2 octobre 2010

Potins routiers roumains et patin couffin tsoin tsoin

Posté par Paul dans la catégorie : Carnets de voyage .

Conduire en Roumanie reste, pour le conducteur étranger moyen, l’occasion de vivre d’étonnantes aventures. Si le réseau routier principal s’améliore progressivement, le réseau secondaire reste bien souvent dans un état plutôt aléatoire. Il n’existe qu’une seule autoroute qui devrait permettre de relier la frontière à l’Ouest, du côté d’Oradea, jusqu’à la capitale, Bucarest, mais elle est encore en grande partie en chantier. Le coût absolument colossal des travaux (monopole d’une société américaine…) en rend la réalisation particulièrement longue. De toute façon, une voie rapide n’est pas un bon moyen pour faire du tourisme dans un pays.
Lorsque l’on prend la décision, mûrement réfléchie, d’emprunter sa voiture pour aller d’un endroit à un autre, mieux vaut, en général, ne pas espérer faire le trajet à une moyenne bien supérieure à 60 km/h (grande route), 40 km/h (petite route) ou 20 km/h (piste, encore fréquentes notamment en montagne). Quand j’ai lu dans mon guide touristique qu’il fallait compter au moins deux jours pour s’habituer aux coutumes routières locales, j’ai pris ça à la rigolade. Maintenant que cela fait plus de deux semaines que nous arpentons le pays en suivant un parcours zigzaguant soigneusement étudié, j’ai révisé mon opinion sur le sujet. Il faut bien subir un stage d’accoutumance… Cela permet de maitriser le stress des premiers instants et de comprendre ce qui est danger réel et ce qui ne l’est pas !

Sur les grandes routes, le danger vient surtout des véhicules qui ont la curieuse idée de partager la route avec vous, car ils ont souvent la prétention d’en revendiquer la plus grande partie : usage massif de la partie centrale de la chaussée, souvent en meilleur état, virages pris sur la voie qui convient le mieux à la vitesse du véhicule et à l’humeur triomphaliste du conducteur, respect plus qu’approximatif de la signalisation et des lignes continues en général. Cela signifie, d’une part qu’il vaut mieux ne pas rouler soi-même trop vite, histoire de pouvoir réfléchir à une stratégie adaptée à la situation qui peut se présenter de façon inopinée, d’autre part qu’il vaut mieux avoir les yeux directement installés dans un gyrophare ou bénéficier de l’aide d’un assistant ou d’une assistante à la conduite. Le problème qu’entraine cette attitude de prudence excessive c’est que le conducteur roumain, comme nombre de ses confrères d’autres pays dits civilisés, a horreur d’être ralenti sur la route par un quelconque obstacle, notamment par un véhicule conduit par un touriste étranger prudent à l’excès. Il faut donc savoir, qu’un refus de votre part de participer à la course de Formule 1 qui se déroule sous vos yeux, risque d’être à l’origine de comportements encore plus délirants : dépassements en plein virage, en sommets de côte, en plein milieu d’un village… Les routes sont toujours encombrées en Roumanie (cf paragraphe suivant) et le conducteur roumain sait gérer les obstacles, à sa manière : au mieux il les évite, au pire il les ignore. Dépasser un véhicule lent en coupant franchement une ligne continue, aux abords d’un virage et en téléphonant, ce n’est pas une pratique exotique. Les multiples reportages figurant à la une des journaux télévisés, et les pierres tombales aux inscriptions toutes récentes dans les cimetières témoignent du fait que mes propos sont à peine exagérés.  La Roumanie n’a pas le monopole de ce genre de pratiques criminelles.

