5 septembre 2010

Vlad III Basarab, dit « Ţepeş » (l’empaleur) ou Drăculea (le dragon)

Posté par Paul dans la catégorie : Carnets de voyage; les histoires d'Oncle Paul .

Où il est question de pal, de vampire et de voyage…

Certes, le héros de ma chronique d’aujourd’hui, ce cher Vlad, n’a pas très bonne réputation auprès des historiens, mais de là à en faire un assoiffé de sang, un bourreau pour jeunes vierges, bref un terrible vampire, l’écrivain écossais Bram Stoker y est allé un peu fort. Bon, il faut reconnaître que le fait de faire empaler vingt mille prisonniers pour impressionner le sultan de Constantinople, ce n’était pas y aller avec le dos de la cuillère. Pourtant, je ne suis pas sûr qu’en matière de barbarie nos « civilisations » contemporaines aient beaucoup de leçons de morale à donner. Je cherchais une bonne histoire à vous raconter pour ne pas vous dire crûment que l’on partait en vacances pendant que vous reprenez le travail en grimaçant, eh bien je l’ai trouvée et je ne vais pas la lâcher comme ça. Quand vous lirez ces lignes, nous serons sans doute partis à destination des contrées où sévissait Vlad III. Mais ne vous inquiétez pas, le blog continue son activité, même si c’est de façon un peu plus aléatoire. Quant à cette chronique-là, eh bien j’espère que les amis roumains, toujours un peu énervés que l’on réduise leur pays aux vampires et aux Roms (ces derniers sont à la mode, malheureusement pour eux, dans notre Francosie natale) me pardonneront. Mais c’est promis, une fois sur place, je suis convaincu que l’on aura bien d’autres sujets à traiter ! En attendant, laissez vous tyranniser et vampiriser quelques instants ! Pour une fois que la « Feuille Charbinoise » vous parle d’oppresseur plutôt que de défenseur des opprimés…, on appréciera l’objectivité qui trône céans !

Revenons donc à notre chef empaleur. L’histoire remonte au XVème siècle, en Valachie, et mérite d’être contée car, en Roumanie, Vlad III est quand même considéré comme un héros national de l’indépendance. En ces temps immémoriaux, les habitants de Valachie (une province du pays où nous nous rendons – vous suivez ?), avaient des misères avec leurs nombreux voisins, en particulier les Ottomans (non, il ne s’agit pas uniquement d’un canapé de forme particulière réservé aux hommes !). Ces Ottomans, donc, laissant leurs Ottomanes au salon, projetaient – vilement mais néanmoins massivement – d’envahir la petite province de Valachie, ce qui n’était pas du tout du goût du Prince Vlad. Ce noble (ce voïvode pour respecter la terminologie locale) n’était pas précisément quelqu’un de très commode ni de très romantique. Histoire d’apporter quelques éléments de preuve à mes assertions, je vous propose son portrait en début de paragraphe. L’époque actuelle remettant sur le devant de la scène la notion de délit de faciès, vous conviendrez que ce Voïvode n’a rien de très engageant pour le touriste moyen… Il faut dire, à la décharge de cet empaleur de masse, qu’il avait eu une adolescence difficile, son père ne trouvant rien de mieux à faire que de l’envoyer comme otage à la cour du sultan Murad II. Il conserva, de ce séjour, quelques animosités à l’égard de ses voisins méridionaux. Si je vous dis en plus que ce noble courtisan avait un frangin nommé Radu III l’élégant, ce qui laissait supposer que lui ne l’était pas, on comprend qu’il ait eu du mal à se faire une réputation auprès des femmes.Il rattrapa son retard ensuite, puisqu’il en eut trois successivement, sans même avoir besoin de jouer à Barbe-bleue. Cela explique sans doute le nombre impressionnant de rigolos en tout genre qui sont fiers de revendiquer leur descendance de ce fou sanguinaire…

