7 janvier 2016

Un pas devant l’autre, tout simplement

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour...; Feuilles vertes .

IMG_2669 Un pas devant l’autre, tout simplement ; le plaisir de marcher, de batifoler, de baguenauder, de jouer à cache-cache en suivant un sentier au milieu des arbres ; loin de toute préoccupation de record, de performance ; un équipement réduit à une paire de chaussures confortables, des chaussettes bien douillettes et une veste bien chaude (enfin, selon la saison !). Après avoir été une évidence, au temps où l’on ne possédait pas d’autre moyen de transport ; après avoir été une corvée, alors qu’on disposait de moyens d’évasion performants ; marcher redevient un plaisir. Dans un monde où la vitesse, l’instantanéité, le rendement… priment ; de toute évidence, on réinvente le plaisir de cheminer d’une fontaine à un arbre, d’un arbre à un rocher, d’un rocher à une trogne, en perdant un temps fou, alors qu’il y a tant à voir, tant à faire, tant à découvrir, mais loin, très loin, si loin qu’on n’ira jamais à pied. La voiture écrase l’escargot que son conducteur ne peut voir. Le piéton peut se permettre un détour sur son chemin ; il sait qu’il gagnera la course et qu’il n’a pas besoin de ratatiner son concurrent à coquille. Peut-être que le marcheur, s’il évoluait à la vitesse du colimaçon, pourrait observer la fourmi chahuteuse qui refuse de trimer comme une ouvrière chinoise… Mais le monde qui s’ouvre à celui qui se sert de ses jambes est déjà si riche, à comparer de celui qui se projette dans le paysage à la vitesse d’une comète à quatre roues !

IMG_2684 La marche, pour être réelle source de plaisir, se doit d’être gratuite, sans objectif imposé, sans rendement nécessaire. Aller à pied chercher son pain c’est bien, c’est sûrement très écolo, mais c’est parfois lassant car la contrainte est pesante. Il y a une route et un parking devant la boulangerie. L’engin motorisé permet d’aller chercher la baguette en moins de temps qu’il n’en faut pour la manger. L’objet de la quête a son importance et malheur à celui qui, parti pour la boulangerie dans un but bien précis, s’intéressera à un tout autre objet : aux manœuvres de la pie par exemple ; celle qui s’échappe par bonds successifs des multiples embuscades que lui tend le chat de la voisine. A suivre l’oiseau facétieux, on pourrait bien perdre le chemin du fournil, perdre la raison et ne découvrir qu’une bague chatoyante dans un nid haut perché. Après une heure passée dans la forêt, verdict impitoyable : midi, la boulangerie est fermée ! J’entends d’ici le rire moqueur de l’écureuil à qui notre étourdi pourrait demander une couronne de pain bien croustillante. Vous comprenez ? C’est la faute de la pie ; l’homme de l’art vient de clore le volet de son échoppe… Eh bien tant pis, déjeuner sans pain, punition du saltimbanque.
Quant à aller à pied à son travail… Je crois bien que je ne l’ai jamais fait. Si cela avait été le cas, j’aurais eu bien des absences injustifiées. Dans la littérature on a beaucoup disserté d’ailleurs sur le « chemin des écoliers », mais fort peu sur celui des ouvriers. Imaginez un peu un « chemin des employés » ayant quelque ressemblance avec celui des vagabonds du cartable ! Imaginez la tête de votre DRH lorsque vous allez lui expliquer que « ce n’est pas votre faute mais… ».

chemins et murs En fait, marcher est une fin en soi. On marche pour marcher. On peut marcher avec un objectif certes, mais il faut alors que celui-ci n’ait nulle importance stratégique. Je décide d’explorer le chemin des contrebandiers, la voie romaine, la piste des bûcherons, le sentier des écoliers… Je vais jusqu’à la statue d’Apollon puis je rentre en longeant l’étang des saules et la haie d’honneur. Soit, car le but à atteindre n’est qu’un miroir aux alouettes. Le chemin appartiendra toujours aux contrebandiers, même si on ne va pas jusqu’au bout ; il y a beau temps que les écoliers prennent le bus ; quant à Apollon, il pourra continuer à sourire à Apolline même si je ne lui chatouille pas les arpions. Ce genre d’objectif à atteindre ne porte aucun préjudice à l’action même de marcher en folâtrant. Tant mieux si l’on peut tremper un pied dans l’eau fraîche de l’étang ; tant pis si ce plaisir est remplacé par la découverte au bout du sentier, d’un trou mystérieux qui permet d’entrer en contact avec le fin fond du fond des profondeurs d’un noir spectral. Une chauve-souris à la place d’un poisson-chat ; une empreinte fossile à la place d’un bloc de sel de contrebande ; une noisette soigneusement évidée par un campagnol, à la place d’une poésie griffonnée sur le carnet d’un écolier.

