24 décembre 2007
Le lointain aïeul de Clément Ader
Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire; Sciences et techniques dans les temps anciens .
C’est la période des fêtes, il paraît qu’on doit se détendre un peu, alors on va jouer à… « Questions pour un champion » ! Si je vous demande : « savez-vous quel est le père de l’aviation moderne ? » je pense que vous répondrez sagement : Clément Ader (en bon Français que vous êtes), les frères Wright (parce que la toute puissance de la science made in US vous impressionne) ou Icare (parce que vous êtes attentifs et que vous avez vu les mots « lointain aïeul » dans le titre). Et bien vous avez faux dans tous les cas. N’en déplaise à notre complexe de supériorité occidental, c’est encore du côté du monde arabe qu’il va falloir se tourner pour avoir une réponse un peu plus solide.
IXème siècle en Espagne : la domination arabe s’est largement imposée sur une grande partie du territoire. C’est l’époque de l’Emirat de Cordoue et du règne d’Abd al-Rahman II. Ce souverain est entouré de l’une des cours les plus brillantes d’Europe à l’époque : il rassemble autour de lui des érudits de toutes origines et de toutes confessions. Le royaume d’El Andalùs va connaître une période assez longue de coexistence pacifique entre les trois grandes religions qui se côtoient autour du bassin de la Méditerranée. On ne sait pas si cette coexistence inclue également les incroyants de tout poil, car finalement ils n’ont laissé que peu de traces dans l’histoire, à part, bien sûr, les fumées des bûchers et leurs détestables conséquences climatiques… On ne se préoccupe pas non plus des Témoins de Jéhovah car, à l’époque, les Atlantes ne les ont pas encore déposés dans la Cordillère des Andes… Trève de digression et revenons à nos érudits. Parmi eux, citons deux personnages de grande envergure (intellectuelle, va de soi) : le musicien Ziryab et le savant-philosophe Abbas Ibn Firnas. Ce dernier personnage se fait très vite remarquer par quelques inventions spectaculaires : clepsydre perfectionnée (horloge à eau) et planétarium par exemple. Il met au point également une technique de taille du cristal de roche.
Mais son truc à lui, Ibn Firnas, c’est l’aéronautique. On ne peut pas dire qu’il est tombé dans la marmite quand il était petit car la marmite n’existait pas, mais il a été très impressionné, un jour, par la tentative d’un de ses correligionnaires, Armen Firman, qui, en 852, teste un parachute de son invention et saute du haut d’une tour à Cordoue. Nouvelle digression : je présente mes excuses à Léonard de Vinci, souvent signalé comme l’inventeur du parachute, mais lui non plus…
Cet exploit oriente les travaux d’Ibn Farnas dans une nouvelle direction. Lui aussi est repris par le rêve mythique d’Icare et de Dédale : être libre d’évoluer dans l’air comme les oiseaux. Il étudie donc longuement le vol des aigles et se confectionne des ailes en bois, habillées de soie, sur lesquelles il a pris soin de coller des plumes de rapaces. Il convoque ensuite une large assemblée dans une vallée un peu à l’écart de Cordoue, et, pour bénéficier de la plus haute altitude possible au départ, se jette du haut d’une tour en bois qu’il a fait construire pour cette occasion. Il vole pendant une dizaine de minutes, mais l’atterrissage se révèle problématique et il se casse les deux jambes. Il n’en reste pas moins qu’il a effectué un vol élégant et qu’il ne s’est pas écrasé comme un vulgaire sac de sable. Pour donner toute la mesure de son exploit, précisons également que, d’après les historiens, il est âgé d’environ 70 ans lorsqu’il passe son brevet de pilote !
Il ne se décourage pas pour si peu et si son âge avancé et sa mort une dizaine d’années plus tard ne lui permettent pas de renouveler sa tentative, il se livre à un examen approfondi de son expérience et en déduit, avec quelques siècles d’avance, que ce qui manque à l’équipement de son appareil, c’est une queue ; les ailes ne suffisent pas, le dispositif doit être plus complexe pour être plus manœuvrable.
Ce qui est certain en tout cas, c’est que Clément Ader n’est pas le premier homme a avoir volé volontairement pendant quelques minutes. Le seul élément sur lequel on peut « ergoter » c’est que notre valeureux français est parti, lui, du sol horizontal et n’a pas eu besoin d’une tour pour décoller ! Mais pour le reste, il faut rendre à Ibn Farnas ce qui est à Ibn Farnas et se rappeler que la lecture (au sens d’interprétation) des événements historiques varie drôlement d’une culture à une autre. Si vous avez des amis Turcs, demandez leur par exemple comment on leur parle d’Attila dans leurs livres d’histoires ! Ibn Farnas possède un timbre à son effigie (en Lybie…), une statue (en Irak…) et il a donné son nom à l’un des cratères de la Lune (la même pour tous heureusement).
Ndlr : petit trou dans les chroniques ces jours-ci, un microbe s’étant lâchement et successivement attaqué à ma connexion ADSL et à ma connexion intestinale… Et puis finalement, une histoire qui fait planer, c’est pas mal la veille de Noël non ?