7 octobre 2009

L’Eucalyptus, arme de reboisement massif…

Posté par Paul dans la catégorie : voyages sur la terre des arbres .

Du bon et du mauvais usage de certains arbres

eucalyptus-presquile-de-giens Arbre singulier que cet eucalyptus, avec son tronc longiligne perdant régulièrement de grandes plaques d’écorce, et ses feuilles qui pendent vers le sol. On en trouve quelques beaux spécimens dans le sud de la France, notamment dans le Var. Le premier exemplaire acclimaté en France l’a été en effet dans le jardin botanique de Toulon. Il faut dire que l’Eucalyptus, originaire de l’Australie, n’apprécie guère les hivers prolongés et trop froids. Par contre il est planté massivement dans certains pays du sud de l’Europe et notamment le Portugal. Lors de notre voyage récent nous nous en sommes aperçus à de multiples reprises. L’arbre possède deux qualités, fort intéressantes à l’origine, mais qui ont entrainé de sérieux problèmes suite à l’engouement dont il bénéficie auprès de sociétés s’occupant de reboisement sur les cinq continents, sans autre discernement que la recherche de profits conséquents et rapides. Je vais détailler un peu tout cela dans les paragraphes suivants. Je tenais à préciser, dans ce préambule, que les critiques à venir ne portent pas sur l’arbre lui-même mais sur l’emploi à contre-temps qui en est fait, bien sûr.

fruits-et-fleurs-eucalyptus L’eucalyptus est un géant de la forêt et il entre en concurrence directe avec le séquoïa pour le titre d’arbre le plus élevé de la planète. Certains spécimens australiens dépassent les 110 mètres de hauteur. Les peupliers qui poussent à côté de chez vous auraient l’air de nains si l’on pouvait les observer côte à côte ! C’est d’ailleurs ce gigantisme qui a attiré l’œil du botaniste anglais Sir Joseph Banks, lors de la première expédition du capitaine Cook (1768-1771). Cette découverte marqua presque autant les savants embarqués sur le navire que celle du kangourou, cet étrange animal qui se déplaçait d’une façon particulièrement originale. Banks baptisa l’arbre « gommier bleu », puis la famille fut baptisée Eucalyptus par le botaniste français L’Héritier de Brutelle en 1788. Le nom, d’origine grecque, signifie « bien couvert » et fait allusion à la forme particulière du fruit , ressemblant à une petite boîte fermée par un couvercle qui ne se soulève que lorsque les graines sont arrivées à maturité. Si j’emploie le terme de « famille » c’est parce que l’on s’est rapidement rendu compte qu’il existait de nombreuses variétés d’Eucalyptus dans la flore australienne. Le record de hauteur serait détenu par une espèce qui atteint 155 m de haut… L’Eucalyptus le plus répandu à l’heure actuelle est l’Eucalyptus Globulus. Ses graines ont été rapportées par le botaniste Baudin et plantées à Toulon en 1802. Dès la fin du XIXème siècle, notre arbre migrateur avait commencé la conquête des différents continents, dans les pays où il pouvait s’acclimater : Chili, Inde, Etats Unis (Californie)… Il faut dire que deux de ses particularités le rendent particulièrement intéressant : une croissance rapide et malgré tout un bois relativement dur ; un besoin en eau important lui permet d’assainir les terrains lorsqu’on le plante en zone marécageuse. Cette dernière faculté s’est avérée précieuse pour les colons qui s’installaient en Californie au temps de la ruée vers l’or, car il leur a permis de lutter efficacement contre la malaria. Dans les pays qui possédaient des terrains adaptés, la poussée rapide des troncs a permis de compenser, en partie, le manque de bois de chauffage ou de bois d’œuvre. Cela a été le cas en Ethiopie pendant un temps, par exemple.

