17 novembre 2013

Difficile de voir la ligne bleue des Alpes dans les brumes de novembre

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour... .

En m’asseyant devant mon clavier pour écrire ou pour consulter la liste des pistes de recherche que j’ai notées pour rédiger (peut-être) une chronique un jour, je m’aperçois que de plus en plus de sujets qui me tentent concernent l’histoire… Cela me contrarie un peu, car je ne voudrais pas que la « Feuille Charbinoise » devienne un blog exclusivement historique. Certes, je prends grand soin, dans beaucoup de billets, d’essayer de montrer les liens indiscutables existant entre bon nombre d’événements du passé et des faits considérés comme d’actualité… Je suis attentif également à démontrer l’importance à mes yeux d’une solide culture historique pour mieux comprendre les soubresauts du monde qui nous entoure. J’ai aussi tendance à penser que l’on gagnerait un temps fou si l’on ne reprenait pas, sans arrêt, des voies sans issue, ou du moins sans issue satisfaisante au regard de nos attentes. Du coup j’enrage parfois lorsque j’entends ressasser les mêmes rengaines ou que je vois fonctionner – à plein rendement – les éternels attrape-gogos (c’est sans doute le lot des presque-vieux grognons dont je fais partie un peu plus chaque jour !). J’ai envie, au passage, d’illustrer mon propos par un exemple que je trouve tout à fait opportun…

 Une recherche biographique passionnante sur plusieurs personnalités méconnues de l’entre-deux-guerres m’a conduit par exemple à découvrir des textes publiés dans des revues de gauche ou d’extrême-gauche quelques mois après la victoire du Front Populaire en France, en 1936. Les doutes, les inquiétudes et parfois même la colère qu’expriment un certain nombre de chroniqueurs de cette période rappellent sans aucun doute les propos tenus actuellement par les déçus de la Gauche molle. Au cas où vous vivriez sur une autre planète, sachez que ce que je qualifie de « gauche molle » c’est le parti  qui siège actuellement sur le trône présidentiel et domine largement l’hémicycle parlementaire. Un exemple de ce que pensaient les ancêtres des « indignés » actuels ? Voici les fragments d’un texte émanant du groupe « Nouvel Age » (*) relevé dans le numéro de juillet 1936 d’une revue fort intéressante, « Les Primaires » (**)…

« Le fait général à retenir est celui-ci : que le fascisme n’a triomphé que par la carence du socialisme pour l’édification du socialisme. Le fascisme n’a pas à proprement parler battu le socialisme. 11 a expulsé de la vie publique un combattant qui défendait — mollement— des institutions non socialistes. […] Le socialisme a été défaillant partout. Il a occupé les usines en Italie, il a dû les abandonner huit jours plus tard ; il a eu d’énormes morceaux du pouvoir en Allemagne, et la possibilité d’avoir tout le pouvoir, et il n’en a exactement rien fait. Il était le maître à Vienne ; il a construit des immeubles ; il n’a fait aucune réalisation économique. A la suite de ces échecs, le fascisme est venu, parce qu’il n’y avait personne pour oser gouverner. Le socialisme français saura-t-il, voudra-t-il, pourra-t-il gouverner ? […]
Si le fascisme ainsi compris réussissait à s’implanter partout, et d’abord en France (et si la France succombait, les autres démocraties seraient bien sérieusement menacées) qu’en résulterait-il ? D’abord la mort de la civilisation basée sur l’intelligence, le fascisme étant anti intellectualiste : si le phénomène fasciste durait, il mettrait, en péril la civilisation dont, par son inertie intellectuelle systématique, il tarirait les sources. […] Mais bien plus vite encore le fascisme aboutirait à la guerre. En fait, il nous y mène déjà, avec le bienveillant concours des vieilles démocraties. »

 Texte écrit en 1936… « La carence du socialisme pour l’édification du socialisme » responsable de l’arrivée au pouvoir de ce que nous appelons pudiquement maintenant « la droite populiste »… Cela mérite réflexion non ? Je sais bien que bon nombre de ceux qui ont mis un bulletin « Hollande » dans les urnes en 2012 ne se faisaient pourtant guère d’illusions et espéraient simplement que le PS, une fois installé au pouvoir, infléchirait un peu la politique ultralibérale de ses prédécesseurs. Certes, le simple changement de majorité politique de 2012 n’avait rien de comparable avec l’enthousiasme qui a accompagné l’arrivée du Front Populaire au pouvoir en 1936. Certes, les leaders « socialistes » actuels n’ont que peu de ressemblance avec leurs ainés, que l’on pouvait pourtant juger bien timorés à l’époque (le carriérisme politique n’est pas une nouveauté)… S’il n’y avait pas eu l’importante mobilisation populaire, le mouvement d’occupation des usines, les manifestations, il est probable que les conquêtes sociales obtenues à l’époque n’auraient pas été arrachés au patronat par la seule volonté bien tiède d’un gouvernement qui ne souhaitait bousculer personne. La mobilisation sociale de ces dernières années n’a rien de comparable avec celle de 36. Ce qui est dramatique c’est que l’étiquette « socialiste » a conservé une certaine aura qu’elle ne mérite certainement plus. Nos gouvernants actuels se montrent tout juste capables de continuer à avancer dans l’itinéraire clouté que leur a balisé la Finance internationale. Ils essaient parfois de donner une coloration plus humaniste à certaines de leurs décisions, mais sans jamais remettre en cause aucun choix économique fondamental : austérité, accroissement des inégalités, croyance aveugle dans le mythe d’une croissance économique indéfinie et d’une technologie capable de repousser sans fin les limites de l’exploitation de la planète… Les nouveaux maîtres se révèlent parfois pires que les anciens car ils surfent sur l’indulgence de ceux qui les ont portés au pouvoir.

