24 mars 2011

Grandeur et rayonnement de la France

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive la Politique .

Dassault, Nexter (*), Areva, Véolia, Suez, Bouygues… quelques noms, parmi d’autres, de ces industries franco-françaises qui font rêver… Producteurs et vendeurs d’armes, de réacteurs et de combustibles nucléaires, voleurs de ressources naturelles, marchands d’illusions à des tarifs défiant toute concurrence… Tous ces fleurons de notre orgueil national ont un point commun : une moralité inversement proportionnelle aux dimensions de leur tiroir caisse. Entreprises capitalistes, axées uniquement sur les profits maximum de quelques privilégiés, il est vrai qu’on ne peut leur demander grand chose d’autre. Aux politiciens le discours sur les droits de l’homme, la légitimité ou la diabolisation des régimes politiques, l’aide internationale et la compassion. Aux publicistes de tout poil le patient travail de couture pour tailler à tous ces Pdg, experts, élus, un habit de moine qui leur donne le précieux costume de la respectabilité. Au fur et à mesure que les bombes tombaient sur leurs objectifs, en Irak, en Serbie ou ailleurs, les entreprises du bâtiment se frottaient les mains en établissant les devis de la reconstruction, ou criaient à l’injustice, bien plus fort que les victimes, lorsqu’un de leur complice emportait le marché à leur place. Aux politiciens le verbiage, aux démolisseurs, aux rebâtisseurs, aux pollueurs et aux dépollueurs, le travail sur le terrain…

En décembre 2010, la France était toujours partie prenante pour « fourguer » du nucléaire « civil » à son grand ami lybien. En mars 2011 (trois mois quand même !), les avions Marcel Dassault des uns se chargent de détruire, de la manière la plus efficace possible, les avions Marcel Dassault des autres. Enjeu colossal pour nos industriels : du pétrole à la clé, bien entendu, mais aussi des clients potentiels à convaincre de l’efficacité des nouveaux engins volants de notre avionneur national. Quelle plus belle démonstration commerciale des qualités opérationnelles d’un chasseur-bombardier, qu’une bonne petite guéguerre où la bête peut faire la preuve de ses capacités diverses à effectuer des frappes ciblées et à ramener, si possible, ses pilotes vivants à la base ? La vraie question que l’on peut se poser c’est : « va-t-on enfin, chez Mr Dassault, réussir à exporter deux ou trois Rafales à l’étranger ? » Nos partenaires commerciaux traditionnels semblent faire la fine bouche devant cette merveille technologique à cent millions d’euro pièce (excusez l’imprécision : j’arrondis au plus bas). Trop cher ! ont dit les « démocraties » du golfe, trop cher ! a répété le Brésil… Certes ! Mais notre bon président n’aura pas manqué d’ajouter, comme il l’a fait pour les mobylettes d’AREVA : c’est plus cher, parce que c’est meilleur et surtout plus sûr que la concurrence ! Encore faut-il le prouver ! Merci au dictateur lybien, décidément un grand ami de la France, d’avoir non seulement racheté nos surplus d’antiquités, mais de prêter son territoire national à des essais grandeur nature. Quel dommage que nous n’ayons pas eu le temps de construire un réacteur EPR en Lybie ! Nous aurions pu alors démontrer deux choses : tout d’abord, nos bombes guidées au laser touchent leur cible à un mètre près, et ensuite, les enceintes de confinement de nos réacteurs nucléaires résistent à des charges explosives raisonnables. Bien entendu, pour que la démarche soit valide, il aurait fallu que les ingénieurs de deux de nos fleurons nationaux travaillent de concert, car, dans le domaine du nucléaire, l’imprécision est lourde de conséquences… Ce qui est sûr en tout cas c’est que chaque lancer de bombe guidée au laser coûte au contribuable français la bagatelle de 300 à 350 000 euro (uniquement l’engin, pas le carburant pour le transporter, faut pas délirer). Pour un pays qui n’a plus les moyens de payer les fonctionnaires, c’est pour le moins singulier(**), mais, à l’opposé, pour un pays qui doit se débarrasser de déchets nucléaires encombrants (projectiles à l’uranium « appauvri ») c’est Byzance.

Nos experts l’ont laissé entendre ; notre Président l’a dit tout haut ; les centrales nucléaires nippones ne sont pas aussi fiables que les nôtres. Certes c’est mieux que le matériel russe (il ne faut pas vexer nos alliés d’outre-atlantique) mais ce ne sont pas des modèles exemplaires comme nos bons vieux réacteurs français, qui, en l’absence de tempêtes, de tsunamis, de tremblements de terre, d’attentats ou d’erreurs humaines, s’avèrent particulièrement fiables. Dommage pour l’image de marque d’AREVA que le réacteur japonais qui provoque les plus grosses inquiétudes soit justement celui qui fonctionne avec ce bon vieux MOX français (***), le produit miracle, hautement radioactif et particulièrement dangereux, dont on nous a rabattu les oreilles au moment des gesticulations surrégénératrices. La France avait inventé le mouvement perpétuel. Le réacteur de Malville devait fabriquer, tout comme l’usine de retraitement de La Hague, un combustible prêt à l’emploi pour les autres centrales…. Selon ces experts de haut vol, nous avions le miracle à portée de la main : pouvoir enfin réduire nos importations d’uranium et fonctionner, at vitam aeternam, avec du combustible maison que nous recyclerions à l’infini… Dire que nous n’en avons pas voulu. Enfin tant pis : la France fabrique quand même du MOX et, mieux que ça, elle en vend à l’étranger. De gentils petits cargos ont fait pendant quelques années de mignonnes croisières entre le Japon et Cherbourg dans le Cotentin. Dans un sens on amenait des vilains déchets et dans l’autre on charriait du Mox pour alimenter les réacteurs des compagnies d’électricité japonaise. On apprend maintenant que ce fichu combustible, comme il contient du plutonium, est hautement dangereux et que son stockage dans des piscines fissurées n’est pas une partie de plaisir. Pourquoi faut-il toujours, en France, que les contes de fées se terminent par des séquences de film d’horreur ? Crédulité de nos chercheurs ou manque de bol pur et simple ?