A la suite d’une quantité impressionnante de péripéties que je ne vous conterai point ici, Vlad III réussit enfin à devenir souverain de Valachie. De ce parcours compliqué pour arriver au pouvoir, il garda rancune, non seulement aux Ottomans, mais aussi aux autre Boyards (nobles) de sa province, qu’il décida de « mettre au pas ».  Pour ce faire, il décida de s’appuyer sur la popularité dont il bénéficiait auprès des paysans et des artisans. Histoire de mettre un peu d’ordre dans le Royaume, il enclencha une véritable politique de terreur. La justice rendue était assez simple : chaque délit était puni par… la peine de mort, quelle que soit sa gravité. Certains historiens disent qu’il s’entraina à la pratique du pal à cette époque là. D’autres laissent entendre que, compte-tenu du nombre de victimes, il aurait fallu couper une sacrée quantité d’arbres dans les forêts valaches… La suite de l’histoire va être ponctuée de toute une série de massacres « exemplaires ». Il en veut tout particulièrement à la noblesse locale, ainsi qu’en témoigne l’anecdote suivante. Le dimanche de Pâques 1459, une grande fête est organisée au château du Voïvode. Tous les Boyards du pays sont invités aux réjouissances. Le Prince fait alors arrêter tout le monde par ses gardes. Selon la coutume maintenant bien installée, une partie des prisonniers sont empalés derechef ; Vlad III élimine ainsi les aînés, jugés physiquement incapables d’accomplir l’épreuve qu’il réserve aux survivants. Ceux-ci sont invités à participer à une marche forcée d’une centaine de kilomètres, puis conviés à effectuer, sans le moindre repos, divers travaux de construction utiles à la défense du Royaume. La méthode d’élimination est radicale : il y a fort peu de survivants à ce biathlon. Vlad III s’estime alors satisfait puisqu’il a ainsi vengé la mort de son père et de l’un de ses frères – mort dont il rendait responsable la noblesse locale…

Pendant la suite de son règne, Vlad III fait preuve d’autant d’imagination qu’en aura l’écrivain qui va s’inspirer de ses faits et gestes. Il conçoit par exemple un dispositif qui mériterait d’être baptisé « testeur de trouille populaire ». Il demande à ses sbires de placer au centre de la place principale de Târgovişte une coupe en or remplie d’eau. Tout voyageur passant en ce lieu a le droit de boire l’eau de la coupe, mais n’a – bien entendu – pas le droit de faire main basse sur le contenant, faute de quoi il doit s’attendre au pire ! La légende prétend qu’à la fin du règne du Prince, la coupe était toujours présente à l’endroit où elle avait été posée. Cette anecdote devrait être considérée comme riche d’enseignements par nos gouvernants. On peut ainsi estimer que l’objectif « tout sécuritaire » du Boyard Hortefeux sera atteint le jour où il pourra laisser trainer son porte feuille rempli de coupures de 100 euro au pied d’une montée d’escalier dans un immeuble d’une cité dite « sensible ». Pour rester raisonnable, on pourrait proposer à notre grand sécuritaire, de limiter la durée de l’épreuve à une semaine ou un mois. En cas de réussite il recevrait par exemple le titre de « grand mamamouchi de l’ordre public »… Trêve de diversion, revenons à notre Boyard de Valachie ! S’étant débarrassé de la plupart des membres de son ancienne noblesse, il en constitue une nouvelle en recrutant parmi les paysans qu’il estime les plus dévoués à sa cause. Le petit peuple qui n’appréciait guère ses maîtres précédents le vénère. Tout ce petit monde se met à l’œuvre pour construire une forteresse à la hauteur des ambitions du Prince. Ce sera, selon la tradition, le célébrissime château de Bran. A ce stade là, l’histoire commence à flirter sérieusement avec la légende et nous verrons un peu plus loin pourquoi. Il y a des chances qu’il s’agisse plutôt du château de Poenari.

Vlad III poursuit son règne en commettant encore quelques uns de ces petits excès répressifs dont il est coutumier, notamment à l’encontre des marchands saxons de son royaume qui ont la triste idée de se révolter, prétextant que les impôts prélevés sur leurs marchandises sont trop élevés. A force de massacres et d’empalage, le Voïvode finit par être considéré par ses contemporains comme un monstre sanguinaire peu fréquentable, d’autant qu’au lieu de maltraiter le « vulgus populus », il commet ses exactions à l’encontre de gens nobles et/ou fortunés. La confrérie des marchands saxons ne lui pardonne pas sa sauvagerie. C’est à cette époque là que commencent à se tisser les premiers fils de la légende du Prince avide de sang. Nul ne précise cependant à quel moment il s’intéresse plus particulièrement à la nuque fragile des jeunes filles, vierges de préférence. Je laisse le soin à Bram Stoker d’expliquer le glissement progressif du supplice du pal à la prise de sang abusive. Début 1462, Vlad se sent enfin prêt à se débarrasser de la tutelle des Ottomans sur son royaume. Lors d’une expédition punitive sur le Danube, il occit trente mille soldats de l’armée adverse, refuse toute rançon pour les prisonniers, et fait clouer sur leur tête les turbans des émissaires du sultan qui refusent de se découvrir en sa présence. Frais, agreste et printanier, comme aurait dit un fin psychologue de ma connaissance. Mehmed II, le sultan de Constantinople, est en colère et ça se comprend. Il rassemble une armée trois fois plus importante et décide d’envahir la Valachie. Lorsque ses troupes arrivent à Târgovişte, elles découvrent un spectacle horrible : une forêt de pals se dresse à l’approche de la ville. Vlad III a fait exécuter la totalité des soldats qu’il avait capturés lors de la bataille précédente. L’ardeur des combattants est un peu calmée et Mehmed II renonce au combat, préférant laisser le jeune frère de Vlad, Radu III l’élégant (dont je vous ai déjà parlé) régler ses comptes en famille le plus proprement possible. Telle est la rivalité entre les deux frères que Radu a préféré s’allier à l’oppresseur turc plutôt que de prêter allégeance à son Voïvode de frangin.

