15 janvier 2016

Yax’che, l’arbre de vie des Mayas

Posté par Paul dans la catégorie : voyages sur la terre des arbres .

majestueux Ceiba  Au centre de la terre apparut un arbre gigantesque dont les branches se développèrent dans toutes les directions. Il apportait aux hommes toute la nourriture dont ils avaient besoin et permettait aux esprits des morts d’accéder aux niveaux célestes. Lorsque ces esprits atteignaient enfin la canopée de l’arbre, ils étaient confiés aux bons soins des treize divinités qui se partageaient le monde supérieur. Telle était la considération que les Mayas portaient à cet arbre que les botanistes européens nommèrent Ceiba pentandra (sachant que le mot Ceiba vient de la langue taïno parlé par les Amérindiens des Grandes Antilles). Les explorateurs remarquèrent que le Ceiba Pentandra possédait un fût d’une dimension impressionnante et se prêtait certainement à la fourniture d’un bois d’œuvre de premier choix. Ils s’aperçurent ensuite que la matière soyeuse entourant la graine possédait d’intéressantes propriétés. On appela la fibre « kapok », quant à l’arbre, plutôt que d’utiliser le nom difficile à prononcer que lui donnaient les autochtones, il fut baptisé « kapokier », « cotonnier d’inde » ou « savonnier » selon les régions où on le découvrit. Les négociants commencèrent à remplir la cale de leurs navires avec les troncs fournis par les plus beaux spécimens. La « communion » avec « notre mère la terre » prenait une toute autre dimension… Celle qui, entre autres, allait initier l’accumulation de capital et la Révolution industrielle en Europe, pour le plus grand malheur des autochtones. Mais ceci est une autre histoire diront les amis naturalistes. Revenons à notre arbre mythique.

kapok Nombreux sont les géants de la forêt pour lesquels on a envie d’employer des superlatifs à profusion : le plus grand, le plus massif, le plus précieux, celui qui a le bois le plus utile… Le Ceiba pentandra en fait partie, même s’il n’est guère mentionné dans les livres de record. Ce qui est étonnant c’est que l’essentiel de la documentation que l’on peut trouver sur le Kapokier provient de sources anglophones. Un tour rapide dans ma bibliothèque m’a permis de constater qu’il est pratiquement ignoré dans les guides naturalistes en langue française ayant trait aux arbres. Certes il ne pousse pas sous nos latitudes, mais bon… J’ignore la cause de cet ostracisme.
Cet arbre majestueux peut vivre au moins deux cents ans et atteindre 60 mètres de hauteur (à titre de comparaison, le chêne Rouvre de nos forêts atteint une quarantaine de mètres pour les plus beaux spécimens). Le milieu tropical est favorable à sa croissance qui est estimée de l’ordre de 4 m par année. La silhouette de l’arbre est assez caractéristique : les branches horizontales sont étagées et largement étalées, formant une canopée assez dense qui abrite de nombreux hôtes. L’écorce est lisse, mais elle est couverte de grosses épines coniques. D’énormes contreforts également épineux soutiennent l’arbre et permettent au tronc de se dresser droit vers le ciel à une hauteur impressionnante. Les feuilles sont palmées et comportent cinq à neuf folioles. Elles mesurent 10 à 18 cm de longueur totale. Les fleurs, n’ayant rien de remarquable (à part leur odeur désagréable), apparaissent avant les feuilles. La floraison est parfois irrégulière et peut ne pas se produire certaines années. Ce sont des chauve-souris qui assurent la pollinisation et permettent l’apparition des fruits, en forme de capsule elliptique, ligneuse et pendante. Lorsque le fruit est mûr et s’ouvre, apparaissent alors un duvet blanchâtre (le fameux kapok) et des graines brunes qui se dispersent au vent. On s’est très vite aperçu que ce duvet constituait une matière première intéressante pour le rembourrage des oreillers, des coussins, des matelas ou des manteaux d’hiver. Le kapok est en effet imperméable, imputrescible et très isolant. Le seul défaut de cette fibre est d’être assez facilement inflammable.

