17 août 2010

Ali Sarko et les quarante fripouilles

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive la Politique .

Conte plus orienté qu’oriental

Oncle Paul s’assit sur une grosse pierre, s’assura que son auditoire était bien rassemblé autour de lui, et commença à raconter l’un de ces contes politiques qui avaient sa faveur lorsqu’il n’était pas trop bien luné ou qu’il se sentait démuni face à la bêtise du monde environnant. La nuit tombait et l’on n’entendait que quelques aboiements dans le lointain ainsi que les hululements d’un oiseau de nuit attendant l’heure de pointer au chômage. Le moment était propice ; il débuta son récit, à voix basse, sans doute histoire d’obliger ses auditeurs à tendre un peu l’oreille, à moins que ce ne soit pour éviter qu’un politicien en maraude ne se sente outragé dans ses fondements tricolores…

« Je vais vous conter l’histoire d’un chef de bande redoutable qui se nommait Ali Sarko… Ali Sarko était à la tête d’une troupe de malfrats aussi discrets qu’efficaces pour piquer les ronds là où il n’y en avait guère. Le comportement d’Ali Sarko exaspérait bien des citoyens de ce lointain pays d’Orient, nommé la Francosie, mais le chef de la bande savait qu’il pouvait compter sur une certaine impunité : bon nombre de citoyens naïfs, se méprenant sur ses intentions, lui avaient demandé de veiller sur leurs économies et de défendre leurs intérêts. Il prenait également bien soin à ce que ses hommes de main ne se servent jamais dans les coffres-forts de ses amis les plus riches. Ali n’était pas fou, il savait bien que s’il pouvait dormir bien au chaud dans les draps moelleux de sa caverne élyséenne et rêver paisiblement à sa prestigieuse collection de montres bracelets, il le devait à ses copains fortunés et à personne d’autre. Tant qu’il n’empiétait pas sur leurs privilèges, ces puissants personnages se contentaient de lui verser de temps à autre quelques gratifications : voyage en yacht privé, soirées mondaines ruineuses et autres bricoles. De toute façon, il était tranquille : ses potes contrôlaient la plupart des moyens d’information du pays, surtout ceux qui étaient grandement appréciés par les petites gens. Comme ils tenaient les cordons de la bourse de bon nombre de journaux, radios et autres chaînes de télévision, il savait que les exactions que sa bande commettait au détriment des honnêtes citoyens, ne faisaient jamais la une des informations. Quand un groupe de braves gens se faisait détrousser, qu’on leur ôtait les derniers avantages sociaux dont ils jouissaient, la rumeur publique contrôlée traitait les victimes de privilégiés, ou disait que c’était la faute à pas de chance, la faute à d’autres bandes de voleurs, la faute aux Roms et à tous les basanés, mais jamais la faute à la bande de fripouilles que dirigeait Ali Sarko. Quand les petites gens se plaignaient, Ali Sarko compatissait si bien à leur malheur que personne ne pouvait croire qu’il en était vraiment responsable. En d’autres temps et d’autres lieux, il eut été très apprécié comme acteur de théâtre, spécialement dans les seconds rôles des comédies de boulevard.

Ali Sarko menait donc une vie paisible, trop occupé à compter et à recompter les pièces d’argent de ses coffres, ainsi qu’à préparer ses somptueux déplacements dans les royaumes voisins, pour s’occuper des plaintes des miséreux et de l’indignation populaire qui croissait tranquillement mais sûrement. Il était tellement pris par ses différents hobbys et par la contemplation béate de l’image grandiose que lui renvoyait son miroir déformant personnel, qu’il n’avait pas vraiment le temps de contrôler ce que faisaient ses fripouilles entre deux rapines. Ce manque de sérieux dans la surveillance du comportement de la bande provoqua les premiers dysfonctionnements de son système mafieux parfaitement rôdé… Certains de ses hommes de main les plus connus se targuèrent d’adopter le même mode de vie que leur chef, et d’étaler leur fortune aux yeux des plus humbles, distribuant avec largesse à leurs propres amis des biens qu’ils avaient prélevés peu de temps auparavant dans le trésor commun à la population : sa richesse nationale. D’autres décidèrent de vivre sur un grand pied et d’imiter le chef. Lorsqu’ils se déplaçaient dans de lointaines cités ils empruntaient les moyens de transports les plus onéreux, dormaient dans des palaces luxueux et se pavanaient dans les réceptions en fumant moult cigares ou en buvant sans retenue des alcools de grand prix. Malgré le contrôle relativement strict des moyens d’information, le récit de ces frasques finit par faire grand bruit et nombre de manants privés d’emploi, bouclant leurs mois avec la plus grande difficulté, apprirent que les fripouilles de la bande à Sarko dépensaient en une journée de voyage autant qu’eux en gagnaient en mettant bout à bout des années et des années de travail. Tout ce remue ménage finit par agacer les grandes oreilles du chef, peu habituées à toutes ces criailleries populacières.

