31 décembre 2017

La « Mitoufle »

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour... .

Le verbe « emmitoufler » existe, mais pas de Mitoufle dans notre dictionnaire. Le verbe est de moins en moins souvent employé, et, comme beaucoup d’autres mots considérés comme un peu «précieux», s’oublie peu à peu. Notre langage quotidien s’appauvrit comme la fertilité de nos sols. « Emmitouflé » est un mot qui sera bientôt délicieusement « suranné ». Nous faisons appel semble-t-il à un nombre de plus en plus limité de mots (c’est vrai pour d’autres langues aussi), et cherchons souvent à les remplacer par leurs équivalents anglais qui sont bien plus « tendance » ou par des formules style texto. Depuis peu, nous bénéficions de la présence d’une « pool house » non loin du « buiseness center » de la ville voisine… Après un « brainstorming » et un entretien avec le DRH c’est cool de faire un p’tit « running ». Une « pool house » ça a sacrément plus de gueule qu’une « piscine couverte » ! Quand on sait que grâce à compère Guillaume, dit « Le Conquérant », bon nombre de mots « so British » dérivent du Français ! Enfin bon, c’est la trêve des confiseurs alors cessons de grincher. Un espèce de « galimatias » d’anglais est en train de se constituer comme langue internationale, pourquoi pas… Le problème c’est qu’il ne faudrait pas que cette normalisation, favorable à la communication, paraît-il, ne touche tous les aspects de la vie culturelle !

Cet été, je venais de relire pour la troisième fois « la maison des marées » de Kenneth White quand l’envie m’a pris de chercher quel nom familier je pourrais bien donner à la maison douillette qui nous sert de havre de paix ; le mot « mitoufle » m’est venu à l’esprit, sans qu’il y ait de relation, au départ, avec le verbe à la consonance hivernale. Il m’arrive souvent de comparer les livres que j’aime à des habits douillets que j’ai plaisir à enfiler. Mais je n’ai jamais franchi le pas qui sépare le livre de la maison à l’intérieur de laquelle il a trouvé refuge. Je ne suis pas certain d’ailleurs de la parenté absolue entre ma Mitoufle et le verbe dont on pourrait l’extrapoler. D’aucun pourraient par exemple le rapprocher de pantoufle. Dans ce cas, ce serait presque un mot valise ! Difficile aussi de ne pas faire le rapprochement avec les maisons de hobbits telles que les décrit Tolkien, d’où le choix de la première photo de cette chronique.

La Mitoufle c’est donc le mot qui, dans mon esprit, colle le mieux avec la réalité de notre terrier. Parlons en un peu de cette « réalité ».

 Plus particulièrement ces dernières années (mais cela a été vrai aussi auparavant), la maison est un havre de paix et de (relative) abondance. Non que nous soyons milliardaires pour ce faire (*), mais parce que nous consacrons un temps important à la culture de nos légumes, à nos approvisionnements alimentaires et à leur transformation. Histoire d’être à peu près sûrs de ce que l’on met dans nos assiettes, on vadrouille pas mal d’un fournisseur à un autre, afin de réaliser l’accord parfait « papille – santé – budget » ! Notez que j’ai mis « papille » en premier, parce que le fait de se nourrir est plaisir avant toute chose. Je refuse de m’approvisionner dans un entrepôt ou dans une pharmacie ! Cela nous permet d’offrir, pour un budget relativement raisonnable, un accueil chaleureux et plutôt gastronomique à notre table pour les amis, les voyageurs de passage et parfois même les artisans qui améliorent notre environnement. Le fait que nous soyons tous deux retraités joue aussi un rôle important dans notre disponibilité, mais pas que. On aurait pu faire le choix « club med, grosse cylindrée, fringues de marque » et on aurait cherché notre mitoufle ailleurs.

La sensation de « havre de paix » est liée au fait que nous cherchons à accueillir chacun dans le respect de ses idées et de ses croyances, sous réserve que l’attitude de nos visiteurs colle avec cette éthique. « Il n’y a pas d’étrangers ici, seulement des amis que vous n’avez pas encore rencontrés.» Havre de paix aussi parce que nous offrons de la place aux personnes que nous accueillons et que nous avons cherché à ménager, à l’intérieur comme à l’extérieur, un décor qui soit le plus hospitalier possible. Je ne dis pas cela pour faire étalage d’une quelconque vanité, mais parce que c’est le jugement porté (et honnêtement retranscrit) par bon nombre de celles et ceux que nous avons hébergés. Nous pouvons même nous considérer, avec fierté, comme étant parfois une « famille de repli » pour des jeunes avec lesquels nous avons sympathisé et qui conservent, à travers leur parcours de vie, une relation avec nous.

