24 janvier 2008

Le syndicalisme enseignant… il y a un siècle…

Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire; Un long combat pour la liberté et les droits .

Une page d’histoire en relation avec l’actualité toute chaude.
Les mouvements de grève de la fonction publique sont en général largement suivis dans l’Education Nationale, dans le premier degré en particulier, bien que le nombre d’enseignant(e)s syndiqué(es) diminue régulièrement chaque année. Il faut dire que la tradition de lutte dans les écoles est ancienne. Certains de nos gouvernants, comme notre bien aimé Ministre, Monsieur Darcos, regrettent sans doute l’âge d’or où le syndicalisme était interdit à tous les fonctionnaires et où le mot grève était souvent associé au mot révocation. Les ancêtres de nos dirigeants actuels rêvaient déjà une école sans histoire, avec des serviteurs zélés, entièrement dévoués au service de la Nation et de son gouvernement.

greve1.jpg En 1887, le gouvernement français réagit très violemment et oppose son veto à la tentative de création, dans le département de la Seine, d’un syndicat des instituteurs et des institutrices de France. Voici ce que déclare Eugène Spüller, Ministre de l’Instruction Publique, des Beaux Arts et des Cultes (à cette époque là au moins, les portefeuilles de Ministre avaient de la gueule !) à ce sujet : « l’autonomie des fonctionnaires […] s’appelle l’anarchie et l’autonomie des sociétés de fonctionnaires cela s’appelle l’anarchie organisée. Permettra-t-on aux instituteurs publics laïcs de se donner des chefs en dehors de leurs chefs naturels, des statuts en dehors de ceux de l’Université, de prendre des engagements autres que ceux que l’Etat reconnaît ? »

Il faut attendre la poussée républicaine des années 1898-1900 pour que se constituent enfin des « Amicales » d’instituteurs et d’institutrices, présidées par le ministre de l’Instruction qui veut encourager la formation pédagogique et une très vague « défense des intérêts professionnels ». Ces Amicales servent très vite de berceau au syndicalisme enseignant naissant : les instituteurs socialistes ou anarchistes (il y en a !) y débattent de la façon de s’organiser. Le laïcisme, le pacifisme et l’anticléricalisme occupent une place essentielle dans leur réflexion. En 1903, les militants les plus radicaux créent une association « l’Emancipation de l’Instituteur » qui devient très vite la « Fédération Nationale des Instituteurs et Institutrices de France » (les plus modérés resteront au sein des Amicales). Le nouveau syndicat réclame par exemple le droit pour les instituteurs d’adhérer aux Bourses du Travail et souhaite s’affilier à la toute puissante CGT : “C’est au milieu des syndicats ouvriers que nous prendrons connaissance des besoins intellectuels et moraux du peuple”

greve2.jpg L’accouchement se fait dans la douleur : la répression s’abat sur le syndicat naissant et les poursuites contre ses dirigeants se multiplient. Clémenceau, surnommé « le premier flic de France », mène la danse et fait révoquer Marius Nègre, le secrétaire de la F.N.S.I. Il faut dire que la situation sociale en 1907 est plutôt tendue : le gouvernement est confronté, depuis des mois, aux mouvements de grève des postiers, des vignerons languedociens, des dockers de Nantes, des ouvriers de Fougères… mouvements qui sont tous vigoureusement réprimés. On n’hésite pas à envoyer la troupe et à tirer sur les manifestants ou sur les piquets de grève. En 1912, le nouveau syndicat est carrément interdit en raison de ses « menées antimilitaristes ». Entre-temps, l’adhésion à la CGT est devenue effective et l’audience de la F.N.S.I. s’est accrue. Il ne faut cependant pas se faire d’illusion : seuls 3000 instituteurs et institutrices environ, sur les 120 000 que compte la France avant 1914, sont affiliés. L’ombre de la Grande Guerre se profile à l’horizon et les « hussards noirs de la République » (c’est ainsi que l’on désigne les instituteurs dans certains écrits) doivent choisir leur camp. L’isolement des instituteurs explique le fait qu’il y ait pas ou peu de mouvements de grève, en ce début de siècle, pour protester contre les conditions de travail, pourtant misérables, qui sont les leurs.

greve3.jpg Une préoccupation morale importante les empêche aussi de débrayer : assurer leur rôle d’éducateur, chaque jour, en chaque instant, auprès des enfants du peuple. Voici un extrait d’un texte publié dans la revue « Emancipation de l’Instituteur », en juillet 1907, en pleine période de troubles sociaux : « La place des enfants n’est pas au milieu des mouvements ouvriers ; ils constituent un danger et pour les uns et pour les autres ; dans une période agitée comme celle-là, notre devoir impérieux serait d’être à notre poste, gardant les enfants pour les soustraire aux dangers de la rue, délivrant ainsi nos camarades d’une idée obsédante, l’insécurité de leurs enfants ». On voit que la problématique a évolué aujourd’hui : la police ne tire plus à balles réelles sur les manifestants. Les projectiles les plus dangereux qui menacent les grévistes sont les « boulets rouges » des journalistes aux ordres. Les dégâts dans l’opinion publique sont d’un autre ordre.

Pour conclure ce bref historique syndical, je vous dirai que la revue « l’Ecole Emancipée », fondée en 1910, deviendra très vite le point de ralliement de tous les syndicalistes engagés auparavant dans la F.N.S.I. et qui refusent, contrairement aux Amicales, l’Union Sacrée contre les « Boches ». Le tri entre les « bons » et les « méchants » étant ainsi effectué, le gouvernement va pouvoir concentrer ses manœuvres de répression sur les militants pacifistes de l’Ecole Emancipée. Après guerre, en 1920, la Fédération des Amicales prendra la dénomination de Syndicat National des Instituteurs, mais ceci est une autre histoire !

greve4.jpg NDLR : la première photo est un portrait du fameux Eugène Spüller. Il avait bien une tête à ne pas aimer les syndicalistes. L’origine du cliché est inconnue. La seconde illustration représente un cours du soir à la Bourse du Travail de Toulouse. De nombreux instituteurs s’investissaient dans l’alphabétisation de leurs camarades ouvriers, ou dans leur formation politique. Le cliché provient du site « increvables anarchistes ». La photo 3 correspond à la grève des vignerons languedociens. Marcelin Albert était l’un des leaders du mouvement. Il monta à Paris pour rencontrer Clémenceau et se fit « rouler dans la farine » par le politicien rompu à toutes les manœuvres. Je ne connais pas l’origine du cliché. La dernière illustration est là juste pour me (vous) faire plaisir et terminer sur une note d’optimisme. Elle provient du site legrandsoir.info

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