28 février 2014

La chronique débile dont vous êtes le héros

Posté par Paul dans la catégorie : Delirium tremens; les histoires d'Oncle Paul .

monstre 1 1 – Panne d’inspiration devant la feuille blanche qui s’installe à l’écran ? Pas vraiment… L’envie simplement d’échapper au calibrage des chroniques habituelles : c’est parti, on verra où ça ira. Plus que d »une ceinture, vous avez besoin d’un parachute, au cas où, pour quitter l’habitacle. Un thème ? Non, pas de thème. Pas de méchants qui gagnent et de bons qui perdent comme c’est trop souvent le cas dans les histoires que je vous (me ?) raconte. Pas de coup d’œil inquiet dans le rétroviseur de l’histoire, de crachat dans la soupe politicienne ou de prophétie trop évidente à professer. Grimace devant la glace pour changer en sourire forcé, l’effroi que j’ai ressenti, il y a quelques jours encore, en voyant, ces regards vides d’espérance, ces dos voutés, ces démarches incertaines, tout cela quelque part dans un espace de tristesse publique. Mon histoire échappe au cadre habituel d’un exposé un tant soit peu rigoureux, avec une petite phrase un peu légère par ci par là pour détendre l’atmosphère. Pas de carcan stylistique, de sensibilité à ménager, de conventions à respecter. Ma chronique va sortir de ces sentiers que mes chaussures ont tracés dans la terre boueuse du jardin. Pas de thème, pas de règles, pas de carcan ; j’insiste. Les chroniques, ces mots mis côte à côte pour des raisons si complexes que l’on se noie quand on les cherche – les chroniques disais-je, ont bien le droit elles aussi de n’avoir un jour ni Dieu ni Maître et surtout pas de programme commun de gouvernement.

musique maestro 2 – Ecrire des histoires comme on aligne des notes sur une partition, avec des altérations, des silences, des rythmes aléatoires guidés par le rebond et la sonorité des mots ; puis de temps à autre, fin d’un phrasé musical, double barre pointée, on reprend le début du morceau, le temps que l’auditeur puisse intégrer la mélodie, et la fredonner en accompagnement. Imaginez qu’à ce point de mon histoire sans queue, sans tête, mais d’une certaine longueur déjà, je vous mette ce fameux signe musical, ce code informatique qui faisait boucler sans fin nos balbutiements de programme. Les musiciens, peut-être plus astucieux que leurs compères informaticiens ont trouvé la parade pour empêcher l’interprète de revenir sans arrêt à la ligne de départ : on revient au paragraphe premier, mais quand on l’a relu une seconde fois, on est dispensé de la corvée numéro 2 et l’on peut se précipiter tête baissée dans les pièges du paragraphe qui vient en troisième. Encore faut-il, bien sûr, que la ligne musicale du texte soit suffisamment mélodique, mais cela, l’auteur ne peut en juger. Le public est roi. Peut-être cela fonctionne-t-il sur ce texte, et l’on pourrait alors considérer le premier paragraphe comme un refrain. Le second paragraphe étant une sorte de mode d’emploi, il est parfaitement inutile de le relire jusqu’à plus soif. Quittons donc le mode mineur et ses notes interrogatives, et abordons, avec de multiples interrogations, la clé de fa du paragraphe 3.

pleine lune musicale  3 – Les chroniques ont le droit – aussi – de vouloir être approchées comme les partitions d’une sonate. Pourquoi sonate, et non concerto ou symphonie ? Tout simplement parce qu’elles ne concernent que deux mains et que leur gestation n’est l’œuvre que d’un seul auteur plus ou moins inspiré. Point d’orchestre pour interpréter une quelconque marche militaire ou un discours d’investiture. Juste quelques notes pour une mélodie champêtre, interprétées par l’instrument de votre choix  (ou presque) : l’accordéon fait danser et ne convient guère aux sonates que l’on écoute l’air grave et que l’on apprécie au rythme de petits claquements discrets de la langue contre le palais. Le cor de chasse n’est pas à sa place non plus ; sa puissance décomplexée pourrait bien attirer à la fenêtre un quelconque cervidé, plus à sa place – vous en conviendrez – dans une chênaie profonde que dans l’étroiture d’un blog. Je crois qu’il faut se résoudre à entendre une flûte traversière ou un haut-bois, un piano, un clavecin ou – entorse aux règles que se donnent les musiciens classiques – une harpe celtique au son si harmonieux…

livre dont vous 4 – Croyant se mouvoir dans un labyrinthe aux issues balisées, le lecteur est en droit, lorsqu’il aborde le paragraphe quatrième, de se demander comment le compositeur va négocier une sortie honorable et éviter les couacs disharmonieux qui sont le lot commun des séances de déchiffrage. Il est encore temps, puisque le morceau n’est point trop long, ni totalement écrit, de se livrer à une nouvelle pirouette. La plus simple  serait de renvoyer le lecteur-jongleur aux premiers mots du paragraphe 3. L’alibi ne serait plus alors la volonté d’aider la mémoire à enregistrer une quelconque mélodie ou à choisir un refrain, mais simplement de permettre à l’aligneur de mots de trouver comment se sortir d’une situation de création littéraire indéfinie qui pourrait lui occasionner quelques maux de têtes rédhibitoires. Il existe bien sûr une solution de facilité à laquelle recourt l’informaticien lorsqu’il se lance dans la littérature. Cela donne – je pense que vous connaissez le concept – un « Livre dont vous êtes le héros ». En ce qui concerne la présente situation, je crée un paragraphe numéro 5 qui se résume à une simple phrase « erreur de choix – votre lecture est terminée ». Il ne me reste plus qu’à trouver un schéma de lecture, d’une logique imparable, qui amène systématiquement le lecteur au paragraphe 5. Histoire de pimenter un peu le parcours, comme le font si bien les écrivains adeptes de cette technique littéraire, je peux ajouter aussi un paragraphe 6, avec une issue plus souriante, et introduire subtilement dans ce paragraphe-ci un choix cornélien : « rendez-vous à la case 3 si vous choisissez de vous reposer plutôt que d’affronter le crocodile géant habillé d’une armure à plaques » ou « affrontez courageusement le monstre que l’auteur du texte a placé habilement et sans trop savoir pourquoi en travers de votre chemin. Dans ce cas, le paragraphe 6 de la sonate, l’Allegro, vous attend de pied ferme. »

