22 juillet 2012

Considérations pessimistes et ferroviaires

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive l'économie toute puissante .

C’est clair, tout va à vau l’eau (si l’on peut dire) côté ferroviaire ! Des sites d’info, des billets lus dans trois excellents blogs, divers événements survenus dans mon entourage m’ont inspiré ce billet. Au vu de toutes les données que l’on peut recueillir, une première conclusion s’impose, il faut moins de temps pour réduire à l’état de peau de chagrin un réseau de transport qui a fait la fierté de notre pays, que pour le mettre en place. Pour éviter les redites, je vous invite tout d’abord à relire un billet plus ancien publié ici-même et intitulé « splendeur et misère du rail ».

 Nous avons participé, il y a peu de temps, à une excellente animation en soirée, organisée sur les bords du Rhône par la maison du patrimoine de Hyères sur Amby et par le musée de la pierre à Montalieu. Le thème de cette soirée, balade, contes, musique et apéro, c’était le transport fluvial sur le haut-Rhône. Dans le cadre de l’exposé historique, j’ai eu l’occasion d’entendre cette anecdote qui, je trouve, résume à la fois l’évolution de notre réseau de transport et l’incohérence de nos décideurs… Au milieu du XIXème siècle, le transport des marchandises sur le Rhône s’intensifie (je vous prépare une chronique passionnante sur ce thème alors je ne vous en dis pas plus). Les divers gouvernements qui se succèdent décident de procéder à certains aménagements complexes, histoire d’améliorer une navigation fluviale plutôt périlleuse. Parallèlement, décision est prise de procéder à la construction de deux lignes de chemin de fer desservant les différentes régions traversées par le fleuve. La construction d’un canal, de plusieurs écluses, d’un nouveau port fluvial se termine. Ces équipements ne seront pratiquement jamais utilisés : la majorité du trafic a transité des bateaux vers les wagons.. L’âge d’or du chemin de fer est de relativement courte durée. Avec l’apparition des premiers camions performants et surtout le développement du réseau routier… le fret transite du rail vers la route… D’énormes investissements financiers et humains ont été consentis pour améliorer le trafic fluvial et ferroviaire : ils ne seront pas ou seulement partiellement amortis.

 Voilà pour l’histoire. Venons-en au présent. La SNCF traverse une période noire. L’entreprise a été démantelée en partie et scindée en plusieurs « succursales ». Des réductions drastiques d’effectif ont été opérées. Réseau Ferré de France (RFF) a hérité de l’entretien du réseau de voies ; la SNCF se charge de l’exploitation, mais seulement des grandes lignes rentables. L’heure est au TGV et à la liaison inter-cités, point final. L’objectif de l’opérateur est simple : il n’est plus question de service public et d’usagers satisfaits, mais d’entreprise performante et de clients rentables. Conséquence principale des réductions de personnel, la moindre panne prend des proportions considérables, le temps que l’on ait remonté la chaîne de décision et trouvé les techniciens et le matériel indispensable pour effectuer les travaux. La SNCF s’est délestée auprès des conseils régionaux de tout le trafic sur les voies secondaires. RFF assure l’entretien des voies, mais se fait payer en conséquence. Lorsque les collectivités régionales n’ont pas les moyens de financer les travaux nécessaires, la qualité d’exploitation se détériore et l’usager en paie les conséquences : trains supprimés, trafic au ralenti, retards innombrables. Les médias aux ordres en profitent au passage pour dénoncer la soi-disant incurie des cheminots, et insinuent que la dégradation des conditions de transport est lié au fait que la SNCF ne soit pas totalement privatisée ! Pour les instances régionales, la parade est toute trouvée : adieu le train, on remplace les lignes déficientes par des services par autobus.