bresil-protestation-indiens Le revers de la médaille – car toutes les médailles ont un revers ! – c’est que l’Eucalyptus possède le défaut majeur correspondant à sa qualité principale : l’avidité en eau, jusqu’à 300 l par jour pour un seul individu. Ses racines, d’une longueur impressionnante, drainent le sol sur des distances considérables. Du coup, lorsqu’il est planté en zone peu humide et en monoculture intensive, il exerce une pression terrible sur l’environnement. Il élimine ses concurrents, assèche cours d’eau et nappes phréatiques, et épuise les sols instables. Ce problème se pose dans de nombreux pays, en Amérique latine (Brésil), en Afrique (Cameroun, Ethiopie…). Un travail de reboisement intensif a été effectué par certaines sociétés multinationales, en vue de produire un énorme tonnage de bois pour la pâte à papier. Au Brésil par exemple, les Indiens Guarani luttent depuis des années contre le géant papetier Aracruz, qui tend à multiplier les plantations à haut rendement. Les Eucalyptus sont alors installés en lieu et place de la forêt d’origine, préalablement rasée, ou sur des prairies destinées au pâturage. Les Indiens ont baptisé l’Eucalyptus « arbre de la soif ». Les immenses plantations constituent de véritables déserts verts : la biodiversité, tant végétale qu’animale, s’appauvrit considérablement. Une fois terminés un ou plusieurs cycles de culture, les terres sont lessivées, et peu aptes à recevoir d’autres plantations. Au Cameroun, les militants de l’ODHPE (Organisation de défense des droits de l’homme et de protection de l’environnement) se battent pour qu’une nouvelle politique de reboisement soit mise en œuvre, conduite, non pas dans l’intérêt des multinationales, mais dans celui des populations locales… Un rapport intéressant à lire peut être téléchargé sur le site de l’organisation. Les Australiens poursuivent le même type de politique, remplaçant peu à peu les forêts à faible rendement par des plantations uniformes de centaines de milliers d’eucalyptus. Certes, l’Eucalyptus constituait à l’origine le peuplement majeur de la forêt australienne, mais avec plus de 600 variétés différentes, adaptées aux différents écosystèmes.

eucalyptus-bois-de-fil Le bois des variétés hybrides, sélectionnées pour la culture intensive et utilisées un peu partout dans le monde,  est d’une qualité nettement inférieure à celle des arbres ayant poussé dans des conditions plus naturelles et dans leur continent d’origine. Il est parfois utilisé pour réaliser du mobilier de jardin, mais il n’est pas imputrescible et se dégrade rapidement. Mieux vaut employer, pour ce type de fabrication, du châtaignier, du mélèze ou du sapin de Douglas, « bien de chez nous ! » Il est des cas pourtant où la plantation d’Eucalyptus pourrait être intéressante, sous réserve que ce type de reboisement se fasse sur de petites superficies, du type mangrove, en association avec d’autres espèces végétales, après avoir vérifié que d’autres essences ne sont pas mieux adaptées à l’écosystème local. Les qualités de l’arbre sont indéniables lorsqu’il est utilisé à bon escient. Outre le bois, l’Eucalyptus produit en effet une huile essentielle de qualité, l’eucalyptol, utilisée pour combattre les maladies infectieuses de l’appareil respiratoire. Son efficacité est grande quand il s’agit de lutter contre la bronchite. On peut l’employer aussi en cas d’épidémie de grippe (eh eh !) et dans plusieurs formes d’asthme. La récolte et la vente de cette huile essentielle peut donc constituer un revenu d’appoint intéressant pour les populations indigènes, à partir du moment où elles ont le contrôle des plantations. Cela ne signifie pas pour autant qu’il soit intelligent de chercher à planter des Eucalyptus dans le sud du Sahara comme certains organismes envisagent de le faire ces dernières années ! Les auteurs de ces programmes n’ont sans doute pas fumé que des cigarettes réalisées avec les feuilles de cet arbre !