Une place pour chacun, aussi bien au niveau matériel que spirituel. La « Mitoufle » joue donc son rôle à l’égard de ses occupants permanents, mais aussi, à l’occasion, j’espère, pour ceux qui y séjournent un temps. Il faut donc que « pyjama et pantoufles » acceptent un peu toutes les tailles et toutes les corpulences !

 La relative abondance dont je fais état, ne dépend nullement d’une quelconque fortune personnelle, mais d’un travail régulier et parfois harassant, dont les visiteurs d’un jour ne sont pas toujours conscients. Certes nous sommes plutôt privilégiés, mais cette situation, nous l’avons, pour une bonne part, construite de nos mains. Nous avons beaucoup travaillé sur cette demeure familiale qui est devenue la nôtre et c’est sans doute l’une des raisons pour lesquelles nous ressentons un « lien du sol » aussi fort, et que la maison reflète sans doute beaucoup notre état d’esprit.

L’âge venant, nous ne pouvons plus tout assumer, et nous sommes contents lorsque d’autres prennent le relai. C’est la conception que nous avons de notre adhésion à des réseaux comme Help’x ou au SEL encore balbutiant qui se développe dans le secteur. Mais comme nous ne croyons guère aux drapeaux et aux logos, je tiens tout de suite à vous rassurer : pas besoin d’être « labellisé » pour mettre un pied dans notre antre. Le bonheur absolu, c’est quand le·la nouvel•le arrivant•e, enrichit le trésor du dragon avec ses compétences ou ses connaissances. Lorsque nous avons fêté le solstice d’hiver cette année avec quelques ami·e·s de passage, le petit air de violon accompagné au violoncelle, était un vrai bonheur et complétait admirablement le vin chaud de saison. Le solstice d’été, lui, nous l’avons fêté un peu de la même manière, sauf que le bûcher se dressait non loin de la « cabane » au fond du parc. La Mitoufle, en effet, a maintenant une petite sœur, spécialement pour les jours où l’on a envie d’un terrier encore plus petit pour s’abriter des intempéries sociales. Je ne crois pas que seul Thoreau soit responsable de la réalisation de ce projet, car, comme disait ma grand-mère lituanienne, le désir de cabane sommeille au fond de chacun de nos cœurs. Elle s’exprimait drôlement bien cette grand-mère, enfin c’est comme cela qu’elle s’exprime dans mon mental !

Je remarque que tout ceci a une incidence sur les livres que j’ai envie de lire ou les voyages que j’ai envie de faire. Je m’embourgeoise peut-être diront certains ! Je n’aime pas les ouvrages dans lesquels s’étalent, sans aucun talent autre que le déroulement d’un scénario bien connu, toute la misère, toute la violence et tout le cynisme de ce monde. A ce niveau-là, ma dose d’infos quotidiennes sur la toile et dans la presse alternative me suffit et je n’aime pas la complaisance. Histoire de me convaincre que la situation a enfin bougé, et dans le bon sens, depuis cinquante ans, il me faut une prose (ou une poésie) qui me fasse rêver ou au minimum « positiver » comme disaient dans leur pub les branleurs de la chaîne d’hypermarchés pourvoyeurs de pétro-bonheur. Je ne tiens pas à ce que les écrivains me dissimulent la réalité, mais qu’ils en retiennent, au moins partiellement, des aspects autres que ceux qu’étalent les médias chloroformeurs, bref qu’ils sachent la dépeindre avec talent. Bienvenu·e·s celles et ceux qui éclairent le monde par la luminosité de leurs écrits. Je pense entre autres à Paolo Cognetti dont je vous ai longuement parlé ces temps-ci, mais aussi à la grande dame de la Science-Fiction qu’est Ursula K. Le Guin ; au moment de boucler cette chronique, je suis en train de lire un de ses recueils d’essais sur la littérature, et je me régale ! (**)

Côté voyage, j’avoue que j’apprécie d’aller voir ailleurs ce qui s’y passe, histoire d’enrichir mon quotidien et surtout mon imaginaire. Je laisse les « clubs Med » et autres « Center Park » à ceux qui ont une soif modérée d’humanité, ou des vacances trop courtes pour pouvoir réveiller leurs appétits. Je veux prendre le temps de voir et de comprendre. J’aime revenir d’ailleurs avec une hotte pleine d’images, d’exemples et de choses à imiter (ou pas).

