14 mars 2016

Un petit tour dans l’ancien royaume de Mohammed V al-Ghanî

Posté par Paul dans la catégorie : Carnets de voyage .

Bon, ça va changer un peu des chroniques précédentes, mais là où il n’y a pas de changement, il n’y a pas de mouvement, disait mon arrière-grand-père qui était pêcheur de sardines au bord du lac Léman…

Alhambra1 Mon silence prolongé était dû à une petite excursion à Grenade en Andalousie pour essayer de secouer les torpeurs hivernales dans lesquelles nous nous sommes laissés un peu engloutir. Le soleil était au rendez-vous, mais le thermomètre pas vraiment. Je l’avoue sans trop de honte : pendant que certains se préparaient à battre le pavé des villes françaises pour dénoncer les attaques répétées du gouvernement contre les droits des travailleurs, nous contemplions avec béatitude un ensemble architectural assez incroyable, celui de l’Alhambra. Notre seul acte de bravoure sociale pendant cette semaine d’absence a consisté à regarder passer le défilé rituel, en clôture de la journée internationale des femmes. Rien de bien excitant par ailleurs : une multitude de banderoles d’organisations témoignant d’une division au moins aussi grande que celle qui sévit dans la gauche alternative française. Là n’est pas mon propos et je me contenterai de vous livrer quelques impressions touristiques sur l’objet principal de notre voyage.

Albaicin Grenade

Cordoue, Séville, puis finalement Grenade ont été les villes principales du royaume d’Al-Andalus au Moyen-Âge. J’ai déjà évoqué la grandeur de cet épisode politique et culturel de l’histoire européenne en dressant le portrait de quelques personnalités savantes du monde arabe à cette époque. Grenade a été la capitale du royaume au moment où celui-ci était réduit à l’état de peau de chagrin par la « Reconquista » entreprise par les souverains catholiques castillans. Les bâtisseurs des palais les plus raffinés ont dû fuir leur ville lumière et l’abandonner aux envahisseurs venus du Nord. Un ultime palais a été ajouté par la suite sur la colline, celui de Charles Quint : un bloc architectural massif tout à fait à l’opposé des palais Nasrides qui impressionnent par la finesse de leur décoration et de leur construction. La colline de l’Alhambra regroupe toute une collection de bâtiments d’âges et de styles différents. C’est l’une des particularités qui en fait son charme. Même si le bâtiment le plus ancien que l’on visite, la Alcazaba, date du milieu du XIIIème siècle, il est probable qu’il y ait eu une occupation antérieure étant donné l’intérêt stratégique du site.

Alcazaba Alhambra La Alcazaba a une vocation militaire défensive ; c’est une évidence sur les photos. Ce n’est ni plus ni moins qu’un château-fort massif qui domine la plaine de Grenade. Du haut des tours, les guetteurs peuvent apercevoir le moindre mouvement de troupes. Quant à s’emparer de la forteresse, compte-tenu de l’efficacité de son système défensif, on peut difficilement imaginer un assaut frontal. Seul un siège prolongé, une trahison, ou un déséquilibre important du rapport de force, peuvent permettre de venir à bout de la résistance de la garnison. C’est ce dernier cas de figure qui provoqua la capitulation de Grenade. Face au royaume constitué par l’alliance des provinces de Castille, d’Aragon et de Léon, le domaine de Mohammed XII Boadbil ne pèse pas bien lourd dans la balance. Le Prince arabe préfère capituler et prendre la fuite. Cette décision, peu appréciée par certains de ses compatriotes, est l’un des premiers facteurs qui a permis de conserver à peu près intact le trésor architectural de la ville.

Generalife jardin

Notre visite a commencé par le haut de la colline et nous a permis de découvrir Le Generalife et ses jardins. Le moment de l’année n’est peut-être pas très bien choisi pour profiter pleinement du renouveau de la nature. Il est encore un peu tôt et les massifs fleuris ne sont pas encore très colorés… mais qu’importe, l’architecture est là, bien présente, d’une grande majesté, et le flux de touristes n’est pas encore trop présent. Quand on veut apprécier la quiétude d’un lieu et la sensation de détente qu’il induit, c’est mieux comme cela. Les jardins du Generalife sont magnifiques et l’on comprend pourquoi les Sultans appréciaient de séjourner dans cet endroit lorsqu’ils désiraient se mettre à l’abri de la vie publique et de ses turbulences. Il ne s’agit nullement d’un ouvrage à caractère militaire, mais véritablement d’une résidence secondaire… J’avoue humblement que j’aurais eu plaisir à y séjourner, pour peu que l’on ait pris la peine de supprimer quelques courants d’air. Plusieurs salles sont fermées dans le palais et c’est dommage car celles que l’on visite donnent un avant-goût du luxe intérieur qui devait être la règle !

