24 septembre 2016

Sur les routes de l’Aveyron (1)

Posté par Paul dans la catégorie : Carnets de voyage .

Des gueules noires aux blouses blanches

Sur l’air de « c’est l’Aveyron qui nous mène, qui nous mène », une petite chronique de voyage – histoire de changer, avec un zeste d’informations historiques et sociales – histoire de ne pas changer.

Privilège de retraités, nous prenons nos congés quand la majorité de nos concitoyens retourne au turbin (en fait je devrais dire « au charbon », ça colle mieux avec la suite). Le terme de « congés » pour des retraités peut prêter à sourire, mais correspond quand même à une certaine réalité. Lorsque nous sommes à la maison, nous sommes pris par un ensemble de tâches à exécuter qui donne à toutes nos journées un fil conducteur assez semblable. Lorsque nous voyageons, ce fil est cassé, et cette rupture nous fait le plus grand bien.

 

conques

Cette année, nous quittons notre bas-Dauphiné résidentiel pour nous installer quelques temps dans l’Aveyron, dans la région de Decazeville, non loin des rives du Lot. C’est moins exotique que le Kérala, mais moins onéreux à mettre en œuvre aussi !
Pour rejoindre notre lieu de destination, nous avons pris une jolie route traversant une région que j’aime beaucoup, la Margeride. A plusieurs reprises nous avons croisé le GR 65, le fameux « chemin de Compostelle » et j’ai été frappé du nombre de randonneurs qui l’empruntaient en cette saison. Sur cette « autoroute à pélerins », une seule voie de circulation semble utilisée : une majorité de marcheurs se dirigent vers le Sud. Si je devais emprunter cet itinéraire, mon côté mécréant m’aménerait plutôt à m’éloigner de St Jacques mais bon… Je respecte les choix des Huns comme ceux des autres. À quand la création d’un chemin de Lucifer ou de Belzébuth, histoire d’élargir l’offre ? En tout cas, ce phénomène mystico-récréatif prend une certaine ampleur commerciale. Les logements, points de restauration, magasins de souvenirs typiques et autres commerces divers à destination des porteurs de coquille se multiplient. En Margeride, les Saints font même concurrence à « la bête » (du Gévaudan). En tout cas celle-ci est bel et bien morte et ne semble pas terroriser les randonneurs et les bergères (l’une de ces deux espèces est en voie de disparition).

decazeville_13

La région de Decazeville est un ancien bassin minier, d’une importance considérable à la fin du XIXème siècle et pendant la première moitié du vingtième. Des collines verdoyantes de cette région Nord de l’Aveyron, on a extrait des milliers de tonnes de houille destinée aux aciéries, aux chemins de fer et aux diverses machines à vapeur. Le paysage de la région est marqué par cette exploitation massive même si depuis plusieurs décennies la totalité des mines a fermé. Le plus gros des liquidations a eu lieu sous le règne de Charles de Gaulle. La direction des Houillères n’a pas pris de gant pour se débarrasser de ces mineurs auxquels on avait demandé tant d’efforts à la libération. « Pas de négociations possibles ; c’est le cours de l’histoire (du Profit) ». Quand les gueules noires ont fait preuve de trop d’incompréhension, les gardes mobiles étaient là pour assurer la partie pédagogique de la politique gouvernementale. Les choses ne changent guère même si, de nos jours, on préfère éborgner plutôt que fusiller directement, comme au bon vieux temps de Badinguet.

greve_de_decazeville_1886

La mémoire locale est imprégnée de cette histoire des luttes ouvrières et les grèves de 1869 (Mines du Gua), 1886 (Decazeville), 1947… et tant d’autres ont laissé leur marque. Au Gua, un régiment d’infanterie de ligne n’avait pas hésité à tirer sur les mineurs et leur famille : 17 morts et de nombreux blessés parmi lesquels femmes et enfants. Comme en témoignait un historien de l’époque, fidèle porte parole de la bourgeoisie du cru, le nouveau fusil Chassepot avait fait preuve de son efficacité ! Ce « fait-divers » aurait (entre autre) inspiré Zola pour l’écriture de Germinal…
Une ville comme Decazeville par exemple est née avec les débuts de l’industrialisation. Elle tire son nom du propriétaire des concessions locales pour l’extraction du charbon, le Duc de Cazes. Cet entrepreneur fortuné à lancé l’exploitation du minerai à grande échelle, mettant un terme au « bricolage » artisanal de quelques petits exploitants locaux. Politique et commerce se mêlant habilement, tout à été mis en œuvre par la suite pour tirer le meilleur parti possible de gisements qui ne manquaient pas d’intérêt. Tout cela est maintenant fini. Les groupes industriels ont abandonné les lieux, en n’offrant bien souvent que de maigres compensations aux collectivités locales pour nettoyer la pollution résiduelle. Dans l’un des parcs de Cransac les Thermes, j’ai noté ce fragment d’un discours du maire de l’époque. Je l’ai trouvé particulièrement percutant et je vous en fais profiter :

