28 juillet 2008

Ecologie à la sauce n’importe quoi

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive la Politique .

Une belle série de reportages géographiques sur ARTE ces derniers jours, un peu « clichés », mais c’est l’été et on a bien le droit de rêver un peu aux endroits paradisiaques qui se cachent de-ci de-là sur notre belle planète. Ce qui est un peu suspect dans l’affaire c’est qu’il n’est plus possible, semble-t-il, d’envoyer une carte postale de voyage sans que ne figurent, au dos, les mots « écologique », « durable », « respectueux de l’environnement » et autres « compensés carbone », qui sont les clés du nouveau discours branché. Derrière chaque lieu visité, ces reportages présentent donc une expérience d’accueil touristique permettant de valoriser le milieu local, voire de le protéger d’éventuels prédateurs. Certains projets présentés comme les cabanes dans la canopée, au Cambodge, sont plutôt sympathiques, notamment si l’objectif mis en avant, à savoir la protection de la forêt primaire, habitat d’une espèce de singes en voie de disparition, les gibbons, est bien respecté. Mais tous présentent la particularité de laisser une grosse question sans réponse : à qui s’adresse ce type de tourisme ?

La réponse est venue dans le documentaire de vendredi soir sur une presqu’île magnifique en Australie dont les résidents ont su préserver l’écosystème des agressions liées au tourisme de masse. L’auteur du documentaire interviewe, sur un terrain de golf, la brave dame qui est à l’origine de toutes ces initiatives salvatrices pour le milieu naturel. Entre deux lancers de balle on peut entendre cette déclaration éblouissante : le tourisme durable a le mérite de s’intéresser plus à la quantité d’argent que peuvent dépenser les touristes qu’à la quantité de touristes elle-même. Que ces choses là en termes élégants sont dites ! En résumé, mieux vaut un petit nombre de visiteurs friqués auxquels on va offrir un séjour de charme dans une nature préservée, plutôt qu’un afflux de prolétaires dont la présence nécessitera la construction de lourdes structures d’accueil bétonnées plus faciles à rentabiliser. Mieux vaut vendre une nuitée dans une cabane en haut d’un arbre et un repas de brochettes cuites au feu de bois à un bobo citadin écoconscient, plutôt qu’un séjour en cellule bétonnée avec steack-frites obligatoires et animation intervillesque au bord de la piscine chlorée… L’un paiera 300 euros ce qui revient à 30 et l’autre 35 euros pour un « produit » à coût pratiquement similaire… C’est mathématique, la marge effectuée sur le premier séjour permet de réduire drastiquement le nombre de clients ! Le raisonnement tient debout si l’on ne tient compte que de l’aspect « impact sur l’environnement », mais me gêne nettement plus si l’on envisage son aspect humain et social…

C’est pas nouveau : les pauvres polluent, les riches sont distingués. Le très grand Reiser l’avait déjà exprimé en son temps, dans une série de dessins, avec l’humour caustique qui était le sien. « Gros dégueulasse » en vacances laisse plus de traces de son passage que Mr et Mme Gaïa, surtout lorsqu’ils laissent leur 4×4 au vestiaire ainsi que leurs godasses de sport fabriquées par les gosses en Thaïlande. Le tourisme « durable », « écoresponsable » et patati et patata, serait donc un tourisme friqué pour bourgeois en mal d’écologie. C’est un peu le message que l’on veut nous faire passer, me semble-t-il, à travers ce type de documentaires, qui sont monnaie courante à la télé et dans les journaux. La pauvreté et l’écologie ne feraient pas bon ménage. Certains courants écologistes d’extrême-droite aux US (eh oui ça existe !) justifient ainsi leur protectionnisme effréné, considérant que l’invasion du sol national par la « populace » mexicaine est l’une des raisons de la dégradation du milieu de vie qu’ils veulent protéger…

Il y a aussi un petit côté paternaliste et néocolonisaliste dans le propos qui est tenu dans ces reportages. A chaque fois, que l’on se promène à Ceylan, au Mexique ou ailleurs, c’est le « bon blanc écologiste propre sur lui » qui vient expliquer aux populations locales comment elles peuvent tirer partie intelligemment du tourisme en extorquant au visiteur, « moins bon, moins écologiste et moins propre sur lui » mais néanmoins blanc et friqué, un maximum de pognon. Pour ça, il faut évidemment mettre de côté ce comportement de sauvage avide de profits et cesser de détruire la faune locale pour nourrir sa famille ou de dévaster la forêt voisine, pour fabriquer du charbon de bois… C’est marrant ce renversement du discours. il me semblait, à moi, jusqu’à présent, que c’étaient les peuples autochtones, indiens, aborigènes, pygmées, qui comprenaient et respectaient la nature et que c’était l’homme blanc qui les avait poussés à l’exploiter à outrance. Tout change ma bonne dame, tout change ! Heureusement que l’homme blanc garde une longueur d’avance dans sa réflexion et explique maintenant aux autres comment il ne faut pas faire pour être responsable (comme lui) de ravages irréparables dans les écosystèmes !

