9 avril 2008

En avril, « fais ce que voudras »!

Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire .

rabelais.jpg Non, je ne suis pas décalé d’un mois dans le calendrier ! C’est bien le 9 avril 1553 qu’est mort l’un de nos grands philosophes, François Rabelais et c’est donc aujourd’hui qu’il est bon de remettre sur le devant de la scène ce précepte incontournable de l’abbaye de Thélème figurant en titre de cette chronique. « Toute leur vie était régie non par des lois, des statuts ou des règles, mais selon leur volonté et leur libre arbitre. Sortaient du lit quand bon leur semblaient, buvaient, mangeaient, travaillaient, dormaient quand le désir leur en venait. Nul ne les éveillait, nul ne les obligeait à boire ni à manger, ni à faire quoi que ce soit. Ainsi en avait décidé Gargantua. Et leur règlement se limitait à cette clause : FAIS CE QUE VOUDRAS. » Cela ne nous empêchera pas de « faire ce qui nous plaît » au mois de mai, puis de fumer un petit « juin » et de paresser copieusement au mois de juillet. Le mois d’août nous verra cheminer sur les routes et au mois de septembre nous évoquerons « le droit à la paresse » à moins que ce ne soit « le plaisir de la caresse » (Vous ne croyez quand même pas que je vais vous faire des bouts rimés sur les douze mois de l’année non ?)…

gargantua.jpg Mon seul regret quant à François Rabelais, c’est d’avoir étudié son œuvre une première fois au collège, et de n’y avoir trouvé alors, aucun, mais alors aucun intérêt du tout. Il faudrait faire le point un jour sur les auteurs classiques que les deux mousquetaires de la littérature française, Messieurs Lagarde et Michard, ont assassinés copieusement en tronçonnant et en triturant leurs écrits. A quatorze ans, je n’étais guère sensible aux charmes du Français de la Renaissance, et je trouvais passablement « niais » les Gargantua et autres Gargamel (excusez-moi, mais à l’époque je devais confondre !). Je préférais nettement construire des maquettes d’avion plutôt que rédiger des commentaires rasoirs sur Ronsard ou Du Bellay. Il m’a fallu attendre quelques années et la lecture de Daniel Guérin (le plaisir de contredire mon prof de philo) pour que je découvre les liens existants entre le concepteur de Thélème et la pensée libertaire à laquelle j’adhérais progressivement…

