23 septembre 2010

Premières impressions roumaines…

Posté par Paul dans la catégorie : Carnets de voyage .

Une petite semaine que nous sommes en Roumanie. J’ai attendu un peu pour rédiger cette chronique, car quand on arrive dans un pays inconnu, on a trop souvent quelques idées préconçues en tête et on succombe vite à l’attrait des clichés. Une semaine c’est suffisant en tout cas pour se sentir dépaysé et être submergé par un flot d’images ou d’opinions parfois contradictoires. Sur le plan touristique, le pays est absolument magnifique : des paysages variés, beaucoup de relief, de grandes forêts, des villages fortement typés et un patrimoine historique très riche, largement de quoi faire le bonheur d’une feuille charbinoise qui se déplace au gré de sa fantaisie. Pourtant, tout n’est pas aussi rose que ce portrait quasi idyllique pourrait laisser à le penser. La Roumanie est avant tout un pays de contrastes, et ce beaucoup plus que la France. Deux mondes, pour ne pas dire deux périodes de l’histoire, se côtoient, se chevauchent et parfois se heurtent avec une certaine violence. La situation est plutôt complexe.

Le téléphone portable a investi, comme partout ailleurs, les moindres recoins du territoire et l’on croise, sur les routes de campagne, de nombreux chars tirés par des chevaux. Le conducteur de l’attelage guide ses animaux d’une main et tient de l’autre son précieux engin de communication contre l’oreille. Cette multitude de chars remorqués par des chevaux, c’est sans doute l’une des premières images qui frappe le conducteur de voiture étranger sur les différentes routes de Roumanie. La conduite dans ce pays est en effet un art particulier qui nécessite quelques jours d’apprentissage : il faut tenir compte de la vitesse des différents véhicules que l’on peut croiser sur la chaussée, vitesse allant sans complexe de 10 à 150 km/h. Il faut tenir compte aussi du comportement très particulier des chauffeurs roumains, alliant témérité, ignorance totale des règles de sécurité avec une impétuosité certaine. L’état des différentes chaussées nécessite également une surveillance constante. Il n’est pas inintéressant que le conducteur novice bénéficie de l’aide d’un ou d’une auxiliaire. Nous avons ainsi fait récemment un parcours d’une cinquantaine de kilomètres pendant lequel la conversation ressemblait à : « vaches à droite ! trou au centre ! voiture arrêtée ! trou à gauche ! enfant ! ballon ! caniveau profond ! » Il ne s’agit que d’un échantillon, chacun des termes, surtout celui de « trou » ayant été répété une bonne centaine de fois. D’autant que parfois, question trou on ne plaisante pas… Si la roue passe dedans, il n’est pas certain qu’elle en ressorte ! Bien sûr ce n’est pas toujours comme ça et il y a quelques portions de grandes routes en excellent état. Dans ce cas, la vigilance porte alors sur les véhicules « adverses » ; mieux vaut être prudent pour deux ou trois.

Rues piétonnes en centre ville, à Cluj, à Sibiu, à Oradéa… Les mêmes enseignes qu’en France, de l’incontournable Mac Do aux parfumeries et autres boutiques de mode… Passage en mode rural : il n’y a plus que l’incontournable épicerie comptoir, « magasin général » ou « magasin alimentaire » qu’il faut chercher au milieu des autres maisons, dans des villages-rues aux façades multicolores et aux chantiers intemporels. Les rues pavées des centres villes avec leurs petits réverbères proprets et leurs corbeilles à ordures design vidées quoditiennement… Les rues perpétuellement défoncées dans les petits bourgs ruraux où gravats et ordures se mélangent allègrement… Le 4×4 flambant neuf klaxonne sauvagement le tracteur rouge avant dernier cri qui le ralentit dans sa course aux profits. Le train du libéralisme galopant passe à la vitesse d’un TGV devant des paysans hébétés : eux ont pour tout luxe un téléphone miniature pour essayer de raccrocher ce progrès qui leur court devant. Eux au moins ont le temps de vous répondre, avec de grands gestes de la main et de grands sourires, quand vous prenez le temps de les saluer. Les autres ont rendez-vous avec les avatars du marché et ne sourient qu’en voyant votre carte de crédit. Entre les deux, zone de transition brutale, les banlieues, qui empruntent leur image en partie aux centres villes rutilants mais surtout aux campagnes d’un archaïsme aussi détonnant que sympathique.

La religion du parti a plié bagage. Ce que certains ont osé appeler « communisme » est relégué au rang du folklore historique. Le rouleau technolibéral écrase ou tout au moins essaie d’écraser tous ces vestiges du passé. Comme il semble que le peuple ait toujours besoin d’un opium, la religion orthodoxe a le vent en poupe, avec la bénédiction des nouveaux pouvoirs en place. Une partie du patrimoine, lâchement confisqué par les conquistadores précédents, est restituée aux hommes et aux femmes en grandes robes noires. On restaure les grandes églises, on en bâtit de nouvelles, un monastère ancien, ou nouveau, se dresse à chaque recoin de village, de vallée ou de montagne. Nous en avons visité plusieurs : ils respirent la bonne santé et étalent sans complexe leur fortune renaissante. Nous avons discuté de ce phénomène avec l’un de nos hôtes, à Sibiu, et il nous a expliqué qu’il n’y avait nullement de crise de recrutement pour l’église. Le « métier » de prêtre est beaucoup plus prisé que dans nos contrées vaticanes. D’une part, les prêtres orthodoxes ont le droit de se marier (c’est même une obligation s’ils veulent devenir « guides spirituels » d’une paroisse) ; d’autre part leurs fonctions sont assez bien rétribuées dans un pays où la course au minimum d’argent pour survivre est devenu un sport plutôt répandu. D’après notre informateur, certaines paroisses plus riches sont particulièrement convoitées et font l’objet de tractations qui n’ont pas grand chose de spirituel.

