bibliothèque. Quant à Poulin et à son amour des chats, de la ville de Québec et des écrivains torturés, il pourrait aller côté « voyages », côté « écrivains et écrivaines canadiennes »… Je lui ai finalement créé sa petite niche douillette : celle des écrivains que j’affectionne. J’ai fait ça l’année où j’ai décidé de créer mon « hit-parade » personnel… qui a vite abouti au grand n’importe quoi, certains ouvrages ne restant là qu’un temps limité si l’on voulait se contenter d’un nombre réduit de titres comme on le fait dans tout bon hit-parade. Quant à dire si je préférais « le vieux chagrin » à la « calanque de l’aviateur » d’Annabelle Combes, cela a failli me donner la migraine. Je préfère le concept de « livres à emporter sur une île déserte », choisi par Babelio, le réseau social des lecteurs et des lectrices fondus de lecture. Sauf qu’il y a une limite drastique du nombre de bouquins à emporter et qu’il me faudrait une malle en ce qui me concerne…

J’adore en tout cas avoir à résoudre ce genre de casse-tête que représente l’ordonnancement d’une étagère de livres. Pas besoin d’en posséder des milliers pour que le problème se pose. Cela constitue l’un des charmes de la lecture, cette activité chronophage. Dans le rayon Nature et Voyages, les ouvrages sont en tout cas moins poussiéreux qu’ailleurs car les déménagements sont fréquents et les mariages pas toujours durables… La situation est heureusement plus calme dans le secteur « romans policiers » dont l’organisation est relativement plus simple… Quoique… Les rapports entre Peter Tremayne et Dona Leon ne coulent pas de source. Quant à Régis Messac, son œuvre écrite sur une trop brève durée navigue entre la SF (un chef d’œuvre comme Quinzinzinzili), les essais (« à bas le latin ») et le roman policier à l’américaine (le detective novel comme il le catégorifie lui même). Même réflexion que pour Joël Cornuault : une forte personnalité dont les différents écrits ne peuvent supporter d’être écartelés entre des rayonnages trop distants !

 Je fais fi, en tout cas, de l’ordonnancement alphabétique qui simplifierait sans doute la recherche d’ouvrages, mais verrait se trouver côte à côte un renard et un ragondin qui n’ont guère d’affinités ! Après quelques années de réflexion et de classement, une toile d’araignée finit par relier l’ensemble des ouvrages que nous avons la joie de posséder. Il y a bien sûr quelques déchirures, de nombreux chaînons n’ayant pas encore été découverts… Mais j’ai bon espoir de constituer un dédale de chemins littéraires pouvant être parcourus d’une multitude de manières, fonction des choix que l’on effectue lorsque des aiguillages apparaissent. Mon amour des réseaux de trains miniatures transposé dans un tout autre domaine en quelque sorte.

One Comment so far...

Zoë Lucider Says:

15 mars 2022 at 21:47.

Ah! le casse tête du rangement des livres! Comme je viens de re-déménager (enfin il y a quelques mois maintenant ) j’ai complètement réduit à néant mon classement antérieur. Du coup, les livres stationnent en piles et attendent sagement leur sort. Le livre est un objet très patient…
Ravie de vous retrouver cher Paul

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