eucalyptus-en-galicie Selon la fiche d’observation établie par le groupe écologiste « les amis de la terre », la culture de l’Eucalyptus, dans les plantations, n’est pas faite de façon durable et respectueuse de l’environnement végétal, animal et humain. Même le label FSC (dont j’ai déjà parlé), dans le cas de ce bois, ne peut être considéré comme accordé de façon sérieuse. Il est regrettable de voir que dans des pays comme le Portugal ou l’Espagne, soumis depuis quelques années à des étés particulièrement secs et chauds, une place essentielle soit accordée à l’Eucalyptus dans les programmes de reboisement. Les conséquences, surtout quand il y a monoculture, risquent d’êtres désastreuses pour les ressources en eau. Il ne faudrait pas que la forêt portugaise, par exemple, comportant actuellement une grande diversité d’espèces (différentes sortes de chênes, et de Pins notamment) se trouve appauvrie par une opération de reboisement gérée uniquement dans des perspectives à court terme. Les interventions sont certes nécessaires, en particulier à cause des dégâts dus aux incendies de ces dernières années, mais elles peuvent être conduites de façon durable, en essayant de concilier les impératifs de rentabilité et de biodiversité. En France, pour les raisons climatiques évoquées plus haut, le problème ne se pose pas encore, mais des programmes concernant la revalorisation de certains massifs boisés à l’aide de l’Eucalyptus sont à l’étude dans plusieurs départements du Sud (Aude notamment). Pour l’instant, le « gommier » est considéré avant tout comme un arbre ornemental, et il faut reconnaître que, du fait de son port singulier et de la couleur de son feuillage, il ne manque pas de charme. L’écorce aussi est intéressante : elle se détache en longues plaques rougeâtres qui s’étalent sur le sol : difficile de se déplacer silencieusement sur un tel tapis ! L’ambiance d’une forêt d’Eucalyptus est très particulière : les branches sont pendantes et les feuilles verticales ; du coup, la lumière du soleil passe avec facilité et l’ombre est très légère. Certaines plantes n’apprécient pas du tout ces conditions de luminosité. Présentes dans le sous bois lorsqu’il y a dominante d’autres feuillus, elles disparaissent lorsque le gommier bleu prend le dessus et que l’eau se fait rare.

didjeridoo-traditionnel Si vous vous prenez de passion pour cet arbre, sachez qu’il n’apprécie pas beaucoup le vent, et qu’il ne supporte guère les hivers en altitude ou le Nord de la Loire. Si votre sol lui convient, l’arbre poussera bien droit et relativement vite. En une quarantaine d’années, vous pouvez obtenir un fût de cinquante centimètres de diamètre. Belle performance si l’on compare avec le chêne ; celui-ci mettra presque un siècle pour arriver à cette dimension. La qualité finale du bois varie beaucoup avec les espèces. Il peut être parfois très dur. Pierre Lieutaghi dans son « livre des arbres, arbustes et arbrisseaux », dit que l’on utilisa, à titre expérimental, des blocs de ce bois pour paver les rues d’un quartier de Londres. De façon générale, c’est une essence difficile à travailler, ayant tendance à se crevasser et difficile à fendre à cause d’un fil souvent peu rectiligne. Pierre Lieutaghi indique également que les baleiniers de Hobart, en Tasmanie, dont la coque était construite en Eucalyptus, étaient considérés comme les meilleurs du Pacifique (mais il s’agissait de bois poussant dans leur contrée d’origine et de façon naturelle). Pour votre culture personnelle, sachez aussi que le Didjeridoo, instrument de musique traditionnel des aborigènes est réalisé dans un tronc d’Eucalyptus naturellement creusé par… les termites ! L’arbre joue un rôle considérable dans la mythologie des aborigènes. Outre les usages qu’ils ont du bois, ils témoignent un profond respect au géant de leurs forêts. En 1962, c’est sur une écorce  d’Eucalyptus que les aborigènes du peuple Yolgnu rédigèrent une pétition présentée au gouvernement fédéral. Ce texte demandait que le gouvernement reconnaisse que les terres australiennes étaient occupées et appartenaient au peuple aborigène depuis des temps immémoriaux. Je ne vous dis pas l’accueil que reçut cette revendication. Il a fallu bien des années encore pour que les droits des autochtones soient reconnus. Je terminerai ce billet arboricole sur une note gourmande, en vous rappelant que la feuille d’Eucalyptus est le met préféré d’un animal bien sympathique : le koala. Cette chronique lui est dédiée.

