10 décembre 2008

Interrogations, perplexité et colère

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive la Politique .

Il paraît que c’est le soixantième anniversaire de la déclaration universelle des droits de l’homme, signée à Paris en 1948. J’attendais avec impatience le discours de Mr Hortefeux sur ce sujet, mais mon internet favori m’apprend que c’est Rama Yade qui va animer le cirque, « diversité » oblige dans le pays des « lumières ». Personnellement, je dédie cette journée aux milliards de citoyens de cette planète à qui cette déclaration a apporté des droits dont ils ne bénéficieront jamais. Je ne vais pas vous dresser une liste exhaustive de tous ces gens. Symbole pour symbole, disons que le premier nom qui me vient à l’esprit, ce matin, est celui du jeune Grec qui a été assassiné par un policier à Athènes, une balle dans le cœur, sans autre forme de procès. Sa mort illustre parfaitement le comportement d’une société de plus en plus répressive, qui ne sait comment contenir sa jeunesse autrement qu’avec des tasers, des flash-balls et des grenades lacrymogènes ; une société qui connaît sa énième crise économique, une crise de grande ampleur, avec son cortège de bouleversements sociaux, de révoltes et de colères. Si les peuples ne sont pas encore pleinement conscients de la gravité de la situation, les gouvernants, eux, se préparent activement aux troubles à venir. Dans la majorité des pays européens, et ailleurs aussi sur la planète, les gens qui sont arrivés au pouvoir ne sont pas des « enfants de chœur » et leurs premières « bavures » montrent bien qu’ils n’hésiteront pas à faire régner « leur ordre » à n’importe quel prix. On remet sur le devant de la scène toute une collection d’anciens nervis de l’extrême-droite, car « ce sont des gens compétents pour gérer les situations difficiles ».

Je suis en colère, certes, et ce n’est pas la première fois, mais aussi perplexe parce que je pense que certains ont encore besoin qu’on leur fasse un dessin, une démonstration brillante des conséquences de « la crise » dont on ne fait que ressentir les prémisses. Ces disciples de Saint Thomas ne réagiront sans doute que le jour où ils perdront leur emploi, verront leur retraite divisée par deux ou par dix, ou devront payer pour permettre à leurs enfants d’étudier, des sommes dont ils n’ont même pas idée. Je suis perplexe parce que la tâche est immense quand on se heurte à l’incrédulité, au doute systématique et que l’on ne sait plus par quel bout attaquer. Ce système est incapable de gérer les problèmes qui se posent à l’humanité, aussi bien sur le plan écologique que sur le plan économique et social. Nous fonçons droit dans le mur ; cela me paraît évident quand on voit le nombre de questions sans réponses qui se posent à l’heure actuelle. Je peux vous donner quelques exemples, mais il y en aurait des milliers à fournir pour illustrer mon propos. Quel avenir pour l’homme sur cette planète ? Peut-on m’expliquer comment une société basée sur le libéralisme, sur la recherche du profit immédiat, va pouvoir gérer de façon durable la crise alimentaire colossale qui se profile à l’horizon ? Les multinationales n’agissent qu’en fonction de leurs intérêts. Peut-on confier l’avenir de la planète à des gens qui ne voient pas plus loin que leur profit sur les dix années à venir (et encore !) ? Nos dirigeants, simples laquais à leur service, n’ont pas de souci plus important que leur propre réélection. La pantomime effrénée à laquelle ils se livrent au jour le jour absorbe toute leur énergie. Peut-on demander à ces gens de gérer des forêts dont le cycle de vie se mesure en siècle, de programmer l’utilisation de ressources fossiles dont la gestation a pris des millions d’années ? Ils ont laissé et laissent encore les océans se transformer en poubelles, les villes absorber les terres cultivables, les paysans s’entasser dans les bidonvilles… et n’ont, comme solution ultime à proposer, que la répression, toujours et partout. Ils rêvent d’une planète, devenue une vaste prison, avec quelques espaces naturels préservés pour leur servir de terrains de jeu.

Les médias sont aux ordres. Le couvercle est prêt pour étouffer les révoltes. Ceux qui descendent dans la rue, qui hurlent leur indignation et réclament un avenir meilleur, ne sont que des « casseurs », des « terroristes », des « étrangers trop intégristes et mal intégrés », ou, pire encore, « des jeunes », le fléau principal de nos sociétés. Ce sont des brutes barbares qui se permettent de siffler la Marseillaise, ne connaissent même pas le contenu de la « Déclaration » que l’on commémore aujourd’hui et doutent de la politique « sociale » de leur gouvernement. Dans l’indifférence quasi générale, jusqu’à aujourd’hui au moins, on distribue aux banquiers, aux industriels, l’argent qui déjà manque pour financer les services publics. Demain, on vous dira : « que voulez-vous, mon bon Monsieur, il n’y a plus rien dans les caisses ! C’est la crise ! Il fallait sauver les banques, l’industrie automobile, le bâtiment… Il a même fallu faire quelques cadeaux à nos électeurs les plus riches… L’école maternelle, l’hôpital public, l’électricité au même prix pour tous, l’aide judiciaire… C’était au temps de l’Etat-Providence ! » On teste aussi les réactions de la population à l’emploi de mesures répressives qui vont se généraliser dans les mois, les années à venir. Les chiens policiers sont impatients de mordre et il n’y a plus guère de barrières pour les arrêter.