C’est donc du fond de cette mitoufle confortable que je vous souhaite, à tous, une belle et heureuse année 2018. J’espère que les luttes que nous saurons mener et/ou encourager d’une manière ou d’une autre, permettront d’enrayer le rapide déclin social, seule perspective que nous offrent les derniers gouvernants en place.

Notes : (*) Rassurez-vous nous ne faisons pas partie des 8 « gugusses » qui possèdent autant d’argent que 3,6 milliards de leurs congénères. (**) Le livre s’intitule « le langage de la nuit » et aurait bien pu faire partie de ma « sélection 2017 », si je ne l’avais pas lu juste après avoir bouclé la chronique précédente !

Photos : n°1 photo de Anup Sha, sous licence creative commons – n°2 création sur métal de « Celtic card team » – autres photos « maison, fabriqué main ».

7 Comments so far...

Zoë Lucider Says:

1 janvier 2018 at 22:16.

Bonjour Paul, le robot, ce chenapan a semble-t-l mangé mon message précédent sous la liste de vos livres préférés dont j’ai lcertains. la Mitoufle est un joli nom pour un hâvre de paix. Ayant moi-même opté pour un lieu retiré des harcèlements de la consommation consumante, je reçois ce billet comme un écho à mes propres cheminements mentaux. Et je vous souhaite une année de belles rencontres et de paisibles journées de lecture

Zoë Lucider Says:

1 janvier 2018 at 22:19.

La Mitoufle est un joli nom pour un havre de paix. Ayant moi-même opté pour un lieu retiré des harcèlements de la consommation consumante, je reçois ce billet comme un écho à mes propres cheminements mentaux. Et je vous souhaite une année de belles rencontres et de paisibles journées de lecture

Zoë Lucider Says:

1 janvier 2018 at 22:23.

Je me suis un peu emmêlée. Après vérification, j’ai vu que le cerbère m’avait laissé passer et que vous aviez même répondu, je suis revenue en arrière et j’ai cru que mon commentaire n’était pas parti, je l’ai donc amputé de ma remarque et j’ai posté. Et donc j’ai commis un doublon. Toutes mes excuses

Paul Says:

2 janvier 2018 at 08:10.

@ Zoe – Vu le nombre de spams reçus quotidiennement, je ne peux pas désactiver le filtre, mais je suis obligé de contrôler car il y a un certain nombre de commentaires « vrais » qui sont filtrés. La meilleure c’est que même mes propres réponses demandent parfois « confirmation » ! En ce moment je suis très vigilant et je pense ne pas faire de boulette. Quant aux doublons, pas de soucis, mieux vaut exprimer deux fois des pensées intéressantes qu’en priver les lecteurs !

la Mère Castor Says:

4 janvier 2018 at 18:04.

Ce billet qui sent le bois, le partage et la terre et qui s’ouvre sur la maison de mes rêves me réjouit au plus haut point.
Longue vie à la Mitoufle et à ses habitants.
(Quand j’ai du mal à dormir, je visite la maison des hobbits et je l’imagine mienne…)

Paul Says:

4 janvier 2018 at 18:10.

Ouaouh ! la Mère Castor presque direct en ligne ! Merci pour ces commentaires qui font chaud au cœur. Pour l’heure on a plus besoin de parapluies que d’anorak, mais ça ne serait pas étonnant que le froid revienne bientôt et qu’on ait besoin de notre chaleur intérieur pour survivre ! Vivement le temps des oignons et des petits pois…

François Says:

6 janvier 2018 at 12:00.

Quelle belle manière d’exprimer ce que représente ta maison! Je suis aussi très attaché à ce lieu, même si je ne me bouge pas pour y venir plus souvent. La Mitoufle est dans mon coeur et ses hôtes aussi!

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