Vous allez me trouver sans doute un peu cynique, voire même quelque peu négatif dans mon propos. C’est la faute à la joueuse de golf dont je parlais au début : elle a eu le don de m’énerver et, une fois la télé éteinte dans un geste rageur, j’ai été privé de la vision de la plage paradisiaque où j’irai passer mes vacances lorsque j’aurai réussi à m’asseoir sur mes problèmes de conscience ! Plus sérieusement, je trouve que trop de reportages à connotation écologique ignorent ce problème essentiel et incontournable : le nombre sans cesse accru d’habitants sur la planète, et le principe absolu selon lequel leurs droits doivent être les mêmes. Comment concilier la sauvegarde de milieux naturels sauvages et l’appétit que des millions de gens confinés dans des cages en béton ont de les découvrir ? Pire encore, lorsque les milliards d’êtres humains qui vivent dans des bidonvilles auront la même aspiration, comment gérer ce tourisme-là de façon durable ? Si l’écologie n’est qu’une attitude d’auto contrition judéo-chrétienne de bobos qui s’estiment un peu trop privilégiés et qui veulent bien redistribuer des miettes de leur bonheur, elle ne m’intéresse pas. La vraie question à se poser est : quel niveau de vie, notre planète, dans l’état actuel de nos connaissances, peut-elle offrir à chacun de ses habitants sans que son avenir soit compromis irrémédiablement ? J’ai beau chercher, je ne vois nulle réponse claire à cette question. J’espère que c’est simplement parce que je ne cherche pas au bon endroit. Quand un « seuil de richesse » clair et acceptable sera défini, alors là, on pourra tenir un discours intéressant sur la décroissance (pour certains) et la croissance (pour d’autres) de l’impact écologique.

Pour l’instant, le tourisme durable ou équitable, à mes yeux, a le même statut que l’artisanat de luxe ou le travail de certains artistes : il ne peut survivre que parce qu’il a des sponsors, peut-être motivés, mais il ne répond pas aux questions fondamentales posées par le tourisme de masse. J’attends avec impatience un reportage sur un village de vacances qui permettra, par exemple, aux touristes de manger bio pour un coût supplémentaire de 10 % seulement (différence de coût des matières premières utilisées, à condition qu’elles soient d’origine locale, et non surcoût lié au snobisme) ou de dormir dans un abri forestier provisoire pour pas cher, à condition de donner un coup de main aux locaux pour des travaux d’intérêt collectif… Les ampoules aux mains peuvent constituer d’excellents souvenirs de vacances ! Certains écologistes de pacotille apprendront ainsi que s’ils ne réclamaient pas sans arrêt du charbon de bois pour leur barbecue, ou des « bio » carburants pour leur bagnole, les forêts locales subiraient sans doute moins de dommages !

Je terminerai sur une note positive en disant que toutes les initiatives ne sont pas à mettre dans le même sac et qu’il y a actuellement des gens qui travaillent dans le sens d’un vrai développement du tourisme intelligent. Le problème c’est que la démarche artisanale de beaucoup d’associations qui œuvrent dans ce sens, rend les coûts exorbitants (coûts d’infrastructure et absence d’économie d’échelle) et que beaucoup de gens qui ont les moyens d’aller passer des vacances écologiquement catastrophiques, en avion, dans un complexe hôtelier quatre étoiles au bord de la mer en Turquie, n’ont pas les moyens d’aller faire de la rando à pied, avec hébergement chez l’habitant, dans un pays accessible en train… Il faudra qu’on m’explique les coûts faramineux de certains circuits de voyages proposés par des agences spécialisées dans l’écotourisme. Qu’un pour cent de l’argent collecté soit reversé pour la construction d’une école ou la fabrication de cuiseurs solaires, je veux bien. Mais à ma connaissance, cela ne justifie pas le fait de doubler ou de tripler le prix du séjour proposé !

NDLR : Les photos 1 et 5, illustrant l’article, proviennent de wikipedia commons et la photo 3 du livre de Edward Curtiss sur les Indiens. Les autres documents ont été « volés » à des agences de voyage !

2 Comments so far...

françoiselou Says:

30 juillet 2008 at 01:04.

Super article, je suis tout à fait d’accord avec toi !
Mais que veux-tu, si les pauvres commencent à vouloir des vacances de riches, où s’arrêteront-ils ? Après ils voudront manger bio, ne plus acheter de bouffe merdique et polluée et ils vivront plus vieux parce qu’ils seront en meilleure santé et qui c’est qui va payer leurs retraites, hein ? Et en plus comme disait encore Reiser : « Ils sont moches » et les riches n’aiment que les belles choses … tout ça est incompatible !!!

Bon, allez je rigole !
J’aime bien ton blog, je reviendrai …

Fil des jours Says:

1 août 2008 at 10:16.

Que tout cela est malheureusement vrai. Bravo pour l’article.

Marie

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