Deux journées passées dans le massif des Apuseni, paysage superbe. Nous empruntons une petite route qui se dirige vers un monastère. La voirie est dans un état innommable : trous, tas de graviers, monceaux d’ordures, rendent le cheminement de la voiture comparable à celui d’une balle dans un golfe à mille trous. Il y a bien de grandes bennes à ordures, de ci de là, le long de la route, mais elles ne sont ramassées que très rarement, débordent ou sont renversées par les chiens errants. Les prés avoisinants, l’orée des bois, les entrées de chemin sont couverts de cannettes en alu écrasées ou de sacs en plastique. Nous sommes sur le point de faire demi-tour au moment où nous arrivons au monastère. Tout est d’une propreté immaculée. L’ensemble des bâtiments, de la traditionnelle église avec les multiples clochers à bulbe, aux bâtiments où vivent les moines, est neuf, d’un blanc immaculé. Une voie d’accès et un parking viennent d’être aménagées avec des pavés auto bloquants. Plusieurs camions d’une terre végétale de premier choix viennent d’être livrés et une petite troupe de jardiniers aménage le décor. L’un d’entre-eux parle un peu français et nous échangeons quelques paroles. On se croirait dans la micro bulle d’un quelconque center park, posée par des Martiens habillés de noir, au milieu de nulle part. Un petit tour des lieux, quelques photos obligatoirement réussies puis retour au gymkhana initial. Contraste d’un autre genre.

La vie n’est pas chère pour d’heureux Français possesseurs d’une poignée raisonnable d’euros. Pour la majorité des Roumains elle l’est terriblement et elle augmente sans cesse. Pour nous les prix sont moitié moins élevés qu’en France. Pour les Roumains, les salaires sont environ au quart. A deux reprises nous évoquons la question des « Roms ». Ils n’ont pas plus la cote que chez nous. Le fait de les défendre est qualifié assez vite de « romantisme ». C’est le terme qu’a employé notre ami de Sibiu, sans vouloir faire aucun mauvais jeu de mots. En fait, deux choses semblent un peu fâcher les Roumains dans le comportement de la France vis à vis des Roms : le fait qu’on les renvoie en Roumanie car les Roumains étaient ravis d’en être débarrassés ; la confusion qu’entretiennent certains de nos ministres incultes entre Roms et Roumains. L’indignation hypocrite des responsables politiques locaux repose en fait sur ces deux éléments. Le reste n’est que démagogie et effets oratoires. Au XXIème siècle, les nomades, et de façon globale toutes les minorités qui refusent de s’intégrer au Monopoly ambiant, n’ont plus leur place nulle part.

Ne croyez pas, en raison de ces propos désabusés, que nous nous languissions de la France. Le pays, comme je l’ai dit au début de cette chronique, est vraiment très joli et nous avons d’excellents contacts avec ses habitants. Notre vie nomade à nous risque donc de se poursuivre encore pendant quelques temps, puis il faudra songer à prendre le chemin du retour. D’ici là, rassurez-vous, je vous mitonnerai encore quelques petites chroniques un peu plus touristiques et un peu moins philosophiques. « La revedere » comme on dit par ici !

3 Comments so far...

la Mère Castor Says:

23 septembre 2010 at 11:06.

De la Roumanie je ne sais quasiment rien, merci pour ce reportage. J’ai rencontré en juin dans les Cévennes des éleveurs de moutons roumains qui se déplaçaient avec leur prêtre, portaient un costume « local » avec un chapeau rond et noir comme le toit de l’église plus haut, cuisaient des boulettes de polenta à l’ail (toujours cette histoire de vampires ?) et chantaient « Chevaliers de la Table Ronde » en roulant les RRRR.

Clopin Says:

24 septembre 2010 at 22:13.

Vos impressions sur la Roumanie rejoignent celles que j’ai pu ressentir lors de mes escapades dans le sud de la Pologne au début des années 90…les téléphones portables en plus !

La suite, la suite !!

Floréal Says:

30 septembre 2010 at 21:27.

En Grèce, ou au Portugal c’était un peu comme ça aussi il y a 20-25 ans. Et puis ça c’est amélioré.
En Italie aussi d’ailleurs, il y a 30 ans (mais ça ne c’est pas amélioré partout, malheureusement). Je ne voudrais pas que les « malversations », comme vous dites, prennent le même pli que dans certains endroits de la péninsule italienne. Ces « complexes hôteliers » au milieu de nulle part, auxquels vous faites allusion dans votre articles suivant… n’inspirent rien de bon. ça ne serait pas des « sociétés » italiennes qui auraient investi là, par hasard?

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