D’accord me direz-vous… tous ces gens sont de méchants pollueurs peu fréquentables. Mais pourquoi ajouter dans la liste noire (bleu-blanc-rouge) qui figure au début de cette chronique, des sociétés de bienfaisance comme Véolia et sa filiale « environnement » (mazette !), le groupe Suez (même terrain de jeu) ou Bouygues le bienfaiteur de l’humanité, de l’architecture et des grands chantiers… J’ai bien peur – et nombre de documents télévisuels ou écrits qui circulent actuellement le démontrent – que toutes ces firmes n’aient de belles couleurs pures ou pastels que sur leurs logos, leurs dossiers de presse sonnants et trébuchants pour les experts, et les affiches de pub qui « ornent » les murs de nos villes et les couvertures de nos journaux « indépendants »… Des entreprises comme Véolia réalisent actuellement, dans les pays où elles s’implantent, et sous couvert (idéologique) d’aide au développement ou de développement durable, des profits sans précédents, n’hésitant en aucune façon à soudoyer les élites de ces pays, à proposer des services ruineux et inefficaces, à contraindre les populations à payer au prix de l’or un produit essentiel à la vie, auquel tout être humain devrait avoir droit quel que soit le lieu qu’il habite… Comme le montre bien le documentaire diffusé par ARTE le 22 mars dernier, la manipulation se fait en deux temps : on réalise un travail de lobbying considérable auprès des législateurs pour durcir certaines exigences sanitaires concernant l’eau du robinet, sous couvert de « santé publique » ; on propose ensuite, aux collectivités locales débordées par la gestion des problèmes qui s’ensuivent , les services d’une entreprise compétente… Aux  consommateurs ensuite le plaisir de payer l’eau du robinet (généralement la même qu’avant) huit ou dix fois plus cher… Nos entreprises « environnementales » se distinguent ainsi par leur brillante action humanitaire sur un peu tous les continents, jusqu’à ce que les scandales éclatent et que les citoyens excédés obligent les politiciens corrompus à céder la place à d’autres, temporairement plus propres sur eux…

Propos amers et guère patriotes (****) ! Que deviendrait notre beau pays si ces fleurons industriels disparaissaient, ou, pire encore, reconvertissaient leur activité ? La France aurait peut-être l’occasion, en faisant les bons choix, de retrouver non seulement une position importante dans l’économie mondiale, mais aussi un prestige qu’elle a perdu depuis longtemps auprès de beaucoup de peuples. On ne peut vivre éternellement sur une réputation humaniste acquise deux ou trois siècles auparavant, et les « philosophes des lumières » ne couvriront pas éternellement de leur aura, les pratiques douteuses de ceux qui ne sont pas, en tout cas, leurs modernes héritiers. Ils me font plutôt rire jaune et grincer des dents, ces contemporains, penseurs de salon, experts de pacotille, qui se permettent d’effectuer un tri parmi les dictatures. Ils appellent à la croisade contre les uns et à la tolérance diplomatique à l’égard des autres. Ils considèrent que les résolutions de l’ONU ont de la valeur lorsqu’elles concernent l’Irak ou la Lybie et n’en ont point lorsqu’elles concernent les territoires occupés par Israël… Gaza, Bahrein, Qatar, Biélorussie… on ignore ! Grandeur et rayonnement de la France ? Oui, quand ce pays donnera l’exemple, se préoccupera réellement des droits de l’homme et choisira la voie de la démilitarisation et de la dénucléarisation. Pour l’heure, nous sommes aux mains des marchands de soupe et cela n’améliore même pas notre quotidien matériel.
La morale du jour m’est soufflée par mon adorable correctrice : « on n’utilise pas la totalité de notre cerveau, si on veut, on peut être encore plus cons. » Il y a de quoi méditer…

Notes :
(*) Nexter est le successeur de Giat Industries, fabricant du char Leclerc et autres mignons blindés utilisés pour le maintien de l’ordre.

(**) voir article sur le coût des opérations anti Khadafi, en Lybie : « les coûts de canon de l’armée française »
(***) fabriqué par Melox, filiale d’Areva.
(****) sans doute prolongés par un bon listing d’adresses de textes à lire, rédigés par d’autres mauvais Français, dans le « bric à blog » à venir… Il y a de la matière !

4 Comments so far...

François Says:

27 mars 2011 at 19:18.

Et encore, si la France était la seule…

Lavande Says:

28 mars 2011 at 13:46.

Allez écouter chez Clopine (Clopineries ci-contre) l’excellente chronique de François Morel sur France Inter

labasoche Says:

30 mars 2011 at 13:16.

Excellent blog sur des sujets brûlants! Il est vrai que le monde à la mémoire courte qu’il faut sans cesse réactiver.

Paul Says:

30 mars 2011 at 17:02.

@ labasoche – Merci ! C’est vrai que le monde a la mémoire courte et qu’il faut sans cesse lier l’actualité et l’histoire. Ce que certains appellent « renouvellement de la vie politique française » a plutôt les nauséabonds relents d’un sinistre retour en arrière. Vos encouragements ne peuvent que donner envie de poursuivre !

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