Ali Sarko se trouva donc dans l’obligation d’interrompre le classement de sa collection de montres et demanda conseil au miroir qui l’agrandissait et au conseilcom qui lui fournissait, de façon aléatoire, des indications sur la façon de tromper le bon peuple. Il lut et relut à plusieurs reprises le petit livre « que sais-je » sur l’art de gouverner, changea les réglages de son conseilcom et demanda à son miroir de se fixer sur l’image « sourire mielleux ». Une fois ces préambules terminés il convoqua les moins manchots des fripouilles de sa bande et leur donna quelques conseils sur l’art de ne pas se faire remarquer. Il téléphona ensuite à ses copains qui contrôlaient l’info et leur demanda de mettre en route le plan de com « sécurité » qu’il avait déjà utilisé à plusieurs reprises. Il suffisait que l’on réactive la trouille chez les braves gens que ses fripouilles dévalisaient et le tour serait joué : l’attention serait détournée vers d’autres bandes de malfrats, des petits joueurs ceux-là, si possible des miséreux ou des basanés, et personne ne songerait plus à s’inquiéter du trou sans fond creusé dans la caisse commune qui contenait la richesse nationale. Ses chargés de mission « propagande » scrutèrent l’actualité à la loupe et trouvèrent rapidement les quelques bûches bien sèches dont ils avaient besoin pour allumer un bon brasier bien sécurisant. Quelques faits divers sans intérêt furent montés en épingle : on jeta l’opprobre sur un épicier qui menait grand train de vie avec ses multiples femmes ; on flingua un braqueur de casinos ; quelques personnes âgées congelèrent leurs concubins ou concubines pendant que des mères indignes s’acharnaient sur leurs nourrissons ; une gendarmerie fut attaquée sauvagement, à l’ancienne, avec haches et barres de fer comme au bon vieux temps… L’affaire était dans le sac : les chargés de mission « bourrage de mou » purent commencer à officier. On piqua les fesses de quelques pittbulls en uniforme parés d’initiales prestigieuses pour qu’ils s’énervent et mordent quelques jeunes bien échauffés. Une fois chauffée à blanc par les pandores et les journaleux, la « racaille » se mit, comme prévu, à l’ouvrage : quelques barbecues avec les voitures des parents, voisins ou amis, deux ou trois immolations d’abribus. Il ne restait plus qu’à arroser la sauce avec une bonne dose de lacrymogènes. Sous les applaudissements des pandores gradés, on convoqua quelques hélicoptères dûment munis de projecteurs, pour faciliter le travail de la presse et veiller à ce que la population stresse suffisamment. On n’allait quand même pas faire appel à toutes ces vedettes sans qu’il y ait un minimum de claque prévue à l’entracte.

Ali Sarko tempêta dans un verre d’eau. Il se garda bien de verser le précieux liquide sur le brasier histoire de ne pas l’éteindre trop vite. Il vitupéra, moralisa et légiféra puis enfila son maillot de bain et partit se bronzer loin de tous ces lieux de perdition où il risquait, ni plus ni moins, de se faire piquer sa dernière montre, ou, pire, de se la faire acheter et payer avec un chèque en bois. Le discours du chef indiquait la voie à suivre : aux plumitifs, vomitifs et autres administratifs d’exécuter les basses œuvres. Il y avait du pain sur la planche : pour faire plaisir au maître, il fallait contrôler, rafler, démanteler, incendier, expulser des milliers d’indésirables, citoyens obscurs ou petites fripouilles d’autres bandes de moindre envergure que celle d’Ali Sarko. Certains nostalgiques du bras levé renouèrent avec la bonne vieille tradition perdue des rafles sauvages… Quelques annonces soporifiques vinrent au secours du cataplasme sécuritaire. Une émission spéciale de « bonne nuit les crétins » fut programmée aux heures de grande écoute . Un présentateur souriant comme une cuvette de WC affirma que les fripouilles que l’on calomniait ne méritaient pas un tel traitement : c’étaient tous de braves gens, au service de la Francosie éternelle ; leurs journées de travail étaient si longues qu’ils méritaient bien quelques récompenses ; il n’y avait pas de quoi faire tout un cigare de quelques débordements bon enfant. Les fripouilles, elles au moins, ne brûlaient pas les vieux carrosses et ne volaient pas la poule au pot des habitants du Royaume. Une présentatrice souriante comme une serpillère essorée confirma les dires de son collègue et apaisa les angoisses des Francosiens en leur posant ce dilemme épouvantable : « entre-nous, si vous aviez le choix, aimeriez-vous mieux confier l’éducation de votre enfant à la fripouille chargée du budget national (ou du moins de ce qui en reste) ou à des bohémiens amateurs de volaille ? » Une heure après avoir éteint la télé, Bobonne frissonnait encore dans son lit à l’idée que son caniche nain se retrouvât enfermé dans une caravane rutilante tractée par une Mercédès acquise au marché noir et conduite par un collectionneur de cuivre et de plumes de canard.