Dans le même temps, des experts, des politiciens, des ministres compétents, vous expliquent que tout ça c’est juste un « dérèglement temporaire », que le libéralisme (ils appellent comme ça le « bon » capitalisme) reste la seule solution, mais qu’il faut le remettre sur les rails et surtout éviter pendant quelques temps que la locomotive ne s’emballe. « Il n’y a plus d’alternative ! Quel autre modèle avez-vous à proposer mon cher ? Vous trouvez que le goulag c’est mieux ? » On trouvera des boucs émissaires à vos malheurs actuels : quelques grands capitaines ayant eu la maladresse d’amasser des profits trop visibles, trop rapidement ; quelques pitoyables golden-boys rêvant de croisières, de golf et de palaces… On appellera à la rescousse nos « philosophes de salon », intellectuels véreux qui ne manqueront pas d’inciter le peuple à la croisade. Ils cracheront sur « l’intégrisme » des autres, parleront de « conflit de civilisation »… On se gardera bien de nommer le vrai responsable : un système économique dont la devise n’est pas « le respect des droits de l’homme » mais qui, au contraire, élève à leur plus haut degré désordre, injustice, inégalité, et misère. Méfiez-vous des boucs émissaires que n’importe quel pouvoir oppressif garde à portée de main ! Rappelez-vous qu’après 1929, les responsables c’étaient « les juifs accapareurs » qui profitaient de la misère du peuple… Aux Etats-Unis, pendant la phase « sauvage » de l’accumulation du capital, à la fin du XIXème siècle, les crises se répétaient à l’envie et chacune d’entre elles avait un nouveau responsable : généralement la dernière vague d’immigrés arrivés sur le continent. Un certain Théodore Roosevelt déclarait alors : « j’accueillerais avec plaisir n’importe quelle guerre tant il me semble que ce pays en a besoin (1897) ».

Personnellement j’en ai par-dessus la tête de cet « ordre » dont on nous vante les mérites à longueur d’images télévisées et de matraques sélectives. Je commence à rêver sérieusement d’un désordre nouveau. Il ne reste plus qu’à savoir comment l’organiser afin de ne pas retomber dans les ornières précédentes. Nous avons un besoin urgent de changer les règles de base du fonctionnement de cette société afin que, comme le disait Alexandre Jacob, « chaque homme ait droit enfin à participer pleinement au banquet de la vie » (J’espère que, depuis sa tombe, il me pardonnera d’avoir quelque peu modifié la tournure de sa phrase). Ce jour-là, on pourra commencer à commémorer des trucs sérieux.

No Comments so far...

fred Says:

10 décembre 2008 at 17:15.

En espérant que la (ou les) solution(s) pour sortir de ce genre de « crise » ne soit pas une guerre totale mondiale. Sinon on risque de retrouver après l’holocauste que ceux qui avaient accès à un abri anti-atomique correct. Soit les Suisses, le personnel de l’Elysée, les députés Français et les nantis auxquels tu faisais allusion. Sûr que l’ambiance risque d’être à la « déconne » avec un pareil panel !

Pourquoi pas ? Says:

10 décembre 2008 at 21:36.

Une note un peu plus positive, ou du moins plus artistique et plus graphique, sur la déclaration des droits de l’homme. Une version typographique animée ; tout ce qu’il faut pour me plaire : http://www.youtube.com/watch?v=hTlrSYbCbHE

Paul Says:

10 décembre 2008 at 21:52.

Très joli sur le plan graphique effectivement, mais la musique est un peu tannante. Quand on pense au nombre de ces principes qui ne sont même pas respectés dans nos « démocraties » occidentales, on est effarés. Mais il est certain que garder ce texte en mémoire est une bonne chose…

François Says:

10 décembre 2008 at 22:31.

Et Fred, les Suisses sont très sympas 😉

Sérieusement, je ne vois pas comment les choses pourraient changer fondamentalement sans passer par la case « Ca va faire très mal », malheureusement.

fred Says:

11 décembre 2008 at 10:23.

Y’a que la peur qui peut faire changer les mentalités, ce n’est pourtant pas faute d’essayer de la part de nos élites ! Mais je garde confiance en l’humanité ! Dans les moments difficiles, y’a toujours une forme de solidarité qui émerge !

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