17 avril 2016

« On ne résout pas un problème avec les modes de pensée qui l’ont engendré »

Posté par Paul dans la catégorie : Bric à blog .

Bric à blog du réveil printanier qui se manifeste partout !

studios radio debout Bon c’est un peu mégalo de piquer à Einstein le titre de cette chronique, mais cette pensée profonde me semble tout à fait au goût du jour et mériterait qu’on lui accorde une grande attention. Il semble qu’il y ait quelques frémissements dans le champ social si l’on en juge par les dernières mobilisations plutôt prometteuses. On aimerait lire et entendre plus souvent des discours comme celui prononcé par Frédéric Lordon, lors de la première « nuit debout » à Paris… Du même orateur, je retiens cette phrase de son intervention du 12 avril au soir parce qu’elle me paraît extraordinairement lucide : « Comment un mouvement sans instance dirigeante se détermine-t-il à prendre une voie ou une autre ? Il est certain en tout cas qu’il doit en trouver une. Un mouvement qui ne se donne pas d’objectif politique s’éteindra rapidement. Soit parce qu’il aura épuisé la joie d’être ensemble, soit parce qu’il sera recouvert à nouveau par le jeu électoral. » Le pouvoir politique et les médias aux ordres se livrent au jeu cynique habituel : extraire de la colère de la rue quelques revendications faciles à satisfaire ; trouver des interlocuteurs (trices) prêts à s’assoir sur les fauteuils des ministères pour négocier quelques miettes. Politiques et journalistes veulent des « leaders représentatifs ». Les concepts d’assemblée populaire, de mandat limité, de décision collective n’existent pas dans leur champ culturel ou leur font simplement trop peur pour qu’ils en admettent la réalité. Côté pouvoir, rien de neuf à l’horizon, que de vieilles ficelles usagées ! Je comprends qu’une frange assez large de la jeunesse trépigne d’impatience et rêve d’un autre avenir. Avec les outils dont nous disposons, celui-ci ne relève aucunement d’un délire utopique !

P4100_228 Slogans, pancartes, graphismes muraux, écrits divers, témoignent par contre d’un retour de l’imagination dans la pensée sociale et ce ne peut être qu’une bonne chose. Il serait grand temps de faire le ménage dans le champ politique, national comme international. « Virons la droite, nationaliste, Républicaine ou socialiste » ainsi que le suggère la banderole figurant en tête de paragraphe, avant que les vagues de nausée répétitives ne viennent à bout de nos maigres forces.
L’actualité récente concernant les sphères du pouvoir politique et économique montre que la crapulerie est toujours largement associée à la démagogie et à l’ignominie. En témoignent les récentes affaires de paradis fiscaux, la gestion inhumaine et cynique du problème des réfugiés et l’amnésie quasi-générale des médias aux ordres concernant les mouvements sociaux en cours. Aucune analyse sérieuse du terrorisme intégriste dont on nous rabat les oreilles. On saura bientôt tout ce qu’il est possible de savoir sur les boîtes de nuit que les stars de la ceinture d’explosif ont fréquentées ; rien sur le fait que le nombre d’illuminés de la foi infaillible semble suivre une courbe dangereusement ascendante. Ainsi va le monde du Kapital et de la Propagande. Comme le souligne une étude publiée dans Basta, il ne faudrait pas que la Pologne ou la Hongrie ne soient le laboratoire du cauchemar européen qui menace. Intéressons-nous plutôt à tous ceux qui cherchent des failles dans le système et œuvrent à les élargir.

1934776_10209232713359141_3768127115992815099_n Il y a un site qui a fait son entrée de manière régulière dans mon « top 10 » des adresses à consulter tous les matins ou presque sur la Toile. Ce site c’est « le P@rtage » auquel j’ai déjà fait référence à plusieurs reprises dans mes précédents bric à blog. Le rythme de publication de textes d’analyse va croissant : beaucoup ont le mérite d’ouvrir la porte sur des débats qu’il est urgent d’avoir. Une partie des articles publiés sont des traductions (essentiellement des auteurs anglo-saxons) ce qui permet de sortir un peu du débat franco-français et de bénéficier d’autres analyses que celles auxquelles nous sommes accoutumés. J’avais commencé une sélection des articles les plus à mon goût publiés ce mois-ci, puis j’ai abandonné, vous laissant le plaisir de découvrir les thèmes proposés. Je vous suggère quand même « Une guerre mondiale a commencé – Brisez le silence » de John Pilger, ou « L’idéologie du travail » de Jacques Ellul. Mon seul reproche, le côté un peu hermétique de certaines publications ; un peu décourageant parfois… Autre valeur montante dans mes références informatives, le site « l’En-dehors » qui est passé à une vitesse de croisière nettement plus élevée depuis le début du mouvement social contre la démolition du code du travail, en effectuant un travail de recension des événements particulièrement exhaustif. Chouette travail aussi en matière de reportage photo : cela permet d’apprécier le fait qu’en matière de slogans l’imagination bouillonne… Il semblerait que France 2 ait renoncé à diffuser un reportage en direct sur les « nuits debout » de la République parce que les participants criaient « éteignez la télé, rejoignez-nous ». Cela confirme en tout cas que la maîtrise de moyens d’information à destination du « grand public » reste un problème majeur à résoudre si l’on veut que les gens sortent de leur apathie et/ou de leur incompréhension. Cela permettrait peut-être d’entendre d’autres propos que les vieilles rengaines du FN reprises en cœur par le bataillon de choc de la classe politique.

