21 avril 2008

Le riz, l’argent du riz et la rizicultrice

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive l'économie toute puissante .

Fable moderne sur le thème de « comment l’appétit insatiable de profits de certains capitalistes pourrait bien mettre le feu au grenier de la maison et à l’habitation toute entière ». Notons que la même fable aurait aussi pu s’intituler « le blé, l’argent du blé et la céréalière » ou « le pétrole, l’argent du pétrole et la pétroleuse ». Pour ce dernier titre, ne voulant point dénigrer les « pétroleuses » (vous connaissez ma sympathie pour Louise Michel) j’aurais été obligé de choisir « les pétrolières » ce qui ne veut rien dire, ou les « compagnies pétrolières » ce qui casse le charme allégorique du titre.

Monsieur Phan Trong est cultivateur de riz comme de nombreux autres paysans vietnamiens habitants dans le delta du Mekong. En 2006, il a arrêté de produire cette denrée qui est pourtant la base de l’alimentation des gens de son pays, car il n’arrivait plus à écouler sa marchandise…. trop chère sur le marché intérieur, et peu concurrentielle avec le riz produit par les agriculteurs américains en Californie, bien que ce dernier soit produit dans des conditions moins favorables, soit de moindre qualité et transporté sur des milliers de kilomètres en cargo. Monsieur Phan Trong est parti habiter à Saïgon. Monsieur Phan Trong fabrique des chaussures Nike pour les enfants des riziculteurs plus chanceux que lui. Cette aberration économique a été rendue possible par deux démarches parallèles : d’une part la Maison Blanche subventionne grassement les exportations de céréales, d’autre part l’OMC a obligé les pays traditionnellement producteurs (souvent des Pays en Voie de Développement) à abaisser les « barrières » douanières qui protégeaient leur production nationale.

Si Monsieur Phan Trong s’était appelé Aristide Lamisère et avait habité Haïti, sa situation aurait probablement été pire encore, car il n’aurait guère eu d’autre choix que de grossir les rangs des chômeurs qui peuplent les bidonvilles de la capitale. Un seul exemple et quelques chiffres pour étayer ma démonstration… Chaque année, les Etats-Unis dépensent 1,3 milliards de dollars en subvention pour soutenir leur production rizicole, sachant que le coût de cette production est de l’ordre de 1,8 milliards de dollars. En 1995, le FMI a obligé Haïti à abaisser ses droits de douane sur le riz de 35 % à 3 %. Selon Oxfam, Les bénéfices de Riceland Foods of Arkansas, la plus grande usine américaine de traitement de riz dans le monde, ont grimpé de 123 millions de dollars entre 2002 et 2003, dû en grande partie à une augmentation de 50% des exportations. Ces données remontent à 2005 et depuis, la baisse orchestrée du dollar a donné un sérieux coup de pouce, s’il en était besoin, aux cultivateurs américains.

photo Wikimedia Commons Le processus est le même pour de nombreuses denrées alimentaires. Le résultat des courses c’est que l’agriculture familiale, les petites exploitations, sont en train de disparaître comme neige au soleil, dans les pays les plus pauvres de la planète. Entre les paysans qui sont ruinés parce qu’ils dépendent des cours mondiaux totalement manipulés pour leur production, et ceux qui sont expulsés parce que leurs terres intéressent des multinationales pour introduire des monocultures hautement rentables (huile de palme en Indonésie pour les agrocarburants par exemple), les surfaces mises en culture pour nourrir les habitants de la planète risquent de se réduire de façon dramatique. Or seules les petites exploitations à dimension familiale sont en mesure de gérer convenablement le patrimoine agricole dont nous avons grandement besoin pour faire face aux risques de famine croissants. Il faut, par tous les moyens, encourager les petits exploitants agricoles à rester sur leurs terres, améliorer les façons culturales déjà utilisées, de façon à maintenir, voire à faire évoluer positivement, le niveau de fertilité des sols. Toutes ces pratiques demandent une forte main d’œuvre et une importante connaissance du patrimoine local. Le travail de la terre ne doit plus être dévalorisé et la rémunération des producteurs doit leur assurer un niveau de vie convenable, seul moyen de freiner l’exode suicidaire vers l’univers concentrationnaire des mégalopoles. A partir du moment où elle est aidée de façon sérieuse, l’agriculture familiale a déjà largement démontré qu’elle était capable, contrairement à ce que prétendent ses détracteurs, d’accroître sa productivité tout en respectant l’environnement qui est le sien.

