26 janvier 2018

Alimentaire, mon cher Watson, alimentaire !

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour...; le verre et la casserole .

Plaisirs simples pour panser les plaies des grosses colères et patienter en attendant les premiers signes du printemps.

La toute récente affaire « Lactalis », énième témoignage de tant d’autres malversations alimentaires, me donne envie de ressortir ce texte, commencé il y a quelques mois puis posé en attente dans un dossier poussiéreux. Un peu décousu peut-être, mais les idées développées ma paraissent toujours autant d’actualité.
Associer à nouveau les vocables « nourriture » et « plaisir », plutôt que de continuer à laisser les industriels nous prendre pour des dindes à l’engraissement… Bio et local c’est bien ; bio, local et bon c’est encore mieux ! Plaisir de connaître non seulement la provenance mais la variété et les subtilités de ce que l’on mange. Aligner côte à côte sur une table de salle à manger, une salade « Sucrine » que l’on a cultivée, des pommes de terre « Yona », variété expérimentée pour la première fois, des tomates à la provençale préparées avec des « Rose de Berne » et des « Noires de Russie », maintenant classiques dans notre jardin. Déguster de délicieuses galettes de céréales, à base de flocons élaborés par le paysan boulanger du coin… J’aimerais pouvoir dire que le vin rouge dans le verre à pied provient de ma vigne, mais je n’en connais que le cépage. L’objectif n’est pas l’auto-suffisance ; on en est loin ! Non pas « tout faire » mais « savoir faire », comprendre et apprécier ; acquérir cette connaissance qui permet d’apprécier plus en détail encore ces mets que l’on propose à nos papilles.

Il ne s’agit pas d’une démarche quotidienne : personne n’en a le temps ni l’envie… Il s’agit d’une démarche à mettre en œuvre le plus souvent possible : une démarche de rééducation… Travail subtil car il y a des nuances entre les pains, selon la farine, le four et le boulanger, mais aussi entre une pomme de terre « Charlotte » et une « Rosabelle ». C’est là que l’on se rend compte parfois du manque de finesse de ce sens essentiel qu’est le goût. C’est là que je rejoins (à petits pas) des mouvements un peu trop élitistes et souvent trop snobs à mon idée comme « Slow food ». Sans chercher à disséquer ce que l’on nous met dans l’assiette, déguster une courgette « blanche de Sicile » cela n’a pas tout à fait la même connotation que manger un « sauté de courgettes ». Attention exagérée ? Snobisme ou pinaillage intellectuel ? Peut-être, mais je crois que c’est plus sérieux que cela dans un environnement où tout fout le camp. Je dirais plutôt étape importante aussi si l’on veut redonner aux légumes la place qu’ils doivent occuper dans l’assiette et si l’on se méfie des laboratoires pour ce qui est de nous proposer un substitut à la consommation massive de viande. J’ai vu un reportage sur la fabrication de « saucisses » en laboratoire, à base de pleurotes d’apparence plutôt sympathiques… Edifiant ! Pour l’heure, je préfère qu’on continue à élever des porcs gascons pour ce faire, même si je ne dois manger ce genre de délices qu’une fois par trimestre (je m’en fous de dire ça, parce que je sais que ça fait un certain temps que les végétariens intransigeants qui me lisent ont changé de crémerie…). Au passage, je vous recommanderais bien la lecture du bouquin « On achève bien les éleveurs » ou encore de « Vivre avec les animaux » de Jocelyne Porcher…

C’est amusant les distinctions que l’on fait entre les différentes catégories d’aliments ou de boissons. Là où l’on admet couramment que les cépages de raisin permettent de créer des vins de goûts et de couleurs différents ; là où les gastronomes considèrent comme évident qu’un steak de bœuf lambda n’a pas la même saveur qu’un morceau choisi de bœuf d’Aubrac, pourquoi se contenterait-on donc de bouffer carottes, patates ou courges sans exercer nos papilles ? Même deux salades de variété identique, lorsqu’elles sont cultivées différemment (en pleine terre ou sous serre par exemple) n’ont pas les mêmes nuances de goût.

Ce plaisir fugitif me console d’un mal de dos omniprésent, et me dédommage des heures passées à piocher, pailler, bichonner, arroser tous ces maudits légumes du jardin depuis une quarantaine d’années. N’ayant pas la fortune des Rockfeller, si je peux m’offrir tous ces petits plaisirs gastronomiques, c’est parce que j’ai d’autres sources d’approvisionnement que l’épicerie de luxe du coin. A part les semences, que je souhaite de plus en plus vivement sélectionner moi-même, et le terreau qu’il m’arrive encore d’acheter en complément de ma propre production, la décision de cultiver telle variété plutôt que telle autre, ne dépend que de mon bon vouloir et de mes capacités de travail. Du producteur au consommateur, sans intermédiaire pour multiplier le prix des ingrédients par deux ou par dix, sous couvert du fait qu’ils sont « prestigieux ». Quand on voit certaines variétés de pommes de terre atteindre la dizaine d’euros au kilo, on a de quoi s’inquiéter. Quant au jambon à 80, 100 ou 150 euros parce qu’il provient de races traditionnelles élevées en liberté, j’attends d’avoir un voisin éleveur compréhensif qui acceptera de le troquer contre de menus objets de ma fabrication ! Il faudrait, une fois pour toutes, que les prix soient calculés en fonction d’un coût de production et non pas de la somme que le cadre supérieur qui remplit son chariot est capable de payer. La vente directe doit permettre d’améliorer les revenus de l’éleveur, mais aussi de respecter le pouvoir d’achat du consommateur. Il y a toute une réflexion à conduire dans ce domaine.