5 – Vous avez eu tort de choisir la fainéantise et la lâcheté. Cela fait belle lurette que votre sœur Anne a renoncé à tricoter en vous attendant. La chronique se termine là. Si vous êtes beau joueur, vous ne lisez ni le 7 ni le 28.

crocodile 6 – Le crocodile rentre dans la pièce ; il se jette sur la pianiste et n’en fait qu’une bouchée. Par respect pour ses congénères, il ne laisse trainer que le sac à main négligemment posé au sol. Il se tourne alors dans votre direction, ami lecteur, et se demande si le dessert qu’il a choisi va être à la hauteur du repas qu’il vient d’engloutir. Inutile de préciser que vous êtes nu comme un ver (enfin presque, parce que je souhaite que « La Feuille » reste accessible aux moins de 18 ans), sans la moindre arme sous la main, et que toutes les issues sont bouchées. La seule échappatoire qui vous reste est l’éloquence… Tentez de convaincre le crocodile que vous ne valez pas une messe ou une mousse au chocolat. Si vous manquez d’imagination, pensez aux hommes politiques qui savent toujours se tirer des situations délicates grâce à une pirouette.

ecoliere 7 – A part la logique inébranlable ou la conscience professionnelle, attributs fréquemment rencontrés dans le monde de la lecture, nul ne sait quel cheminement hasardeux vous a permis de glisser jusqu’à ce paragraphe puisque vous auriez dû périr dans d’affreux tourments de conscience au numéro 5, ou d’atroces douleurs physiques au numéro 6 (on se doute bien que de finir en biscuit apéritif entre les mâchoires d’un sac à main encore vivant n’a rien d’agréable). Mais admettons que Dame Nature ait autorisé votre survie. Je vous rassure tout de suite : l’écriture de « romans dont vous êtes le héros » est un peu passée de mode. On préfère maintenant le manga japonais qui se lit plus simplement de la fin jusqu’au début, en attendant qu’un quelconque bug sur une tablette de lecture ne vous oblige à lire Balzac ou Claudel de façon totalement aléatoire, en fonction des choix hystériques d’un processeur complètement déboussolé. Ce dernier procédé peut fonctionner avec cette chronique rebelle, mais la méthode manga est vraiment catastrophique. En plus vous courez à la déception car, à aucun moment de l’histoire, n’apparait l’écolière en jupe plissée qui va essayer de vous attirer à sa suite dans le labyrinthe des rues de Tokyo.

fire-alarm 28 – Le 7 étant un chiffre qui possède une consonance biblique, vous comprendrez que je n’arrête point là mes divagations. « Et le septième jour, satisfait de son travail, le créateur se mit à divaguer et à corriger d’un coup de pinceau rageur quelques unes de ses réalisations les plus pittoresques… » Non ça ne convient pas du tout ! Autant choisir 28 qui représente la somme du travail effectué les 7 premiers jours et justifie pleinement un repos sans cesse décalé le huitième jour. Vous me suivez ? Non pas vraiment ? C’était bien la peine d’aller perturber la sieste du crocodile et de l’empêcher d’écouter jusqu’au bout sa sonate préférée, celle qui se joue « au clair de lune ». Vingt-huit sera donc le mot de la fin d’une histoire qui n’a rien de bissextile. Il est temps de déclencher l’alarme incendie !

Post production et effets spéciaux : vous ne croyez pas que vous auriez mieux fait de lire une autre des six cent et quelques chroniques publiées sur ce blog plutôt que celle-ci ? Enfin, si vous l’avez lue pendant votre temps de travail, c’est moins grave…

5 Comments so far...

Rem* Says:

28 février 2014 at 15:58.

Dans l’art d’écrire une chronique débile qui ne veut rien dire, Paul est le héros par la grâce de savoir si bien la tourner… et cet art veut dire Kèk’choz, dame Michu !

L'Étrusque Says:

1 mars 2014 at 00:39.

Enfin une chronique sans prétention et compréhensible !
Je commençais à désespérer…

Paul Says:

1 mars 2014 at 09:35.

@ Rem* @ L’Etrusque – Merci d’avoir rompu le silence poli et condescendant qui a suivi la publication de ce texte. Dans la mesure où 2/500 ème de mes lecteurs m’encouragent à persévérer, je pense que je tiendrai compte de leur avis car j’adore les minorités agissantes… La catégorie « delirium tremens » est donc maintenue, après avis purement consultatif du très estimé F.A.R.C. (Front Anarcho Rural du Charbinat).

Lavande Says:

3 mars 2014 at 21:17.

Le non moins estimé (je l’espère en tout cas) F.A.C.G donne aussi un avis favorable.

les24heures Says:

5 avril 2014 at 12:07.

Salut,
A 7, Nous avons écrit un roman dont vous êtes le héros en 24h.
Vous pouvez retrouver le résultat ici :
http://www.amazon.fr/Tapir-mais-tas-mieux-aussi-ebook/dp/B00HYP0BEY

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