gilet sauvetage kapok Une petite anecdote au passage concernant l’inflammabilité du Kapok…. En 1942, le paquebot français « Normandie », stationné dans le port de New York est réquisitionné par le gouvernement américain qui décide d’en faire un transport de troupes… Les travaux débutent : il est nécessaire de démonter les équipements et le mobilier de ce transatlantique pour améliorer ses capacités. Le 9 février 1942, des ouvriers travaillent dans le grand salon du navire. Un coup de chalumeau malheureux enflamme les paquets de gilets de sauvetage en kapok qui ont été entassés à cet emplacement. Le feu se propage de manière fulgurante. Les bateaux pompes déversent d’énormes quantité d’eau pour éteindre l’incendie et provoquent le naufrage du paquebot… Il s’agit là de la version « accidentelle » de cette histoire. Dans les années 60, des responsables de la Mafia reconnaitront que l’incendie est en réalité criminel : « petit règlement de comptes » avec les autorités locales pour appuyer la demande de libération du mafieux Luciano. Au cas où l’administration aurait fait un geste, la Mafia new-yorkaise aurait pu assurer une meilleure sécurisation du port contre les sabotages ! Le Normandie, victime du kapok ou de la mafia, selon la façon dont on interprète les événements, ne sera jamais renfloué.

planche botanique ceiba L’attrait pour le kapok était tel que l’on rechercha le « kapokier-savonnier » dans les forêts tropicales de différentes régions du monde et qu’on en fit pousser quelques plantations là où il ne croissait pas spontanément. L’Amérique centrale n’est pas la seule zone où pousse le Ceiba pentandra. On le trouve aussi en Afrique centrale et il est devenu « invasif » dans certaines îles du Pacifique où il s’est implanté de manière plus ou moins spontanée. Au XXème siècle, l’intérêt pour le kapok a baissé, car des fibres synthétiques moins onéreuses à fabriquer ont concurrencé le matériau naturel. Les importations en Europe se sont alors effondrées. Ces dernières années, avec la vogue du « retour au naturel », la tendance commence à s’inverser et certains sites proposent à nouveau coussins ou doublures en kapok.
L’intérêt pour le bois, lui, ne va pas en diminuant, même s’il est d’une qualité moyenne (bois tendre et plutôt spongieux) et ne présente pas l’intérêt de l’ébène ou du palissandre. On l’utilise massivement pour la fabrication des contreplaqués : son tronc régulier se prête bien au déroulage. On se moque alors de sa capacité à produire un matériau isolant : seul le diamètre et la longueur du fût intéressent les négociants. D’immenses parcelles de forêt sont abattues dans le cadre de son exploitation.

le geant vu du sol Le kapokier constitue un véritable écosystème à lui tout seul. Les fissures le long de son tronc, les creux le long des branchages, abritent de nombreuses espèces végétales : des orchidées, des fougères, des broméliacées… profitent de son ombrage et des zones de plus ou moins grande humidité que permettent l’entrelacement de ses branches immenses. De nombreuses espèces d’insectes (papillons), de reptiles (iguanes, serpents) ou de mammifères (chauve-souris, rongeurs) trouvent un abri confortable dans toute cette végétation. On ne trouve pas de kapokiers dans les arboretums européens. On peut en observer de magnifiques spécimens dans les parcs au Mexique, en Californie ou dans les Caraïbes. L’arbre apprécie la chaleur et l’humidité. Il a besoin d’un sol riche et d’une grande luminosité. Il résiste difficilement au gel (-5° selon certains guides de plantation, sous réserve d’un taux d’humidité suffisant).

IMG_3544 L’arbre occupe une place importante dans la mythologie des peuples vivant sous les tropiques. Aux Antilles, les habitants pensaient que le Ceiba était habité par des esprits appelés Soukougnans qu’ils craignaient beaucoup. Ces Soukougnans sont des créatures étranges. Le jour ils ont l’apparence ordinaire de personnes humaines. La nuit, grâce à un accord passé avec le diable, ils se dépouillent de leur peau. Leur corps devient lumineux et léger et ils se déplacent dans l’air comme des feu follets. Ils se précipitent sur leur victime et sucent le sang comme des vampires. Cette histoire connait de multiples variantes comme tous les récits issus de la tradition orale. Lorsque l’on rencontre un Soukougnan, il ne faut surtout pas le montrer du doigt ou prononcer son nom car vous devenez alors l’objet de sa vindicte. La conduite la plus prudente consiste, la nuit, à fermer portes et fenêtres après les avoir ornées d’une croix blanche. Brûler un soupçon d’encens renforce la protection. Pour se débarrasser définitivement de cette créature maléfique, le meilleur moyen est de trouver sa peau et de la badigeonner de sel ou de piment. Le Soukougnan ne peut plus reprendre son apparence humaine, et la lumière du jour lui est mortelle. Certaines descriptions de Soukougnans sont beaucoup plus sympathiques : un conte de la Guadeloupe les présente simplement comme de grands oiseaux de nuit avec les plumes noires et brillantes.
Les Soukougnans se font de plus en plus rares au XXIème siècle : peut-être faudrait-il envisager d’inscrire leur nom dans le livre des espèces menacées. Inutile en tout cas de vouloir couper les Kapokiers pour se débarrasser de ces démons en herbe ; les négociants en bois s’en chargent avec méthode…