Pour revenir à mon cas particulier : en fait, c’est plus la qualité de ce que je vais trouver dans mon assiette qui me motive à surexploiter mon dos, que l’intérêt économique. D’autant que ce que j’économise d’un côté, je m’en sers souvent pour financer certains petits plaisirs : manger en quantité réduite une viande de qualité par exemple ou mettre sur la table une bonne bouteille de vin.

Indécent peut-être comme discussion me direz-vous à un moment où une part non négligeable de l’humanité cherche sa survie dans les caisses de ravitaillement des Nations Unies, en évitant les bombes, les missiles et les balles perdues. Non répondrai-je quand le militantisme ne se limite pas à faire attention à ce que l’on a dans son assiette et que la malbouffe fait partie du plan d’ensemble des affameurs-profiteurs de l’Univers. La bouffe aussi c’est politique, comme tout le reste. Si l’on peut gagner des milliards en vendant de la merde au prix de l’or, c’est aussi parce que notre référentiel alimentaire s’est tellement appauvri, que certains enfants ignorent purement et simplement l’existence de plus de la moitié des légumes, et sont convaincus que le lait sort d’une boîte et qu’il est fabriqué en usine. D’ici peu, certains ne feront plus la différence entre le Burger d’une marque célèbre et son emballage en polystyrène : tant mieux pour nos bords de routes définitivement souillés par ce genre d’ordures.

 Je sais fort bien que l’on ne change pas la société parce que l’on cultive ses patates et que l’on sait quelle variété on utilise en fonction du plat que l’on veut réaliser. On ne la change pas non plus en étant totalement indifférent à toutes nos fonctions vitales. Comme le disait Pierre Fournier à une lointaine époque, le sandwich/bière du militant n’a rien de révolutionnaire. De la bière lavasse des brasseries industrielles, à la culture se limitant au visionnage des matches de foot à la télé et aux bouquins que l’on achète parce qu’il y en a une grosse pile au supermarché, le pas est vite franchi. Toutes ces démarches font partie du même ensemble tant décrié par les insurgés de Mai 68 et si bien intégré dans nos vies de misère. Abrutis par le travail, les transports, les écrans, la bouffe industrielle, il est difficile de mobiliser encore les zones du cerveau où se situent l’esprit critique, l’imagination, et la curiosité.

Je ne cherche point à ériger de dogme alimentaire, de régime « avec » ou de régime « sans », bien au contraire ! Je cherche juste à mettre en avant le fait que le « salé » et le « sucré » ne sont pas les seuls éléments avec lesquels notre palais doit s’exercer. Perdre le goût de la framboise fraichement cueillie pour en arriver à trouver savoureux tout un ensemble de plats industriels qui ont comme dénominateur commun le glutamate, quelle misère. Et la rééducation n’est pas facile, même pour quelqu’un qui côtoie un jardin depuis des dizaines et des dizaines d’années, et accorde une large place aux produits « bios » qu’il est de bon ton de moquer aujourd’hui dans certains milieux. « Issu de l’agriculture biologique » n’est pas suffisant comme garantie. Fraises et tomates « bios » , provenant des serres d’Andalousie, de Hollande ou de Sicile, que l’on vous propose dans le supermarché du coin, n’ont pas plus de saveur, que les fausses tomates anciennes créées par les ingénieurs de l’INRA n’ayant guère de rapport avec leurs ainées.

 J’ai commencé mon travail de « remise à niveau », il y a longtemps déjà, en faisant attention au goût du pain que je consommais, avant de m’attaquer aux tomates, aux pommes de terre ou au café. C’est difficile… Pour les tomates, mieux vaut en mélanger deux ou trois variétés dans la même salade histoire de les consommer à la suite des unes des autres. Une fois vos papilles réveillées, vous pourrez vous exercer avec le poivre ou le chocolat dont les nuances sont fortement contrastées. Une fois votre « goût » parfaitement réveillé, vous pourrez attaquer les niveaux supérieurs : cucurbitacées ou pommes de terre par exemple.

L’estomac rempli, vous pourrez vous octroyer une sieste digne de ce nom et réfléchir aux subtilités du langage par exemple… Diversité du sens attribué à des mots courants dans la bouche nos experts de la pensée comme «décroissance», « communisme » ou « développement durable ». Dans la bouche d’un certain Vladimir Ilitch, le premier de ces termes n’a certainement pas le même sens que dans les écrits de l’anarchiste italien Errico Malatesta dont les travaux semblent revenir à la mode ! Quant aux « commémorations » à venir, de Mai 68 par exemple, elles n’ont pas le même sens pour tous c’est probable. Les discours risquent d’être à géométrie variable et ce n’est pas qu’une question de papilles ! Pour certains, l’événement se situe au niveau de l’hommage rendu au rocker macdo français, d’autres parlent d’une « grande respiration » révolutionnaire ou pour le moins de tournant dans les luttes sociales….

Saveur des aliments, saveur des mots. J’ai aussi la passion des mots anciens ou nouveaux pour enrichir mon parler courant. Non pas inventer des mots, mais piocher chez nos voisins francophones les expressions goûteuses qu’ils ont continué à utiliser pendant que nous les remplacions ad nauseam par des « debriefing », des « training centers » ou des « mailing lists ». J’en ai découvert quelques unes ces derniers temps qui sonnent dans ma bouche comme s’écoule doucement le jus d’une mûre bien mûre que l’on écrase avec sa langue. Bref, malgré la torpeur de l’hiver, j’essaie de ne pas trop «cogner des clous» et de rester un peu éveillé à l’actualité. Mais je vous ai déjà passablement tanné avec ce genre de sujet ! Je préfère vous laisser du temps pour traquer les premières pousses de pissenlits ou de cardamine. Toute la fraicheur printanière en bande annonce.

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