NDLRIllustrations – La photo n°1 prise en mai dernier dans la presqu’île de Giens, permet d’observer l’écorce bien particulière de l’Eucalyptus et le contraste avec celle du Pin maritime. La photo n°2 présente les fleurs de l’Eucalyptus (Wikipedia). La photo n°3, provenant du site de « frères des hommes » témoigne de la révolte des Indiens face à la politique de plantation du géant papetier Aracruz. La photo n°4 permet d’apprécier la veine du bois. La photo n°5 (Wikipedia) montre une plantation d’Eucalyptus en Galicie (Espagne). La photo n°5 représente un joueur de didjeridoo. On termine la série par un bien joli koala !

koala-pro-eucalyptus

8 Comments so far...

Clopin Says:

8 octobre 2009 at 21:05.

Bon, allez, je te le dis, t’as confondu la Galice (Espagne) avec la Galicie (Pologne) ! Tout ça pour te prouver que je lis tes chroniques avec attention !
A bientôt !

Marie-Laure Says:

8 octobre 2009 at 21:06.

Très bel article, très intéressant! Tout comme à Madagascar, la déforestation est dramatique!

Paul Says:

8 octobre 2009 at 21:21.

Bon c’est vrai, quand on passe de l’accordéon à l’ordinateur, le doigté n’est pas le même… V’là ce que c’est que d’avoir les doigts qui crochent ! Galice, bien sûr ! On l’a traversée en partie pour aller au Portugal. Bon v’là une tournée pour ma pomme… Bravo Clopin : attention 10/10 !

Grhum Says:

9 octobre 2009 at 22:12.

Très bel article en effet.
Et sans oublier l’odeur si caractéristique, que qui me permet souvent de détecter les eucalyptus avant de les voir…

Doinar Says:

23 juillet 2010 at 21:09.

Les plantations d’eucalyptus sont une calamité pour la biodiversité.Dans le monde occidental aucun insecte autochtone ne peut se nourrir de son bois ni de ses feuilles ou de son terreau. En dessous aucune plante ne peut pousser et de ce fait toute la végétation originale et la faune qui s’y rapporte est condamnée à disparaître. Les insectes forment le 3/4 des espèces animales sur terre et sont à la base de la plupart des chaînes alimentaires. Une forêt d’eucalyptus c’est une immense pharmacie qui sent le poison.

Breton Says:

22 août 2010 at 11:32.

j’ai 2 eucalyptus dont les graines proviennent du chili et que j’ai planté dans mon jardin voilà maintenant presque 14 ans, et c’est la première année qu’il donne des fruits, j’en suis très fière car j’habite en finistère, tout au bout de la fin de la terre… et il croit en parfaite harmonie avec les autres plantations de mon jardin, et les oiseaux adorent venir s’y percher…alors Doinar je ne comprend pas votre colère pour cet arbre magnifique.

David Says:

5 mars 2012 at 22:31.

Merci pour cet article.
J’ai passé un peu de temps en Galice cet hiver où j’ai été très impressionné par la profusion d’eucalyptus. Et bien qu’il ait plu presque en permanence je ne suis qu’à moitié étonné d’apprendre qu’il a maintenant des incendies.
Effectivement le sol, sous les plantations, était un désert.

« plantations d’eucalyptus sont une calamité  » Je suppose que la colère vient de la quantité, de la monoculture. Deux arbres seuls sont certainent magnifiques, ce sont effectivement de beaux arbres. D’ailleurs dans le terme « biodiversité » il y a « diversité ».

Paul Says:

6 mars 2012 at 08:38.

@ David – Merci pour cette intervention qui a le mérite de m’obliger à apporter effectivement une petite précision. Je suis tout à fait d’accord avec vous, il y a de magnifiques spécimens dans la famille des Eucalyptus. Ce n’est absolument pas l’arbre que je remets en cause mais sa monoculture dont nous avons vu trop d’exemples au Portugal également. Dans notre mini arboretum nous avons d’ailleurs planté un eucalyptus au magnifique feuillage vert bleu. Il a un peu souffert cet hiver avec les gelées que nous avons eues mais je pense qu’il va repartir sans problème !

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