theleme.jpg En cette période de renaissance du fanatisme religieux, je dois dire que Rabelais m’est encore plus sympathique… Ses démêlés avec l’Eglise ont été nombreux, alors qu’il était lui-même moine à l’origine ! En 1532, il publie « Les horribles et épouvantables faits et prouesses du très renommé Pantagruel ». La fable est suffisamment allégorique pour être « digérée » ou simplement incomprise par les autorités ecclésiastiques de l’époque. Avec la publication du « Tiers livre » à Montpellier, en 1537, il dépasse les limites autorisées (ou bien celles-ci sont devenues plus étroites) et l’ensemble de son œuvre est condamnée par la Sorbonne. A l’époque, ce vénérable établissement n’a guère de rapport avec la faculté homonyme en mai 68 : il s’agit d’un fief de l’orthodoxie religieuse chargé de combattre l’hérésie (Si vous ne l’avez pas encore fait, je vous recommande, à ce sujet, la lecture du « maître de Garamond » de Anne Cuneo dont j’ai déjà parlé dans ces colonnes… ). Heureusement pour lui, François Rabelais bénéficie de l’appui de quelques personnages influents, tel le Cardinal Jean du Bellay, et grâce à cela ses « frasques » lui sont pardonnées. En 1550, le Roi Henri II lui accorde même un privilège d’édition pour l’ensemble de son œuvre, privilège lui garantissant que nul ne pourra les imprimer ou les modifier sans son consentement. François Rabelais meurt donc en 1553. Sa dernière œuvre « le cinquième livre » ne paraîtra qu’à titre posthume en 1564. Mais le « A boire ! A boire ! » de son héros n’a pas fini de retentir…
textegargantua.jpg L’œuvre de François Rabelais est largement inspirée par la tradition populaire, la connaissance que l’auteur possède des auteurs grecs anciens et enfin, et surtout, l’influence des penseurs humanistes avec lesquels il a de nombreux contacts. Il n’est pas étonnant que les anarchistes trouvent « chaussure à leur pied » dans une partie de ses récits. Les principes appliqués par Gargantua à Thélème n’ont guère de rapport avec la règle monastique en vigueur à l’époque. Il n’est point question que la vie dans l’abbaye soit rythmée par le son d’une cloche, ni que ceux qui y vivent soient enfermés à l’abri d’une quelconque muraille : si l’on reste à Thélème, c’est que l’on a de bonnes raisons d’y rester et non parce que l’on y est contraint. La mixité est de règle et la vie sexuelle a sa place tout comme la vie intellectuelle : les chambres sont donc confortables et les bibliothèques largement pourvues. Une haute culture est la condition pour accéder à une morale élevée selon Rabelais. Un seul facteur devrait gêner quelque peu les libertaires : la vie à Thélème est réservée à une élite, bien née et fortunée, constituée de jeunes hommes et de jeunes femmes de belle apparence, gâtés par la nature tant sur le plan physique que sur le plan intellectuel… un rien d’eugénisme en quelque sorte !
L’athéisme apparent de ce moine singulier fait aussi débat, du moins chez certains analystes qui ont du temps à perdre… Il est clair en tout cas que si François Rabelais a laissé planer une certaine ambiguïté sur son œuvre, c’est en grande partie pour des raisons de sécurité. Libre à ceux qui ne veulent voir dans ses livres qu’une grosse farce caricaturale de le faire… mais l »auteur lui-même faisait allusion au sens caché de ses écrits.

revoltecanuts.jpg Ils n’avaient probablement pas lu Rabelais, ces Canuts lyonnais qui se sont révoltés, eux aussi, un 9 avril, trois cents ans après la parution de « La vie inestimable du grand Gargantua, père de Pantagruel ». Leur désir d’échapper à l’oppression et d’avoir, eux aussi, une vie meilleure était probablement fort grand puisqu’ils l’ont payé de leur sang. Le 9 avril 1834 éclate à Lyon la deuxième révolte des Canuts (ouvriers de la soierie). Les « meneurs » de la révolte de février doivent passer en jugement ce jour-là. L’armée assiège la ville et une véritable insurrection éclate. Les Canuts se barricadent dans le quartier de la Croix Rousse et essaient de résister aux assauts de la troupe. Les soldats tirent sur une foule désarmée. C’est le début de la « semaine sanglante » à Lyon, qui précède de quelques dizaines d’années celle de Paris, à l’occasion de la Commune. La répression triomphe le 15 avril après avoir fait plus de 600 morts et 10 000 prisonniers dont une bonne partie seront déportés. L’insurrection des Canuts et ses drapeaux noirs laisseront des marques profondes dans la mémoire ouvrière de notre pays. La Croix Rousse n’était pas devenue Thélème…

2 Comments so far...

sylvaine vaucher Says:

9 avril 2008 at 11:33.

Amis lecteurs qui ce livre lisez,
Despouillez vous de toute affection,
Et le lisant ne vous scandalisez.
Il contient mal ne infection.
Vray est qu’icy peu de perfection
Vous apprendrez, si non en cas de rire :
Aultre argument ne peut mon cueur elire.
Voyant le deuil, qui vous mine et consomme,
Mieulx est de ris que de larmes escripre.
Pource ce que rire est le propre de l’homme.
Votre cher Alcofribas (Pleiade Rabelais-Oeuvres complètes)

Cousine Zabeth Says:

9 avril 2008 at 17:28.

Je te rassure, Lagarde et Michard ont depuis longtemps déserté les collèges. On juge souvent l’école par rapport à l’expérience qu’on en a eue.. qui date nécessairement. C’est certain que la Renaissance est une époque incroyablement intéressante, mais plutôt quand on est plus grand, en effet…

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