  Tout cela pour dire que l’actualité nationale, comme celle qui déborde largement le cadre de l’hexagone, me laisse – pour le moins – perplexe, – pour le plus – bouillant de colère… D’où mon appréhension à écrire des chroniques sur le moment présent : inquiétude de lasser en répétant sans cesse les mêmes arguties, incapacité parfois d’apercevoir la moindre lueur d’espoir poindre à l’horizon, ou tout simplement fatigue liée à l’impression d’enfoncer des portes ouvertes. Quand le blues devient trop profond, je me replonge avec délices dans la lecture de textes du passé, ou je parcours avidement les colonnes d’un journal positif comme « l’âge de faire », ou d’un site d’infos revigorant comme « Utoplib ». Dans le premier cas de figure, je me dis que d’autres ont déjà compris et parfaitement analysé certaines situations qui se renouvellent de nos jours, et que leurs lumières ne peuvent que nous éclairer et nous empêcher de renouveler les mêmes erreurs tous les vingt ou trente ans. Dans le second cas, je m’aperçois que certain(e)s camarades, portés par une énergie considérable, n’hésitent pas à jouer les trouble-fêtes et à semer patiemment leurs grains de sable dans les rouages de la machine. Ce que d’autres font, pourquoi ne pas l’imiter et chercher  sans cesse de nouvelles solutions pour faire des trouées dans les nappes de brouillard qui s’accumulent à l’horizon ; montrer dans les faits qu’un autre monde est possible ; que les valeurs de compétition, de mépris, de lâcheté, de violence qui triomphent actuellement ne sont pas les seules que l’être humain est capable de promouvoir… Sans doute courons-nous le risque de ne bâtir que des châteaux de sable, des amoncellements éphémères que les vagues répressives sont capables de niveler ; mais lorsque les tas deviennent suffisamment nombreux, ils permettent de constituer des dunes. Lorsque ces dernières jouent pleinement leur rôle de digues protectrices, les paysages de l’intérieur des terres peuvent alors être modelés, tranquillement, à l’image des gens paisibles et pacifiques qui les habitent.

 Je parlais d’actualité un peu plus haut. Revenons-y… Que dire sur cette triste affaire des « bonnets rouges » qui n’ait pas été dit par d’autres ? Je partage totalement les analyses proposées par Patrick Mignard dans son blog ou celles de Superno (pour ce dernier, lien vers l’article concernant les « bonnets rouges »). Laisser le soin à un consortium privé de prélever des impôts : cela ressemble à s’y méprendre à certaines pratiques de l’ancien régime, lorsque les coffres de la royauté étaient remplis par ces personnages généralement peu scrupuleux qu’étaient les fermiers généraux ! A quand le remplacement du service des impôts par une S.A. Trésor public, dont les actionnaires seraient (au hasard) Suez, Vivendi et quelques fonds de pension d’outre-Atlantique ?
Par ailleurs, l’hypocrisie des politiques et des médias aux ordres me laisse sans voix : que ceux qui, ces dernières années ont apporté avec leurs propos autant d’engrais aux idées nauséabondes de la droite extrême, se permettent de pleurer aujourd’hui sur la montée des idées racistes dans l’opinion publique,  cela me donne la nausée. Il reste qu’il faut quand même surveiller, très attentivement, les gesticulations du Front National. Dans le contexte actuel, celles-ci pourraient bien déboucher sur des lendemains qui déchantent. La vigilance s’impose : après la catastrophe, il sera trop tard.
Politique internationale ? Deux sujets parmi tant d’autres… Les négociations en cours sur le nucléaire iranien ou sur la paix entre Israël et les Palestiniens… ; ces tragi-comédies ne me donnent guère envie d’épiloguer. Le cyclone en Malaisie ? Cela me rappelle de façon tragique la situation en Haïti, il y a quelques années, déjà évoquée dans ces colonnes.
Bref il y a du pain sur la planche et je vais continuer à pétrir, mais il y a des chances que les portraits de personnages plus ou moins connus et les évocations historiques se fassent de plus en plus nombreux, à moins qu’une grosse bouffée d’espoir n’apparaisse enfin à l’horizon brumeux de la ligne bleue des Alpes. Auquel cas je ne me priverai pas d’apporter mon grain de sel dans le fil de l’actualité bien sûr.

Ce texte a été écrit à l’occasion du sixième anniversaire du blog, la première chronique ayant été publiée un certain 17 novembre de l’an 2007.

NDA – (*) L’un des animateurs de ce groupe « Nouvel Âge », Georges Valois, était un personnage dont la trajectoire politique a été plutôt singulière : de l’extrême gauche à l’extrême droite (anarchiste, il est devenu monarchiste), puis à nouveau à l’extrême gauche (proche du courant distributiste)… Entré dans la Résistance, il est mort en déportation, à Bergen-Belsen en 1945.
(**) Cette opinion n’est pas l’expression d’un quelconque corporatisme. Je pense que cette revue, offrant l’opportunité aux instituteurs de témoigner de leurs divers talents artistiques, était une juste réponse à l’arrogance de quelques éminents membres du « secondaire ».

Un coup de pub pour finir !


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