La situation sur les routes secondaires est beaucoup plus intéressante encore. J’ai envie de dire que les petites « départementales » constituent un éco-système complet à elles toutes seules. Une partie importante de la vie champêtre et villageoise se déroule sur ces routes et les rendent, d’une certaine façon, attachantes, tant ce qui s’y déroule relève d’un folklore sans cesse créateur de nouvelles surprises. Il y a tout d’abord les véhicules identifiés ou non qui y circulent : troupeaux divers, remorques attelées, brouettes hors gabarit, tracteurs… Il y a ensuite les obstacles fixes, parfois surprenants : chantiers sans avertissement préalable, bouches d’égout ouvertes signalées par un piquet en bois et un gilet jaune fluo, tas de gravats posés là pour une raison indéterminée. Lorsque vous faites un terrassement quelconque dans le passage d’accès à votre demeure, l’endroit le plus commode pour entasser terre, sable, cailloux, ciment, parpaings, c’est bien entendu la piste gravillonnée ou l’asphalte de la route. Lorsqu’un voisin vous livre du bois de chauffage ou une marchandise quelconque facile à benner, le plus simple est bien entendu de tout déposer sur la chaussée… Les trottoirs étant inexistants, ou bien défoncés ou encore trop humides, les piétons, que ce soit les mamas lourdement chargées ou les troupes d’enfants surexcités quittant l’école ou s’y rendant à toute heure de la journée, il est évident qu’ils marchent sur le goudron. Il faut alors avoir l’œil, à la fois sur le chien qui va traverser sans utiliser un passage clouté n’existant que dans votre imagination, et sur le marcheur silencieux dont la brassée d’outils agricoles jetés nonchalamment sur l’épaule occupe autant de place qu’un convoi exceptionnel. Je pourrais me livrer à un véritable inventaire à la Prévert, tant les villages des différentes régions réservent des surprises uniques en leur genre. A la sortie d’une agglomération, je ne sais plus trop où, j’ai aperçu au dernier moment la tête d’un cantonnier qui dépassait du trou dans lequel il était en train de travailler…

La langue française emploie l’expression très imagée « nid de poule » pour désigner divers effondrements plus ou moins graves dans la chaussée. L’état de certaines petites routes permet de comprendre pleinement ce qu’elle signifie, sauf qu’il faudrait parler, dans certains cas, de nids d’autruche ou de cigogne. Il est clair qu’une roue de véhicule qui aurait l’audace de descendre dans certains de ces creux n’aurait que peu de chance d’en sortir intacte. Lorsqu’ils sont remplis d’eau, suite à une averse un peu violente, la tentation devient grande de lancer les dés pour évaluer les chances de survie en cas de plongée. De plus, les poules sont souvent élevées en batterie et leurs nids sont dispersés de façon totalement illogique. Le parcours de votre véhicule ressemble alors à la trajectoire d’un skieur dans un slalom géant niveau compétition internationale. Si je parle d’éco système, c’est que parfois toute une faune profite de cet aménagement aléatoire de la chaussée : les poules traquent le petit ver dodu qui se tortille entre deux plaques de goudron mal jointées ; les petits oiseaux du seigneur boivent goulûment l’eau des flaques. Cela vous peine profondément de perturber la vie de tout ce petit monde à plumes, à poils, à barbe ou à tablier. Du coup, vous ralentissez, freinez parfois brutalement ou zigzaguez avec le plus d’élégance possible. On peut se la jouer façon « jeu de rôle » : dix points de vie à l’entrée de l’agglomération, vous en perdez un par trou que vous n’arrivez pas à éviter… C’est très distrayant.

Bien entendu, ce n’est pas la seule façon de s’immiscer dans ce riche éco système. Vous pouvez aussi vous la jouer grand seigneur, maître du monde, ou limite barbare. Beaucoup de conducteurs autochtones, soucieux de ne pas porter atteinte à leur image de marque, gèrent la crise à grand renfort de klaxon, de coups de frein intempestifs et de jurons bien sentis. Vous me direz que c’est plus facile pour un ethno-touriste qui a tout son temps pour lui, que pour un livreur de colis pressé d’en finir avec sa journée. Ce que je perçois plutôt comme un folklore attachant est perçu par bien des citoyens de ce pays comme une calamité. Là où nous trouvons amusant de flâner, observer, voire photographier, eux rêvent d’un réseau routier entièrement constitué de voies express sans feux rouges, sans voitures de police et sans maudits touristes. C’est comme ça ; il faut bien de tout pour faire un monde. Notez bien que si je me permets de faire un peu d’humour sur le dos des habitants fort sympathiques de ce pays, je n’use en aucun cas d’ironie. L’éducation à la sécurité routière est un problème dans tous les pays et nul n’est à l’abri de comportements à risques : en témoigne la ligne continue que j’ai franchie, cet après-midi, sur une route de montagne ; c’était ça ou les vapeurs diésel du camion pendant dix kilomètres. La police routière roumaine est débordée et elle le clame haut et fort : insuffisance d’effectifs, de moyens (les radars n’existent généralement que sur les panneaux d’avertissement) et de motivation (comme pour toutes les autres catégories de fonctionnaires de ce pays, les salaires déjà fort bas, viennent d’être diminués de 25% d’un coup). La meilleure, par ailleurs, c’est que nous avons été doublés, juste avant une courbe, sur une ligne continue, par un véhicule du service de contrôle routier qui roulait au minimum à 100 km/h…