refuser-obeir-tuer-pouvoir Il semble en tout cas que la France sorte d’une léthargie sociale un peu trop prononcée à mon goût. A l’époque du mouvement des Indignés en Espagne ou d’Occupy aux Etats-Unis, je me demandais pourquoi rien ne bougeait chez nous. Le temps n’était pas venu. Il arrive peut-être maintenant et cela vaut la peine de jeter ses forces dans la bataille. Ma seule inquiétude (du moins la principale) c’est que le mouvement ne trouve d’autres débouchés qu’une impasse électorale évidente. S’il n’y a d’autres perspectives que de lancer un nouveau Podemos, le jeu n’en vaut guère la chandelle. L’expression des revendications sociales doit trouver un autre débouché que le jeu de chaises ministérielles. Les mouvements lycéens et étudiants précédents ont fourni pas mal de politicards aux partis de gauche traditionnelle et j’espère que la combattivité des militants servira à autre chose qu’à propulser les apprentis Cohn-bendit du moment sur des sièges parlementaires. Si l’on veut vraiment construire du neuf, il faut changer les règles de fond en comble et ce n’est pas facile car nous avons tous un modèle dans notre tête et qu’il est difficile d’y échapper. Mais il ne faut pas nous laisser gagner par le défaitisme ! Je fais moi-même des efforts pour y échapper, malgré les multiples clins d’œil que je jette vers l’histoire du mouvement social.

photo_3-2 Je m’aperçois que pour l’instant je ne vous ai pas abreuvé de liens ! Je laisse de côté l’actualité récente pour m’intéresser à un autre sujet qui me passionne : les forêts. A vrai dire, j’ai commencé à rédiger ce texte un peu avant le début de la contestation de la loi Komhry, et j’avais décidé de causer « nature ». Tout d’abord, si vous aimez les promenades en forêt et que vous souhaitez mieux connaître les arbres, je vous signale que j’ai trouvé sur le portail de l’ONF une clé de détermination pour les arbres qui est assez bien construite et facile à utiliser. Vous arriverez sans peine à distinguer un hêtre d’un charme même si vous n’avez pas lu la chronique « le charme d’Adam c’est d’être à poil« , qui est l’un des « tops consultation » de ce blog (je suis bien entendu assez lucide pour savoir que c’est le terme « à poil » qui attire le chaland plus que la « botanique-ta-mère », comme dirait Augustin). De l’arbre au bois de chauffage il n’y a qu’un pas, que certain franchissent trop vite. Je ne suis pas hostile aux coupes forestières, sinon je serais un sale hypocrite puisque nous nous chauffons au bois, mais il y a tout un éventail de pratiques possibles et certaines ne sont guère reluisantes écologiquement parlant. J’ai été très intéressé d’apprendre qu’il existait, dans la Drôme, une « AMAP-bois » qui propose une approche intéressante de la question forêt/bois énergie. Si vous êtes curieux de pratiques nouvelles en la matière, lisez cet article paru sur Reporterre pour commencer ou visitez le site de l’AMAP. Pour en finir avec cette balade dans l’univers végétal qui nous entoure, une petite réflexion philosophique proposée par quelqu’un que j’apprécie beaucoup, en l’occurrence Pierre Lieutaghi, dont le livre des arbres et arbrisseaux est l’une de mes bibles : « Il faut regarder le monde avant de prétendre le sauver« . Même s’il n’y a pas toujours les réponses, de bonnes questions sont posées.

