17 avril 2009

« Belles étoiles » dans le ciel cévenol

Posté par Paul dans la catégorie : l'alambic culturel; mes lectures .

belles-etoiles On peut marcher sur les traces de quelqu’un, emprunter les mêmes chemins, poser son baluchon dans les mêmes lieux, sans pour autant faire le même voyage. J’ai lu cet hiver le « voyage dans les Cévennes » de Stevenson ; je viens de terminer le magnifique roman « Belles Etoiles » (sous-titré « Avec Stevenson dans les Cévennes ») d’Eric Poindron et je n’ai pas du tout l’impression d’avoir lu deux fois la même histoire. Le risque existait sans doute d’une réécriture « moderne » ; le piège fonctionne fréquemment au cinéma ou au théâtre, rarement en littérature ; en tout cas, il est ici totalement évité. Le travail d’Eric Poindron n’a rien à voir avec une quelconque réactualisation de Stevenson (qui n’en a par ailleurs aucun besoin). Nous sommes loin de ces fabricants de « remakes » à répétition, coutume typique de réalisateurs de cinéma, souvent hollywoodiens, éprouvant cycliquement le besoin de faire une nouvelle mise en scène pour un long métrage ancien ; la version « moderne » n’est d’ailleurs que rarement intéressante. Que les choses soient claires : dans « Belles étoiles », la démarche est proche de celle de Stevenson (quoique initiée de façon totalement différente), les références à l’œuvre originale de l’écrivain écossais et en particulier au journal qu’il a écrit à cette occasion sont fréquentes, mais la ressemblance ne va pas plus loin. Il faut dire en premier lieu que le décor cévenol est suffisamment vaste, suffisamment riche, pour offrir des milliers de facettes à ses visiteurs. De plus, ce n’est pas tant sur les péripéties ou sur les dimensions géographiques de son voyage que s’arrête Eric Poindron. L’auteur propose à ses lecteurs un cheminement bien singulier se déroulant sur plusieurs plans. D’un côté on se promène  dans les Cévennes à proprement parler, de l’autre on voyage dans l’œuvre elle-même, en découvrant certains aspects méconnus de la personnalité de l’écrivain écossais. Ce voyage virtuel se prolonge également par un certain nombre d’excursions dans le monde peuplé de rêves étranges des écrivains voyageurs. On croise ainsi au fil du chemin des auteurs comme Jacques Lacarrière, Nicolas Bouvier, Kenneth White, et tant d’autres parmi lesquels le sage auteur de « L’histoire d’un ruisseau », le géographe Elysée Reclus. « Belles étoiles » est un magnifique voyage dans la géographie, dans l’écriture mais aussi dans l’âme humaine. J’ai parcouru avec grand plaisir les trois cent pages de l’ouvrage, voguant d’un livre à l’autre, ne sachant plus par instant si j’étais dans le bus Volkswagen de Jacques Poulin, ou en train de me perdre dans l’Alaska de Sean Penn et de Jon Krakauer.