 Les exemples ne manquent pas pour illustrer ce dernier propos. Une amie voulant aller en Italie, de Bourgoin-Jallieu à Milan, s’est vue proposer un trajet pour le moins complexe : Bourgoin – Chambéry par le train, correspondance avec un bus jusqu’à Turin, puis à nouveau train pour Milan. Explication donnée oralement par l’employé au guichet : de nombreux trains ont été remplacés par des autobus car le trafic ferroviaire est trop lent sur une voie unique qui ne répond plus aux besoins actuels… Ce cas de figure est loin d’être isolé. La SNCF elle-même a procédé de cette façon lorsqu’elle souhaitait mettre fin à l’existence de certains itinéraires, dans les régions jugées trop peu fréquentées. Parfois, lorsque le Conseil Régional ne se décide pas à prendre la décision, comme cela a été le cas dans la région du Puy, dans le Massif Central, c’est RFF qui annonce la fermeture d’une voie ferrée. Lorsque les usagers objectent que cette ligne est parfaitement rentable, RFF fait valoir l’argument « sécurité » : certains tronçons doivent être totalement réaménagés et le coût des travaux à prévoir est prohibitif. Autant rajouter un véhicule de plus sur la route !

 J’en étais à ce stade de mes cogitations lorsque je suis tombé sur le billet d’actualité du blog « massif central ferroviaire » dont j’ai déjà eu l’occasion de vous dire grand bien, dans le cadre d’un ancien « bric à blog ».  L’article intitulé « la drogue préférée des français ne coûte que 1,30 € le litre », ainsi que le billet suivant « Languedoc-Roussillon : après le TER à 1 €, le TER à 1 km/h »  (pour lire ce dernier texte, cliquer sur le lien « reste de l’actualité » à la fin du premier article) énoncent le même type de faits que ceux que je viens de vous raconter. Je partage entièrement le point de vue de l’auteur concernant l’automobile, et déplore tout autant que lui l’abandon dans lequel on laisse tomber d’une part le matériel roulant « ordinaire » et le réseau ferré secondaire. Pour ceux qui estiment l’exemple de Chambéry peu convaincant, voici un extrait du texte publié sur Massif central ferroviaire » : « On peut craindre, compte tenu de l’entretien très relatif des petites antennes ferroviaires concernées et de l’impécuniosité croissante des collectivités territoriales, que, sous couvert d' »harmonisation », de « cohérence », de « saine gestion des deniers publics », les dessertes routières soient généralisées à terme – c’est à dire après les prochaines élections régionales – sur toutes les lignes d’intérêt local ». La nouvelle devise des TER-SNCF deviendrait peu à peu, selon l’auteur : « A nous de vous faire préférer le car ! »

 Hasard ou volonté du dieu des blogs de me voir écrire ce billet ferroviphile, voilà que sur un autre site que j’aime beaucoup, « archéo-SF », je tombe sur un autre texte que je trouve fort amusant. L’idée est simple : et si l’automobile avait été inventée APRES le train, et que la découverte du trafic sur rail soit considérée comme un véritable progrès social… J’avoue m’être régalé à l’énoncé de cette idée. L’auteur de cet « excentricité » se nomme Jacques Pascal ; il a commis ce petit bijou en janvier 1934… Comme il s’agit bien entendu de Science Fiction, l’auteur situe son histoire dans le futur c’est à dire les années 1950… Un petit extrait pour vous mettre l’eau à la bouche : « En 1950 les routes sont fort encombrées et les accidents très nombreux. Mais les mesures de sécurité (comme le contrôle technique des véhicules!) sont onéreuses et les compagnies d’autoroutes déficitaires. Heureusement outre-atlantique on vient d’inventer des véhicules qui circulent sur des rails ! Oui des Railways ! Poussée par de puissants lobbies, cette nouvelle technologie, le chemin de fer, est en train de détrôner la reine automobile. Sentant la concurrence désastreuse pour elles, les compagnies d’autoroute se lancent dans la construction de voies ferrées… » Ou encore : « Coup de théâtre ! La Compagnie Paris-Nord obtient l’autorisation de construire une voie ferrée Paris-Lille sur son autoroute, en diminuant d’autant la plate-forme réservée aux véhicules automobiles : pas d’expropriation, et frais de construction réduits au minimum grâce aux caractéristiques techniques de l’autoroute. Ainsi la Compagnie réalise-t-elle, elle-même, le chemin de fer, pour qu’il ne se réalise pas contre elle. »
Merci à Archéo-SF d’exhumer de tels récits et de les proposer en téléchargement.