Generalife jardin2 Du cyprès qui, selon la légende, abrita de son ombre romantique les amours de l’épouse du malheureux Boadbil avec un chevalier albencerraje, il ne reste malheureusement plus que le tronc, dangereusement incliné. Cet affaire se termina d’ailleurs fort mal. Le sultan prit ombrage de cet amour « hors-les-murs » et fit emprisonner et égorger sauvagement tous les chevaliers de cette tribu prestigieuse. L’histoire ne dit pas comment la Sultane se consola. La cour intérieure reçut le nom de « patio des cyprès ». Un escalier situé au fond du patio (mais de construction beaucoup plus tardive) permet d’accéder aux jardins hauts où se trouvaient, entre-autres, les potagers du palais. On accède aux terrasses successives en empruntant un escalier dont les rampes creuses abritent un filet d’eau qui coule en permanence. Une des particularités des jardins du Generalife, c’est l’omniprésence de l’eau. Cela permet bien entendu d’irriguer les massifs à volonté, mais aussi de rafraichir une atmosphère souvent torride pendant l’été. N’étant pas soumis à des chaleurs excessives c’est surtout la musique de tous ces ruissellements, de ces jets d’eau  et de toutes ces petites cascades que nous avons apprécié. La musique de la vie…

Generalife jardin3

Notre programme de visite (plus ou moins imposé par les horaires) nous a permis de garder le plus somptueux pour la fin : l’ensemble des palais Nasrides accolés les uns aux autres, une collection de bijoux. Je comprends pourquoi les entrées sont distillées au compte-gouttes (de grosses gouttes quand même !). C’est dans cette enfilade de salles, de couloirs et de patios que se trouve la cour des lions. Ce patio doit son nom à la présence d’un bassin sculpté dans le marbre blanc. La vasque est supportée par des lions. De leur gueule, l’eau s’écoule par quatre canaux, symbolisant les quatre rivières du Paradis et les quatre points cardinaux. Ce n’est pas ce qui m’a le plus marqué dans la visite, même si je reconnais que cette œuvre témoigne d’une sacré maîtrise artistique. Non, je crois que ce que j’ai préféré c’est simplement l’ambiance des lieux, ambiance créée par les jeux de lumières complexes des ouvertures et de leur habillage, en bois, en stuc ou en vitraux. Tout est fait pour attirer le regard, et l’on a une impression d’immersion très forte. Il suffit de ne pas lever la tête au bon moment ou de ne pas tourner le regard dans la bonne direction pour manquer une partie du spectacle, ce qui fait que lorsque l’on revient sur ses pas, on découvre sans cesse des perspectives inédites… Magnifique démonstration de la splendeur de la civilisation arabe à son apogée. Le cube de Charles Quint juxtaposé à cet ensemble de palais, paraît encore plus dérisoire lorsque l’on quitte (à regret) la dernière de ces demeures somptuaires, le Partal, dont ne subsistent que quelques bâtiments.

calligraphie arabe palais Nasrides L’ensemble architectural Nasrides comporte trois zones distinctes : El Mexcuar, le lieu où le Sultan donnait ses audiences et recevait ses conseillers ; le Palais de Comares, résidence officielle du Sultan ; le Palais des Lions, les appartements privés où seuls avaient accès les membres de la famille ou les proches. Le Palais des Lions a été bâti sous le règne de Mohammed V. Dans la cour principale, une forêt de piliers de marbre d’une grande finesse soutiennent des portiques ouvragés. Les voutes intérieures, dites à mouqarnas (nids d’abeille), sont finement ciselées. A l’époque de la présence arabe, les Palais étaient sans doute indépendants. Une communication a été établie entre les différents corps à l’époque chrétienne. Lorsque les souverains castillans ont occupé les lieux, leurs velléités de destruction systématique ont été quelque peu calmées devant la splendeur des palais Nasrides. Ces bâtiments ont donc été préservés du pillage et transformés en résidence de voyage pour la famille royale d’Espagne. Par la suite, l’entretien a été plus ou moins régulier selon les caprices des monarques successifs, mais aucun dommage majeur n’a été commis. Pendant la révolution espagnole en 1936, aucun combat important n’a eu lieu dans la ville. Les Franquistes se sont emparés de Grenade avec facilité bien que les Républicains du Front populaire y aient été majoritaires. A lire les témoignages de l’époque, il semble que la mobilisation populaire, endormie par la naïveté gouvernementale, n’ait pas été assez rapide face au cynisme des insurgés. Cette « prise » de la ville a peut-être « sauvé » l’Alhambra (phrase que l’on peut lire dans certains dépliants touristiques) mais elle a coûté la vie à des centaines de militants ainsi qu’au poète andalou Federico Garcia Lorca.

palais Nasrides1

Ici se termine cette chronique de voyage, un peu sommaire je le reconnais, mais de nombreux guides et sites internet sont là pour vous apporter une multitude d’informations touristiques et historiques. J’ai préféré me limiter à exprimer mon ressenti personnel. Visiter Grenade est un excellent moyen de se faire une idée de la civilisation arabe à son apogée dans le Sud de l’Europe. Pour avoir une vision encore plus panoramique, il me semble intéressant de compléter cette étape par une découverte des deux autres grandes cités d’Al-Andalus, Cordoue et sa mosquée, Séville et son Alcazar… Un joli périple triangulaire que nous avions entrepris il y a une trentaine d’années mais pour lequel il nous manquait un dernier « sommet », notre voyage ayant été interrompu pour des raisons indépendantes de notre volonté.

Addenda : si vous voulez découvrir un autre point de vue, beaucoup plus poétique que celui-ci, je vous renvoie sur le blog familial tenu par ma compagne : « Pas assez de temps – L’Alhambra »

palais du Partal

IMG_3562

3 Comments so far...

François Says:

14 mars 2016 at 12:50.

L’Alhambra de Grenade reste pour moi un des plus beaux bâtiments que j’aie jamais visité.

Anne-Marie Says:

20 mars 2016 at 13:38.

Le 8 mars n’est pas « la journée des femmes » mais bien « la journée des luttes pour les droits des femmes »; ce n’est pas la même choce 😉

Paul Says:

20 mars 2016 at 17:35.

@ Anne-Marie – Tout à fait d’accord ; je pense que lectrices et lecteurs auront rectifié d’eux-même.

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