margeride Et l’âne dans tout cela ? Y’a-t-il un âne au moins ? Comment ça se passe avec l’âne ? Je vais essayer de calmer les angoisses de ceux pour qui le voyage dans les Cévennes de Stevenson se résume à ses rapports houleux avec Modestine. Eh bien oui, il y a un âne, plus exactement une ânesse, portant le nom de Pissenlit, puis rebaptisée Noée. Le héros de l’histoire va accomplir son périple en Lozère en partie à cause d’elle. Avec un compagnon de fortune et d’infortune, ils vont convoyer Noée qui change de maison d’habitation et de propriétaire. Tout commence, comme dans beaucoup d’autres aventures improbables, par un télégramme laconique : « As-tu le temps ? Crois-tu encore à l’aventure ? Prévois un bon moment et des chaussures de marche. Arrive avant la nuit. » Il n’en faut pas plus à notre écrivain voyageur pour prendre la route et se rendre dans un petit hameau isolé, Le Villeret, au Nord de la Margeride. Il n’est encore point question de Cévennes ni de Stevenson. Région magnifique que ces Monts de la Margeride dans le Massif Central, je vous le signale au passage. Elle mériterait elle aussi quelque carnet de voyage rédigé par un auteur talentueux. Nous y avons fait quelques séjours trop brefs, plusieurs traversées « éclair », et il me semble que ce mot, « Margeride », est toujours lié, dans ma mémoire, à des péripéties singulières… Un orage de grêle par exemple, un soir où nous voulions camper, perdus au milieu de nulle part. Une auberge accueillante, une chambre souriante par la fenêtre de laquelle on observait des grêlons gros comme des œufs de tourterelle rebondir sur le sol. Un monde de vallons et de reliefs complexes dans lequel le marcheur ressent le besoin incessant de se perdre. Un col dans la brume : un ancien relais postal, « la baraque des bouviers »… Bref, tous les ingrédients nécessaires pour que se révèle l’envie obsédante de rompre avec le train-train quotidien et de partir « vers ailleurs ». L’hôte mystérieux de l’auteur, Lucifugus Merklen, n’a aucun mal à lui faire accepter le projet qu’il lui soumet : convoyer son ânesse jusque dans le Gard. Dès les premiers chapitres, l’ambiance du livre est prenante, à travers les anecdotes, les histoires qui peu à peu vont s’égrener au fil du chemin.

stevenson L’ombre de Fanny, la femme tant aimée qu’il espère rejoindre, suit l’écrivain écossais tout au long de son périple. Dans les bagages de notre cheminot moderne la belle se nomme Selma et vit au Yemen. Lorsqu’ils se sont séparés, à l’aéroport elle lui a dit : « Le premier qui voyage le raconte à l’autre« . Avant le départ, il lui a téléphoné et elle lui a donné ses consignes : « Tu noteras, si tu veux, les herbes qu’on ne trouve pas dans mon pays, la couleur du ciel et les mots français que je ne connais pas« . Contrairement à Stevenson, notre moderne aventurier ne part pas seul : son compagnon, rencontré au hasard de la route, se nomme Daniel. Depuis Clamecy, où ils se sont rencontrés au pied de la statue de Claude Tillier, les deux compères ne se quittent plus. Traverser les Cévennes à pied, pourquoi pas ? Daniel sera de l’aventure. Cette désinvolture me plaît et ajoute un charme supplémentaire au récit. D’autres rencontres tout aussi pittoresques marqueront les étapes du voyage. Je vous laisse le plaisir de la découverte. Le périple de Stevenson n’est pas une sinécure et tous les moments passés ne laissent pas forcément des souvenirs agréables. Le XXème siècle n’a pas arrangé les campagnes, et comme le fait remarquer l’auteur, il n’est guère réaliste d’avoir une vision trop romantique d’une déambulation dans la France profonde : « La campagne n’est pas une sinécure, le bonheur est parfois hors du pré. Qui l’habite le sait. Il faut arrêter de rêver aux veillées, aux charcuteries maison, aux confitures rouges, à l’entraide. Campagne d’Epinal, parfois elle vous étouffe… »

livre-stevenson A travers cette dernière citation, je voudrais aussi insister sur l’un des éléments majeurs qui me séduit dans ce livre comme dans d’autres récits de voyage : ce sont les réflexions philosophiques égrenées tout au long du chemin, au hasard des situations ou des rencontres. J’adhère facilement à des propos tel celui-ci : « Je m’étonne encore de cette absence de patience, hélas si répandue chez le voyageur moderne. Voyager c’est accepter une marche lente, pénible et embellie à travers l’inconnu qui obsède. Pour devenir un autre, je cherche à deviner ce qui se cache derrière le monde. […] Voyager, c’est […] inventer un autre rythme. C’est se planter de nuit devant une cathédrale et attendre qu’un saint quelconque descende de la façade et se mette à danser sur le parvis. C’est traverser le feu, broyer le noir, marcher comme un Indien en file indienne avec une ânesse« . Ou bien encore : « Protégez vos enfants des lignes droites, offrez-leur des poètes, des illuminations, des fermes et des femmes et du vin et des vignes, des certitudes fragiles et des chaussures solides« . Tout au long du livre, j’ai croisé et recroisé des idées qui m’étaient familières et la lecture m’en a paru d’autant plus confortable. Il est agréable de faire un moment route commune avec quelqu’un qui, bien que vous ne le connaissiez pas, ne vous paraît pas totalement étranger.