L’objectif ce peut être de faire un tour complet pour revenir à son point de départ… Moi, par exemple, je n’aime pas beaucoup les aller-retour, même si le point de vue que l’on a de sa route est fort différent. De toute manière, même si ce n’est pas le but avoué, c’est bien comme cela que ça se passe dans (presque) tous les cas. Le gars ou la fille qui va à Compostelle n’a que rarement l’intention d’y acheter une résidence secondaire. Il faudra bien qu’il rentre un jour ! La plupart trichent et prennent le train, le bus ou l’avion pour le retour…

dalles de pierre En ce moment, nous profitons des belles après-midi ensoleillées pour faire quelques circuits pittoresques dans notre région. C’est l’occasion pour moi de vérifier que Bernard Ollivier a bien raison sur ce point : l’envie de marcher vient en marchant. Les premiers pas sont ceux qui coûtent le plus ; après, un  mécanisme étrange se met en place. Le processus s’automatise dirait un ingénieur , et l’on avance, un pas devant l’autre, tout simplement… Quelle motivation nous pousse à aller de l’avant ? On ne sait plus guère : je vais aller plus loin qu’hier ; je veux savoir ce qu’il y a après le virage ; je me demande si on est encore loin du carrefour ; plus loin, dans la forêt, on trouvera un peu plus de fraîcheur… Instants magiques où l’on ne prend plus garde à sa fatigue, à l’horloge ou aux rendez-vous planifiés. Certes, en ce qui nous concerne, nous ne sommes que des apprentis marcheurs et nous n’en sommes pas rendus aux cinquante kilomètres par jour avec le sac à dos de 20 kg de l’explorateur forcené. Mais à notre échelle à nous, nous subissons un peu aussi la loi de l’adrénaline. Ne pas rebrousser chemin sauf si celui-ci nous conduit dans des impasses paysagères ou des lieux où il ne fait pas bon vivre, car l’ambiance et le décor jouent aussi un rôle essentiel dans le tableau. S’il est des régions où il est facile de trouver une relative quiétude en s’éloignant des zones habitées, il en est d’autres où cette démarche devient difficile. C’est dans ces endroits que l’on comprend l’expression employée par les géographes de « mitage du paysage ». Les chemins annoncés trompeusement par la carte sont alors des voies goudronnées, les sentiers zigzagants en forêt sont des pistes rectilignes défoncées par les engins agricoles ou forestiers, le paysage a été tellement bouleversé au cours des dernières années que l’on ne sait plus trop où l’on va. Renard, chevreuil et perdrix n’ont plus d’autres choix que de vivre au contact de l’homme et de ses armes à feu.

vieille carriere Je n’apprécie guère la marche sportive. Parfois lorsque nous errons dans les chemins creux ou les petits sentiers des boisés de par chez nous, nous sommes rattrapés et doublés par des gens pressés, généralement suréquipés, la tête haute, le regard fixé sur la ligne d’horizon. Cela ne correspond pas à notre manière de voir les choses. Je ne voudrais pas que la recherche d’une quelconque performance m’empêche d’observer un colimaçon, un écureuil qui saute de branche en branche, ou de m’intéresser au travail d’un bûcheron ou d’un jardinier assidu. Il ne faut pas oublier que la marche c’est aussi le plaisir de la rencontre. Ce n’est pas un hasard si j’ai utilisé, au début de ce billet, des verbes comme baguenauder ou batifoler. Cela ne veut pas dire non plus que je me traine comme un badaud en train de faire du lèche vitrines. Non, cela veut dire simplement que nécessité et hasard font loi. Je ne vais pas me priver d’observer le dessin des pierres sur un vieux mur, ou d’échanger quelques propos (souvent plus riches que l’on ne le croit) avec un autre promeneur décontracté. Un concert d’oiseaux musiciens, ou quelques plumes colorées aperçues dans le fouillis d’un buisson méritent bien une petite pause dans l’aventure. A propos de concert d’ailleurs, celui de la nature me suffit et je ne comprends guère qu’on ait besoin d’écouter du rap ou un boléro de Ravel quand on déambule dans une chênaie. Pourquoi se fermer au monde extérieur alors que la marche est un prétexte pour mieux l’appréhender.