 » Nous osons espérer qu’un pays comme le nôtre qui a fourni pendant plus de cent ans un produit énergétique de première nécessité à la nation et qui a pour cela été défiguré, déchiré, bouleversé, enlaidi et dont près de 500 de ses enfants ont laissé leur vie dans les galeries obscures de la mine… Nous osons espérer que les charbonnages du Centre midi conscients de l’état dans lequel ils laissent notre pays auront d’autres cadeaux à nous faire que leur dernière proposition : nous vendre pour 10 francs les bacs à schlamms soit plusieurs dizaines de milliers de tonnes de schlamms, c’est à dire de boue noire presque liquide, qui présente un danger de pollution si ce n’est un danger tout court. La commune devrait investir plusieurs dizaines de millions pour déplacer ce schlamms. Nous avons de nos mains reboisé les terrils. Nous avons fait disparaître la plupart des bâtiments hideux que les houillères nous ont laissé, mais je puis affirmer que les contribuables cransacois ne paieront pas pour déplacer ce schlamms. « 

memorial-aubin-le-gua-fusilles

De gros efforts ont été faits pour réhabiliter les espaces dévastés. Dans plusieurs villages (Cransac, Aubin, Decazeville…) les anciens carreaux ont été transformés en zones de loisir (plans d’eau, parcs, forêts…). Les cicatrices sont un peu moins visibles. Par contre, toutes les traces du drame humain qui s’est joué n’ont pu être effacées. La fermeture des puits de mine, même si elle a mis un terme à un travail harassant et meurtrier, a laissé nombre d’habitants « sur le carreau ». Beaucoup ont émigré ailleurs dans le pays ou à l’étranger. La crise économique récente n’a rien arrangé. La reprise, comme en Lorraine, n’est pas vraiment au rendez-vous. Les plans de reconversion industrielle gouvernementaux ont été (comme dans d’autres régions, y compris ces dernières années) des feuilles de papier jetées au vent. Il a fallu faire appel au système D pour éviter un naufrage complet de l’économie locale.
A Cransac, par exemple, un effort promotionnel important a été fait pour développer le centre thermal ancien. Curistes en peignoir et personnel de soin, tous de blanc vêtus, ont remplacé les gueules noires. Quand les gîtes et les chambres d’hôtes n’abritent pas des pèlerins, elles servent de refuge aux personnes dont les articulations commencent à grincer douloureusement. Le tourisme sert de planche de secours là où les industries peinent à s’installer. Les perspectives d’embauche ne sont pas les mêmes pour la jeunesse, mais la région possède un énorme potentiel dans ce secteur comme se plaisent à le dire les entrepreneurs et les élus : paysages magnifiques, patrimoine historique considérable… A la préhistoire et au Moyen-Âge, déjà, une population importante profitait des avantages et des richesses du territoire. On évoque ce passé plus lointain dans un prochain billet.

(À suivre).

Note : Illustrations 2, 3 et 4 : wikicommons.

One Comment so far...

Lavande Says:

25 septembre 2016 at 09:47.

Un échange concernant cet article, sur un autre blog, la République des Livres (pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué).
J’avais conseillé et donné le lien de cet article et j’ai eu plusieurs réactions (très positives) + cet échange:

Petit rappel dit: 24 septembre 2016 à 20 h 24 min
Pour la Feuille Charbinoise.
Pas De Cazes, mais Decazes.IL n’a pas fait jouer l’accélérateur de particules.
Hiram a veillé sur lui. Après Louis XVIII.
Les Mines du Gua pour Germinal?

Lavande dit: 24 septembre 2016 à 21 h 05 min
Petit rappel:
(pour la Feuille Charbinoise) : pas compris Hiram et Louis XVIII ?
Je transmettrai mais vous pouvez faire un commentaire direct sur le blog.

Lavande dit: 24 septembre 2016 à 21 h 26 min
Petit Rappel:
« La visite se poursuit au Gua où se trouve le « plateau des forges ».
Il s’agit d’une vaste esplanade comportant d’anciens bâtiments industriels dont certains sont réhabilités, notamment deux magnifiques cheminées de forges, uniques dans le Bassin. Au pied de ces cheminées s’est produite en 1869 une fusillade, lors d’un épisode de grève ; cette fusillade a inspiré l’une des plus célèbres scènes du livre Germinal d’Emile Zola. »

http://www.musee-patrimoine-industriel-minier.net/crbst_7.html

Petit rappel dit: 25 septembre 2016 à 9 h 28 min
S’il s’agit du premier Duc Decazes, Lavande, c’est l’ex-conseiller du Roi de Hollande, Louis Bonaparte, devenu favori de Louis XVIII, Duc moins par mariage que par complaisance.
Hiram parce qu’il fut Maçon. (Une conséquence de son passage à la Police?)
Ce Decazes là meurt en 1860 et c’est bien lui qui a fondé Decazeville.
Un programme: « royaliser la nation, nationaliser le royalisme. » Mais, après la mort du Duc de Berry, et la chute de son ministère, il n’est plus en position de l’appliquer.
Mais pour la gréve,si c’est 1867,il y a erreur de ma part, ce doit etre pendant le règne du fils, 1819-1886, à la carrière diplomatique interrompue en 1848, et qui ne ressort du frigo royaliste qu’en 1871 pour 6 ans. J’ai étendu la vie du père jusqu’en 1867 sans penser qu’il avait un fils !
Bien à vous.

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