La conduite sur piste est également délicate, car elles ne bénéficient jamais d’un revêtement très régulier, et sont toujours à double sens même lorsqu’elles sont très étroites. Nous en avons parcouru pas mal de kilomètres, notamment dans la région du Néamt, pour visiter les monastères. Il suffit d’accepter une vitesse moyenne encore plus basse que sur les routes, et puis, finalement, les ornières ou les creux créés par le ruissellement de la pluie sont souvent moins traitres que les effondrements de l’asphalte. Le « nid de poule » n’existe pas vraiment dans le gravillon ; son milieu favori est le goudron un peu trop ancien… Toutes les pistes que nous avons empruntées traversaient des forêts splendides et comme il faut laisser le passage aux camions transportant les grumes, il y a pas mal de plateformes de croisement et peu d’obstacles matériels placés directement sur la chaussée. De plus, lorsqu’après une bonne heure de transport dans des conditions assez brutales (l’image du panier à salade – pas celui des flics mais le vrai – vient facilement à l’esprit) vous découvrez un magnifique monastère d’un blanc resplendissant au fond d’un vallon verdoyant, vous êtes largement récompensés de votre peine. Il suffit de remettre vos vertèbres en ordre pendant un moment avant d’aller tâter du plancher des vaches sur vos deux jambes.

On pourrait croire, à lire ce récit cataclysmique sur la situation du réseau routier, que nous allons pousser un « ouf » de soulagement en quittant le pays. Ce n’est pas le cas.  D’abord, comme il se doit, j’ai bien entendu un peu exagéré et il est parfois des trajets qui se déroulent de façon conventionnelle. Certes un fort stress subsiste lorsque nous conduisons assez vite sur certains grands axes. Pour le reste, nous nous sommes habitués, et, finalement, en renonçant à l’idée – suicidaire – de vouloir parcourir des centaines de kilomètres chaque jour, on limite petit à petit les risques et l’on ne s’ennuie que très rarement. Par chance, aucune situation d’accident grave ne s’est jamais vraiment présentée dans notre cas et nous n’avons vécu qu’un nombre raisonnable de péripéties stressantes. On se retrouve bientôt pour parler monastères puisque j’ai abordé le sujet dans cette chronique.

4 Comments so far...

Lavande Says:

4 octobre 2010 at 10:10.

Il faut dire que pour voir la ravissante petite église de la dernière photo, on peut supporter pas mal de nids de poules ou autres volatiles!

Lavande Says:

6 octobre 2010 at 09:25.

Petit clin d’oeil à Clopine que je ne sais pas où joindre (faudrait créer une rubrique « messages perso » sur la Feuille):
Je viens de lire sous la plume d’un téléramanaute: « Ne comparez pas ce téléfilm aux Misérables, ce serait faire injure à Zola! »

Zoë Says:

6 octobre 2010 at 16:22.

Cher Paul, avez-vous voyagé en Afrique ? Votre reportage me rappelle quelques épisodes dont la descente de Cyangugu (frontière du Rwanda en République Démocratique du Congo) vers Kigali. 150 km en 5 heures et plusieurs jours à récupérer un usage normal de ma colonne vertébrale. Je suis sûre que lorsque vous allez rentrer, la qualité de notre réseau routier vous sautera aux yeux

Paul Says:

6 octobre 2010 at 16:48.

@ Zoë – Pour l’Afrique, non. J’avoue me sentir très mal à l’aise, dans la situation de touriste aisé, dans les pays les plus pauvres. En Roumanie, la situation est plus complexe car l’on a côtoyé aussi des gens roulant dans des 4×4 ou des berlines que nous n’aurons jamais ni l’envie, ni les moyens de nous payer. Pour le réseau routier, c’est effarant : il suffit de franchir la frontière hongroise pour trouver un réseau routier principal en excellent état. En ce qui concerne mon dos, l’étape finale en Roumanie a été meurtrière et j’ai un peu regretté de ne pas avoir fait une pause supplémentaire avant de quitter le pays… Le problème, chez nous, c’est le prix auquel on facture à l’usager ce réseau routier de luxe : 45 euro d’autoroutes en Italie, 35 euro pour un aller simple dans le tunnel du Fréjus et plus de 20 pour boucler les derniers kilomètres en France. Total supérieur à 100 €, de quoi passer 4 nuits dans des pensions confortables en Roumanie…
Merci encore pour vos encouragements. Encore quelques chroniques roumaines puis l’on reviendra un peu à la diversité habituelle qui caractérise notre feuille volante !

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