plume a ne pas oublier Marcher, c’est bon pour la santé. Tant mieux ! Si marcher retarde une disparition toujours trop précoce, tant mieux ! Nous aurons ainsi plus de temps à perdre pour mettre un pied devant l’autre… Je plains cependant ceux qui ne marchent que pour faire plaisir à leur balance ou à leur médecin. Ceux-là le font souvent sur un tapis dans une salle de musculation : il n’y a que là qu’ils peuvent trouver tous les appareils de mesure dont ils ont besoin pour évaluer leurs « progrès ». J’espère que les arbres du parc qu’ils aperçoivent par la fenêtre leur donneront un jour l’idée de changer d’horizon et de jouer aux corsaires ou aux explorateurs. Peut-être pourront-ils se prendre au jeu  et transformer ainsi leur parcours vertueux (et ennuyeux) en aventure excitante !

J’exprime tout cela mais je ne le respecte pas forcément au quotidien, il faut le reconnaître ! Difficile de faire presque du surplace dans le tournoiement qui nous environne. La lenteur demande un temps d’apprentissage considérable et le bénéfice que l’on en tire est long à percevoir. Tout notre environnement incite à la célérité. Si l’on mange en dix minutes, on en a dix de plus pour lire ; si on lit en diagonale, on peut avaler deux fois plus de pages  ; le temps gagné sur la lecture permet d’aller au cinéma ; un court métrage laisse plus de temps pour travailler que la version longue d’un film soporifique ; si l’on peut se débarrasser en quelques heures d’un travail à temps partiel, on a plus de temps pour manger… Cercle vicieux de la vitesse qui nous permet de revenir sans attendre au point de départ et d’entamer un second circuit dont les performances seront encore plus éblouissantes. Je ne suis pas pressé de mettre un pied dans la tombe. Chaque jour qui passe, mon cahier de desiderata augmente. Je crains que ma curiosité ne soit insatiable.

4 Comments so far...

Lavande Says:

7 janvier 2016 at 16:51.

Waouh! Superbe !!!

Pour les gens qui, comme toi, aiment écrire, une jolie citation piquée dans la check-list du Monde:
« Ce n’est pas pour me vanter, disait la virgule,
Mais, sans mon jeu de pendule,
Les mots, tels des somnambules,
Ne feraient que se heurter. »
(Maurice Carême)

Rem* Says:

7 janvier 2016 at 16:57.

Belle balade que ce billet, merci !
Depuis mon enfance souvent d' »école buissonnière », j’ai toujours aimé baguenauder – joli verbe poétique – et ainsi avoir moulte surprises des beautés et de l’intelligence de la nature…
Un seul exemple : je me suis un jour posé le cul à terre pour admirer la technique de passereaux à se nourrir de grains : lorsque le blé est mûr, il se pose sur le haut d’un côté de l’épi de telle façon que son poids (si léger!) fasse souplement fléchir la tige jusqu’au sol : et là, il peut tout tranquillement becqueter. Cela n’étant donc possible qu’en lisière de champ…
Mais même la marche « utile et citadine » peut être poétique. Dans les années 80, on m’a surnommé « le piéton de Genève ». Dame, je passais l’essentiel de la journée à piétonner la ville avec deux sacs : dans l’un, des affichettes de spectacles à distribuer au hasard des boutiques croisées. C’était « alimentaire » et occasions de bavarder avec des inconnus. Dans l’autre sac, mon matériel photo, pour d’insolites photos.
Et j’ai ainsi aidé bien des genevois, trop automobilistes, à découvrir leur belle vivre, lors de mes expos-photos…
Ce temps-là est bien loin, puisque mes vieilles jambes, désormais, souffrent à partir de 50 mètres de marche…
Mais, comme le dit mon fils : tu marches bien dans ta jeune tête de mule!

la Mère Castor Says:

8 janvier 2016 at 17:17.

tu es comme l’enfant d’éléphant de Kipling, que son insatiable curiosité a emmené jusqu’au fleuve Limpopo, qui est gris-vert, comme de l’huile et tout bordé d’arbres à fièvre… Gare au crocodile !
Mais je m’égare, belle promenade par chez toi, merci !

fred Says:

11 janvier 2016 at 13:02.

Depuis que ma voiture est tombée en panne, et que je ne me hâte pas pour la faire réparer (depuis l’été dernier), je marche beaucoup, je préfère ça au vélo finalement, c’est moins crevant, surtout quand tu habites en haut d’une côte sévère ! Et je vais au boulot à pied donc ! une heure de marche de bon matin et une heure de marche le soir pour rejoindre mon logis ! et bien c’est vrai que la vie n’est plus la même. Je redécouvre plein de choses … et plein de gens que je ne voyais plus lorsque je fonçais dans mon bolide !

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