Tikal En ce moment je n’ai guère le temps d’écrire et peu d’envie de le faire dans le champ politique et social. Quand l’actualité s’accélère j’éprouve toujours le besoin de faire un pas de côté, pour essayer de ne pas me laisser emporter dans le flot des débats… une certaine méfiance peut-être regrettable à l’égard du « tout nouveau, tout neuf » ; je n’en sais rien. C’est le printemps aussi de l’autre côté de la fenêtre. Les travaux d’entretien et de remise en route de notre grand jardin me prennent beaucoup de temps. Quand j’ai le dos bien cassé, je me réfugie dans la lecture ou je suis pas à pas les pérégrinations de mon fiston voyageur au Guatémala (lire par exemple son texte très prenant sur la découverte des ruines de Tikal – entre autres). Cela n’a guère d’effet sur mes douleurs, mais cela a le mérite de m’occuper l’esprit. Il faudra que je trouve le moyen de vous parler quand même de quelques unes de mes récentes découvertes littéraires. Comme toujours c’est très éclectique et je suis très content d’avoir rajouté de nouvelles pages à mon catalogue d’auteur(e)s favori(te)s. L’écriture des chroniques pour le blog m’a aussi donné l’envie d’approfondir certains sujets et je lis actuellement un bouquin intéressant (quoique bizarrement écrit…) sur l’histoire du peuple amérindien des Osages (voir ou revoir la chronique « je plante un oranger des Osages »). Je suis content de vérifier que ce que j’ai écrit est un peu succinct mais a le mérite de ne pas contenir d’erreur majeure ! J’ai suivi aussi avec beaucoup d’attention la série documentaire « Médecines d’ailleurs » sur ARTE et je me suis régalé. Là aussi je pense qu’il faudra que je revienne sur ce sujet. Découvrir que des gens ont l’esprit ouvert et curieux me fait toujours plaisir et c’est le cas en ce qui concerne le « héro » de cette suite de reportages. Bernard Fontanille, médecin urgentiste, est quelqu’un que j’aurais plaisir à rencontrer, plus en tout cas que certains docteurs « je sais tout, mais je ne dirai rien ».

schtroumpf grognon Tout cela me rend parfois nostalgique (ou jaloux) en pensant à tout ce que je n’ai pas encore eu le temps de faire, de raconter, ou de projeter. Comme chaque année à la même époque, les démons du voyage et de la création me poussent à quitter mon fauteuil à m’agiter un peu plus et à ronchonner un peu moins. Comment ne pas être sensible à la beauté du monde quand on le découvre chaque matin en voyageant d’une merveille à une autre grâce à la magie de la toile ou à la beauté du spectacle que j’entrevois par ma fenêtre ? Histoire que l’on ne me considère pas trop comme gâteux, je vous épargne, ce printemps, les bourgeons d’amélanchier, les feuilles tendres du tilleul ou le spectacle toujours renouvelé des fruits en gestation sur les pêchers et les cerisiers. Avec tout ce qui se passe en ce moment, de bon et de mauvais, il est difficile de recourir exagérément aux marronniers habituels des médias !

J’ai commencé ce bric à blog avec une pensée d’Einstein. Pourquoi ne pas emprunter la fin à Camus, au point où j’en suis ! Je conclurai donc en vous livrant cette autre réflexion à méditer : « J’aime trop mon pays pour être nationaliste. » Elle aurait pu figurer dans ma chronique sur les frontières… Je l’ai découverte trop récemment pour ce faire.

Sources illustrations : photo 1 et 2 « L’acrate », via « L’en-Dehors » – photo 5 « Reporterre » – photo 6 « Rue du Pourquoi-Pas » – dessin 7 Peyo.

 

 

2 Comments so far...

Rem* Says:

17 avril 2016 at 19:01.

Le merveilleux hasard fait que je redécouvre il y a peu le tout dernier recueil de poèmes de Prévert « ARBRES » (il était épuisé depuis longtemps et a enfin été réédité chez Gallimard). En voici deux passages, dans le tout dernier de ces poèmes :

Un beau jour on s’est fâché / Oh c’était dur de se déplacer / dur de se déraciner / (…)
C’étaient des arbres pour de vrai / c’étaient / des arbres qui en avaient marre / des arbres écroués formant / d’inextricables barricades / (…)

Je trouve que cela tombe à pic pour faire lien entre les différents thèmes de ton billet printanier !

Paul Says:

17 avril 2016 at 21:49.

Merci Rémi ! C’est un très beau texte effectivement et je suis content de t’y avoir fait penser. Prévert a la plume légère et vagabonde…
J’espère que « Cailloux dans l’brouill’art » va bientôt redémarrer car tes écrits nous manquent !

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