Un mois passa ; les esprits se calmèrent et les poches se firent à l’idée qu’elles n’existaient plus que pour avoir un trou. A quoi bon mettre un écu de côté ? A quoi bon d’ailleurs enfiler un pantalon ? Ali Sarko chassa de sa bande un ou deux malfrats qui s’étaient fait remarquer par leur maladresse et les remplaça par des experts moins connus ou connus il y a longtemps. Le bandit chargé du maintien de l’ordre parmi les détroussés s’entoura de quelques conseillers sans scrupules. Il paraît même qu’il prit dans son équipe un certain Cargnouf, bien connu dans une région de Francosie où poussent les montagnes. Cet homme était un expert en délinquance : il avait même purgé quelques années à l’ombre des barreaux suite aux nombreuses indélicatesses qu’il avait commises avec l’argent d’autrui. Sans doute s’était-il repenti puisqu’il se posait en connaisseur des comportements mafieux et jurait ses grands dieux qu’il aiderait l’Imam Ali Sarko à traquer les infidèles et les petits caïds… La vie retrouva son  cours antérieur en Francosie. Ali Sarko, assis sur son grand fauteuil de Prince, méditait en songeant à l’avenir. Les gaffes commises par ses sbires avaient failli provoquer une catastrophe. Il fallait qu’il passe moins de temps devant son miroir et qu’il contrôle mieux ses troupes, sinon ses amis allaient se fâcher et porter leurs faveurs sur un autre chef de bande auréolé de sainteté : Doumé Ephémi. L’homme était un concurrent sévère car il avait la réputation (nettement exagérée) de prendre aux pauvres pour donner aux riches (beaucoup) mais aussi aux pauvres (un petit peu). Du coup, on le croyait généreux ; on disait même qu’il était carrément socialisant… Ali Sarko arrêta de méditer : de telles pensées lui provoquaient des frissons dans la Rollex. Mieux valait encore aller voir quelques désœuvrés en banlieue et leur enseigner le maniement du Karcher… »

Ainsi se termine mon histoire, dit alors Oncle Paul. Personnellement je ne l’aime pas du tout et je voudrais bien ne plus avoir à la conter pendant de nombreuses années. Je préférerais vous parler d’un pays où les fripouilles ne font plus la loi et où les humbles gens peuvent faire entendre leur voix au même titre que les soi-disant experts et autres marchands de calembredaines ; un pays où les richesses seraient partagées entre toutes et tous ; un pays dans lequel les papiers d’identité serviraient à allumer les poêles à bois ; un pays dans lequel le travail salarié remplacerait le père fouettard dans les contes à dormir debout pour enfants agités J’ai bien commencé à écrire cette histoire-là, mais j’ai peur que vous ne me taxiez d’idéaliste ou d’utopiste fou furieux, si je la publie un jour. D’autres pourtant, de par le passé, ont cru un tel avenir possible. Que faire d’autre que leur rendre hommage et essayer de marcher dans leurs traces ? Pourquoi sommes-nous anesthésiés par une telle désespérance ? Je vous le demande… Sur ces bonnes paroles, Oncle Paul se releva et se dirigea d’un pas lent vers sa caverne. Il était grand temps qu’il se ressource un peu : son public était tellement exigeant !

NDLR : les illustrations de cette chronique proviennent du livre d’Albert Robida, « Ali-Baba et les quarante voleurs ». La date de publication exacte en est inconnue. Je vous rappelle que le royaume de Francosie est bien entendu un royaume imaginaire situé dans la quarantième dimension. Quant au chef de bande, devenu empereur de la République, qui gouverne la Francosie, il n’existe bien entendu que dans les légendes de l’Oncle Paul. Heureusement d’ailleurs !

3 Comments so far...

Clopin Says:

17 août 2010 at 11:46.

Mais bon sang, oncle Paul, où vas-tu chercher tout ça !!!

Paul Says:

17 août 2010 at 12:44.

Je fréquente un bouquiniste peu recommandable et j’achète de vieux livres de géographie parlant de pays tellement lointains que l’on ne les connait plus aujourd’hui…

fred Says:

18 août 2010 at 15:14.

Houlalalala !
Si ça continue comme ça
vous allez finir dans une baignoire pleine d’acide cher Oncle Paul !
Vous risquez d’avoir de gros problèmes !!! 🙂

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