La priorité doit être donnée à l’auto-suffisance alimentaire : les céréales, les légumes, le lait, la viande dont on a besoin sur le marché intérieur. L’exportation ne doit concerner que les surplus. Ne trouvez-vous pas ahurissant ces monceaux de haricots verts « made in Sénégal » que l’on trouve actuellement chez les primeurs alors que des émeutes de gens affamés se produisent à Dakar ? Le principe de la souveraineté alimentaire, c’est à dire le droit pour chaque pays de définir son propre modèle de production et de protéger son agriculture, doit être mis impérativement en pratique. Par rapport à cette démarche, toutes les tentatives de mainmise sur le vivant, que ce soient les brevets déposés sur certaines substances ou la politique monopolistique des multinationales semencières productrices d’OGM, doivent être combattues avec vigueur.

wikimedia commons Comme chaque fois qu’une crise s’annonce à l’horizon, les spéculations en tout genre viennent encore aggraver les problèmes en les amplifiant. Au nom du « libre échange sur le marché mondial », on impose un minimum de règles commerciales et celles-ci interviennent presque toujours en faveur des pays les plus riches. Les échanges commerciaux se font au détriment des Pays en Voie de Développement et les spéculateurs se remplissent les poches. Les importateurs de céréales, en Asie et en Afrique, accumulent les stocks dans leurs entrepôts en attendant que les cours montent un peu plus. Les gouvernements n’interviennent que lorsque leur propre survie est menacée, et encore pas toujours à temps, car les dirigeants politiques sont souvent corrompus ou bien ont suivi des formations universitaires dans les pays riches qui ne leur permettent même plus de comprendre la problématique de leurs propres nations. Quelques pompiers moralisateurs tenteront de ralentir la progression de l’incendie, mais il ne faut pas se faire d’illusion, ce n’est pas de régulations supplémentaires dont nous avons besoin, mais d’un changement économique profond. La mondialisation économique va contre les intérêts de la communauté planétaire ; elle n’est pas un « accident de parcours » dans l’histoire de notre développement ; elle est inscrite dans les gènes du capitalisme, qu’il soit privé ou étatique. Désolé, messieurs les politiciens de centre-gauche, il faudra quelque peu bousculer ce système capitaliste si l’on veut que l’humanité avance sur la voie qui doit être la sienne, celle d’un bonheur partagé par le plus grand nombre, celle d’une vie un peu plus harmonieuse avec l’ensemble des composantes de notre planète.

Moralité : il faut produire du riz (du blé, du mil, du sorgho…) partout où c’est possible. Il faut distribuer l’argent du riz pour permettre à ceux qui en ont abandonné la culture de revenir à leur terre d’origine. Il faut se débarrasser de ceux qui dorment tranquilles sur les sacs de billets de banque maculés de sang… Quand à la rizicultrice, son sourire est tellement beau quand elle est heureuse : il faut qu’elle puisse mener une vie respectable et épouser qui bon lui semble. fin de la fable.

NDLR : Le mot de la fin pour Jean Ziegler (car je m’aperçois que la page « maximes et sitachions » est relativement peu fréquentée) : « Etant donné l’état actuel de l’agriculture dans le monde, on sait qu’elle pourrait nourrir 12 milliards d’individus sans difficulté. Pour le dire autrement : tout enfant qui meurt actuellement de faim est, en réalité, assassiné. » Si vous souhaitez prolonger la lecture de cette chronique, un passage par le site de « Via Campesina« , (voir liens permanents du blog) mouvement paysan international défendant des positions remarquables, est incontournable !

2 Comments so far...

Phiphi Says:

22 avril 2008 at 09:22.

Pour compléter le sujet, un entretien de Mermet avec Ziegler
http://forums.autosport.com/showthread.php?s=&postid=3096382#post3096382

Phiphi Says:

22 avril 2008 at 09:23.

Ooops, désolé, voici le bon lien
http://www.la-bas.org/article.php3?id_article=1424

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