cosmo3 Les représentations de Yax’che, l’arbre sacré, sont nombreuses dans la mythologie maya. Le Ceiba pentandra est d’ailleurs l’arbre national du Guatémala depuis 1955. Tous les dessins laissent apparaître la partie souterraine et la partie aérienne de l’arbre et permettent une vue synthétique de la cosmologie maya. Aux quatre points cardinaux se trouvent les Bacabs, un groupe de quatre frères, fils de Itazmna et Ix che. Ils sont associés chacun à une couleur et à une période du calendrier. Ils supportent les différentes strates du ciel et leur rôle est fondamental lorsque les prêtres veulent lire les augures concernant les récoltes. Chacun des treize niveaux du ciel possède son dieu principal. Au niveau le plus élevé habite Hunab’Kú. Le niveau du sol, la terre des humains, est représenté par un caïman. Le sous-sol comporte neuf strates, chacune habitée par une divinité également. Le niveau inférieur est le domaine de Ah Puch, le dieu de la mort. Le code des couleurs est précis : Yax’che qui supporte l’ensemble de l’édifice est généralement vert. Cantzicnal, le Bacab associé au Nord est blanc ; Hazonek (Sud) est jaune ; Zaccimi (Ouest) est noir ; Hobnil (Est) est rouge. Toutes les informations mentionnées ici sont apparentes sur le dessin que j’ai choisi pour illustrer ce paragraphe. La page « cosmologie » du site « Authentic Maya », vous permettra de compléter vos connaissances. Vous serez certainement surpris, comme je l’ai été, de la richesse de cette mythologie, témoignant d’une grande masse de connaissances accumulées sur l’univers.

IMG_2183 Ce n’est pas un hasard si un arbre joue un rôle essentiel dans la cosmologie des Mayas. Ce n’est pas étonnant non plus qu’ils aient choisi le plus majestueux d’entre-eux comme symbole. La forêt tropicale est omniprésente en Amérique centrale et les peuples autochtones en tirent l’essentiel de leurs ressources, aussi bien sur le plan nutritionnel, médical ou énergétique. Ils se servent du bois pour la construction de leurs demeures, pour cuire leur nourriture ou pour fabriquer leurs canoés (notamment du Ceiba Pentendra pour ce dernier usage). Les arbres leur offrent des teintures, des médicaments, des fruits et même un support pour leur écriture. Ils servent bien souvent d’abris et offrent leur ombre pour protéger des rayons ardents du soleil. Des Ceibas se dressent au cœur des villages et des villes mayas. Ils jouent en quelque sorte le rôle d’arbres à palabres comme les baobabs dans les villages africains.
Les temples sont en forme de pyramides et, comme l’arbre mythologique, permettent l’accès des mortels aux différents niveaux du ciel (comparer les deux dernières illustrations). Notez enfin que dans les gravures des Mayas, le Ceiba est fréquemment représenté par une croix (les quatre points cardinaux) ce qui a grandement simplifié l’adoption de la croix des conquérants catholiques, les deux représentations étant en partie compatibles. Le catholicisme est très implanté en Amérique centrale, mais les rites romains sont bien souvent confondus avec d’anciennes pratiques religieuses locales. Une nouvelle fois je sens que je vais dévier de mon propos initial et préfère m’arrêter là en espérant avoir nourri un peu votre curiosité !

 Petites précisions concernant cette chronique : le choix du thème m’est venu tout naturellement en lisant les chroniques successives que publie mon fiston voyageur au fil de son périple en Amérique centrale. La source est la même pour les photos 1, 5, 6 et 8. Il y en a des centaines d’autres à admirer sur « Rue du Pourquoi Pas« . Celles-ci ne sont destinées qu’à vous mettre l’eau à la bouche… De nombreuses recherches documentaires sur le web m’ont permis de compléter les informations qui me manquaient. Wikipedia Commons est la source des illustrations 2 et 3. La photo 6 provient du site « Authentic Maya » dont j’ai donné les références dans l’avant dernier paragraphe. La photo 3 provient du site « Royal Dragons » vente d’antiquités militaires.

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