Si vous ne connaissez pas encore cet ouvrage, je vous invite à le découvrir à l’occasion d’un instant de paresse. « Belles étoiles » se déguste, confortablement installé sur un fauteuil, dans un lieu que l’on aime bien, à l’abri d’un arbre dont les feuilles se balancent au gré de la brise, ou bien encore à la lumière d’une chandelle, dans une demi-obscurité propice à la dérive et aux songes infinis. Je pardonne même à l’auteur d’avoir mis son projet à exécution avant le mien. J’ai rencontré son livre au détour d’une chronique sur la toile, l’œil attiré par le fait que je m’étais fait voler une idée – le pire étant que je n’en avais encore jamais parlé à personne. Je ne suis pas découragé, loin de là, peut-être partirons-nous à deux, un de ces jours, faire la « grande randonnée cévenole ». J’avoue qu’elle m’attire plus que les chemins de Compostelle. Je n’ai point de pénitence à faire et je n’ai rien d’autre à me faire pardonner que mon amour de la vie ! Je laisse le bon Saint-Jacques à ses admirateurs et admiratrices chaque jour un peu plus nombreux.

2 Comments so far...

zoë lucider Says:

20 avril 2009 at 16:15.

Quelle jolie chronique qui m’évoque plusieurs souvenirs personnels et me donne quelques envies
Relire Stevenson lu il y a longtemps avec beaucoup de plaisir, j’aime les Cévennes et j’y vais régulièrement, mes meilleurs amis étant basés à Anduze « la porte des Cévennes »
Lire les « belles étoiles » d’autant que j’aime bien le site d’Eric Poindron dont j’ai fait l’éloge dans un précédent vent des blogs.
J’ai (il y a très longtemps) fait un périple en bicyclette qui m’a conduite de l’océan atlantique (Royan) à la Haute Loire (Saint Etienne) puis descente sur le gard (Anduze) et retour via le Lot. Nous avons calé aux derniers kilomètres et avons pris un train pour finir, il faut dire que nous avions un méchant vent de face épuisant. Et bien la campagne pas très accueillante. Une ou deux fois nous avions souhaité nous mettre à l’abri dans une grange (la petite tente encore humide de la veille, pas un hôtel en vue), nous nous sommes heurtés à la défiance des paysans et ce sont des Anglais qui nous ont généreusement offert le gîte et le couvert (et quel!)
Enfin cette promenade m’évoque un auteur peu connu que j’aime beaucoup, Georges Picard qui a raconté ses promenades à pied « Le vagabond approximatif »
Lu également votre hommage à Abel Paz. Il est vrai que cette révolution est d’autant plus oubliée qu’elle était une des plus exemplaires
BàV

Paul Says:

20 avril 2009 at 16:46.

Merci Zoë… mais me voilà parti à la recherche du « vagabond approximatif » de Georges Picard. j’avoue ne pas connaître cet auteur, mais mes premières « trouvailles » excitent ma curiosité et me donnent envie d’explorer son œuvre. Je découvre un « philosophe facétieux » qui m’interpelle sacrément. Je crois que je n’aurai pas l’occasion de m’ennuyer dans les mois à venir !
Quant à Abel Paz, il me rappelle de vieux souvenirs de lecture que je n’ai – vraiment – pas envie d’enterrer !

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