 Vous me direz que tout n’est pas totalement délirant dans cette fiction : les grands centres urbains ont bien « redécouvert » le tramway au cours de ces dernières décennies, après l’avoir enterré en grande pompe à l’époque ou voitures et autobus régnaient en maîtres sur les grands boulevards. Qu’est-ce qu’un tram si ce n’est un bus sur rail alimenté par l’électricité ! D’autres écrivains de SF ont également envisagé une régulation du trafic automobile en obligeant ces unités de transport individuelles à suivre un guidage électronique sur un rail commun (plus ou moins virtuel selon l’imagination du concepteur). Comble de l’humour ou talent de prophète, certaines associations proposent même à leurs clients avides de loisirs sportifs de se promener en « vélo-rail » sur les anciennes voies ferrées, lorsque celles-ci n’ont pas été précipitamment démantelées… Pour l’heure en tout cas, la situation est bien triste, à la fois pour les amis du rail, mais aussi pour ceux qui considèrent que le transport par le train, aussi bien pour les marchandises que pour les personnes, est sacrément compétitif sur le plan écologique… Nul n’est besoin pour cela de forcément créer de nouvelles voies à grande vitesse, comme dans le cas du projet Lyon-Turin. Nous disposons – pour quelques temps encore – d’une infrastructure ferroviaire remarquable. Dans bien des cas, il s’agirait simplement de rénover, de rectifier certains tracés scabreux, solutions qui sont certainement moins onéreuses et plus rationnelles que de vouloir sans cesse dévorer de nouvelles terres agricoles pour construire une seconde fois ce qui existe déjà. Une fois rendu le réseau existant performant, tant sur le plan des voies que celui du matériel roulant, il sera alors grand temps de se pencher sur le problème de la reconstruction de tout ce qui a d’ores et déjà été démoli.
Dans les années 30, il y avait une gare à trois kilomètres de notre domicile, et la possibilité à partir de là de se rendre à Lyon, puis n’importe où en France. La gare s’est éloignée de plus de 20 km. Nous avons de la chance, des trains s’y arrêtent encore… Pour combien de temps ? Quant à la ligne ferroviaire qui nous reliait à la capitale des Gaules (Chemins de Fer de l’Est lyonnais), elle a purement et simplement été démantelée et n’a même pas été remplacée par une piste cyclable comme c’est souvent le cas en Amérique du Nord par exemple.

La France n’est pas la seule à suivre cette politique ; loin de là. Les Etats Unis et le Canada ont donné l’exemple ; les Européens ont suivi. Il ne reste plus guère que la Suisse qui fasse des efforts pour maintenir en place son réseau de lignes secondaires. Il faut dire que la présence d’un nombre élevé de lignes de montagnes, avec ou sans crémaillère, constitue un attrait touristique indéniable. Tant qu’il y a des espèces sonnantes et trébuchantes, ma bonne dame…

NDLR – crédit photo – clichés 1 et 4 : photos Feuille Charbinoise –  clichés 2 et 6 source internet, wikipedia – cliché 3  : source internet  poitiers.transbus.org – dessin n°5 source internet archéo SF, article de Jacques Pascal.

5 Comments so far...

JEA Says:

23 juillet 2012 at 07:28.

Moins loin qu’en Amérique du Nord : en Wallonie, nombre de lignes de chemins de fer vicinaux ont été remplacées par des RAVEL. Un réseau de chemins aménagés pour les piétons et les cyclistes. Les itinéraires sont souvent surprenants. Loin des routes fréquentées, ils se glissent en solitaires dans des paysages que seule leur fréquentation ouvre aux passants…

Ferocias Says:

30 juillet 2012 at 07:52.

Merci pour la mention de l’article d’ArchéoSF. Il existe aussi en France des anciennes voies ferrées reconverties en chemins pour cyclistes et piétons avec parfois des fêtes rappelant l’ancienne destination de ces voies.

Pourquoi Pas ? Says:

5 août 2012 at 07:03.

Itinéraire étrange quand on sait qu’il existe un Milano-Chambéry direct…

Paul Says:

7 août 2012 at 11:53.

@ Pourquoi Pas ? – Il existe encore des liaisons directes effectivement mais les horaires ne conviennent pas forcément. Certaines liaisons jusqu’à Turin nécessitent maintenant d’emprunter l’autobus.

Paul Says:

7 août 2012 at 11:54.

@ Ferocias – Je crois que ce n’est pas la dernière fois que je citerai ArcheoSF tant vous publiez de choses passionnantes !

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