Pour la grande histoire, précisons que Radu atteint son but, mais ne réussit pas à capturer son frère. Lorsque l’armée turque s’empare enfin de la forteresse familiale, Vlad III se sauve dans la montagne grâce à un passage secret. Est-ce à cette époque qu’il commença à hanter les ruines et à traquer les belles endormies pour se nourrir ? L’histoire officielle ne le dit pas mais la légende est convaincue du contraire. Ce que dit l’histoire officielle, par contre, c’est que l’histoire de Vlad III, la vraie, ne s’arrête pas là. Après une longue captivité chez les Hongrois, le Voïvode retrouve le trône de Valachie, mais dans une nouvelle capitale cette fois : Bucarest. Ce nouveau règne ne dure que quelques mois. Le Prince meurt au combat en décembre 1476 et le sultan, rancunier, veille à ce que la tête de son adversaire orne le sommet d’un pieu. Les vampires n’apprécient guère les traitements particuliers qu’on leur fait subir avec ce genre d’engins ! Notre Vlad III disparait alors de la scène publique jusqu’en 1897, soit plus de quatre cent ans. Cette année-là, le brave Prince ressurgit de sa tombe en devenant le héros d’un roman intitulé « Dracula ». L’écrivain se nomme Bram Stoker. On se perd en supputations sur les raisons qui l’ont amené à choisir Vlad III comme modèle pour son « Prince des Ténèbres »… En tout cas, le romancier a très librement interprété les faits historiques. Il n’a pas hésité à faire vivre son héros quatre siècles plus tard que le modèle référent et à le faire voyager en bien des lieux où le Prince n’est jamais allé. Dracula évolue en effet dans les décors du XIXème siècle entre la Transylvanie et le Royaume Uni. Précisons, pour conclure, qu’en roumain, le mot « drac » signifie à la fois « diable » et « dragon », et que jouer sur ce double sens ouvre une sacrée porte à l’imaginaire ! Pour ce qui est d’improviser, les agences de tourisme non plus n’ont pas oublié de le faire. Le château de Bram est devenu la capitale mondiale du vampirisme de pacotille alors qu’il est très probable que Vlad III n’y ait jamais mis les pieds, d’autant que cette forteresse se trouve dans la province voisine de la Valachie, la Transylvanie.  Il eut été peut-être plus judicieux de choisir le château de Poenari qui servit de refuge au prince à la fin de son premier règne.

Ne craignant ni les pals, ni les vampires, ni les marchands de souvenirs, les valeureux enquêteurs de la Feuille Charbinoise prennent la route direction la Transylvanie, la Bucovine, et autre Valachie. Nous espérons que les dernières belles journées d’automne nous permettront de découvrir les paysages magnifiques de ces régions mais aussi de satisfaire notre forte envie de nature sauvage et de randonnées en forêt. D’ici peu donc, les chroniques habituelles redeviennent des cartes postales de voyage, avec, espérons le, moult choses sympathiques à vous raconter !

5 Comments so far...

la Mère Castor Says:

6 septembre 2010 at 17:44.

bonnes vacances, les charbinois, n’oubliez pas les gousses d’ail.

Clopin Says:

6 septembre 2010 at 20:26.

Décidément, tous les chemins mènent aux roms !
Bonnes vacances et n’oubliez-pas de poster régulièrement avec photos bien sûr !

Floréal Says:

7 septembre 2010 at 11:45.

Bonnes vacances! Vous auriez tort de vous priver d’un si joli voyage! Ramenez-nous donc quelques souvenirs…

Paul Says:

7 septembre 2010 at 17:34.

@ tous – Merci pour vos commentaires. Notre première étape à Fribourg en Suisse est bien plaisante. Demain nous rejoignons Munich et changeons donc de pays. Prochaine chronique très bientôt afin que vous puissiez constater que nous faisons notre métier de touriste avec sérieux !

François Says:

8 septembre 2010 at 21:42.

Et qu’avez-vous donc visité à Fribourg? Il y a plein de choses sympathique, notamment le Musée Gutenberg dédié à la typographie et la voisine maison contenant un espace dédié à Tinguely et Niki de Saint-Phalle.

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