3 mai 2009

Une chaise-longue, un verre d’anisette et un bon polar…

Posté par Paul dans la catégorie : l'alambic culturel; mes lectures .

couverture-livre-lille-queb Voilà le programme! Une fois n’est pas coutume, je vais faire un peu de « copinage ». Ce n’est pas de la chaise-longue ou de l’anisette que je vais vous dire du bien, mais de l’excellent roman policier que je viens de terminer. Il se trouve que je connais fort bien la personne qui l’a écrit. Compte tenu de son talent et de la qualité de son travail, dire du bien de son roman ne me pose, de ce fait, aucun problème de conscience ! Vous savez que, par ailleurs, je suis assez large d’esprit et que si la chaise-longue vous chagrine, vous pouvez lui substituer un hamac ou une chaise berçante (c’est le terme harmonieux que l’on emploie au Québec pour désigner un fauteuil à bascule). En cas d’allergie (regrettable) à l’anisette je ne vous ferai pas non plus les gros yeux si vous choisissez, à titre de soutien moral pendant votre lecture, un sirop de framboise, une bière blanche délicatement aromatisée ou quelque autre boisson plus à votre convenance. Qu’importe le breuvage pourvu que l’on n’ait pas la gorge sèche lorsqu’on a le fond de l’œil humide, aurait dit l’arrière grand-tante de ma grand-mère – celle dont je vous conterai bientôt les histoires, quand je me serai décidé à me lancer sérieusement dans l’écriture de contes, envie qui me taraude depuis quelques temps. Mais, trève de digressions, je ne suis pas là pour vous parler de ma pomme ou de ma poire mais pour vous présenter un roman qui mérite toute votre attention : « Lille-Québec, aller simple » par Lucienne Cluytens aux éditions Ravet-Anceau.

lucienne-cluytens L’auteure habite dans le Nord ; les quatre romans qu’elle a écrits jusqu’à présent se déroulent dans la région. Les deux derniers sont édités dans la collection « polars en Nord ». Leur diffusion est surtout régionale et, du coup,  assez confidentielle.  Cela ne vous empêchera pas de vous procurer l’ouvrage auprès de votre libraire préféré ou de votre vépécéiste favori, mais il y a peu de chance pour que vous le voyiez « traîner » sur un présentoir si vous habitez ailleurs que dans la région concernée. Si je parle de « copinage » en introduction de mon article c’est que, autant vous l’avouer tout de suite, Lucienne est une de nos amies de longue date, rencontrée au détour de quelque manif ancienne, à l’époque où, jeunes sauvages irrespectueux, nous protestions contre l’implantation d’une centrale nucléaire voisine. Ce monument est maintenant l’un des fleurons de notre gloire nationale ou plus exactement un déchet industriel encombrant dont nous ne sommes encore pas débarrassés, trente années après les événements qui furent l’occasion de notre rencontre (ça va ? vous suivez ?). Avant de commettre « Lille-Québec aller simple », Lucienne Cluytens a publié auparavant « Les peupliers noirs », une sympathique histoire se déroulant autour d’une maison de retraite, chez le même éditeur, ainsi que « Le petit assassin » et « La grosse » chez Liv’éditions. Ces quatre livres ont en commun le cadre géographique et social dans lequel ils se déroulent, même si, dans le dernier,  « Lille-Québec », plusieurs des personnages importants de l’histoire sont amenés à s’éloigner de la région Nord et à se rendre en Gaspésie, au Québec. Chacun des ouvrages est l’occasion de décrire, avec talent, le décor, souvent assez sordide dans lequel il se déroule. Il s’agit de polars réalistes dont l’ambiance n’est parfois pas très réconfortante ni bonne pour le moral : du roman noir pourrait-on dire, noir comme l’est la destinée de certains individus, noir comme peuvent l’être les espérances à certains moments. Les héros de Lucienne sont des personnages simples, souvent des accidentés de la vie, comme cette femme, « la grosse », prête à tout pour obtenir un emploi au bureau de poste local. Le fil de l’intrigue est souvent mince mais cela n’empêche pas le roman d’être prenant, bien au contraire, et c’est là que se situe l’un des talents principaux de l’auteure : sa capacité à donner vie aux personnages principaux comme secondaires, à trouver le petit détail qui va faire « vrai » dans un décor.

rue-vieux-lille « Lille-Québec » est construit sur deux trames que l’on suit en parallèle : la génèse du crime (puisqu’il y a crime – ce n’est pas un polar pour rien), et le déroulement de l’enquête. Le suspens repose principalement sur le fait de découvrir quand et comment les deux fils vont se rejoindre, et surtout quelle va être la conclusion de l’histoire, une fois l’enquête aboutie. Il s’agit là d’une réponse que je ne vous donnerai pas, bien évidemment. Le seul élément que je veux bien vous révéler c’est ce qu’annonce l’éditeur au dos de l’ouvrage : « Alors qu’il enquête sur le meurtre d’un directeur de clinique, le capitaine Flahaut se rend compte que la victime menait une double vie et se rendait fréquemment au Québec… » Au fil des pages, la tension monte progressivement et l’on a de moins en moins envie de poser le livre. La « magie » d’un bon polar est en train d’opérer : le lecteur devient peu à peu prisonnier du livre. La force du récit c’est que l’on veut absolument savoir comment l’histoire va se terminer, alors que le dénouement semble déjà indiqué dans les premières pages… On suit pas à pas l’instigatrice de la vengeance qui se prépare et l’on marche main dans la main avec l’enquêteur qui traque cette personne… Cela fonctionne car les personnages ont « du corps » et de nombreux détails rendent leur comportement et leurs motivations plausibles. Les faits s’enchainent à la fois avec logique et humanité. Le lecteur évolue dans une ambiance proche de celle qui est souvent évoquée dans les « faits divers » des quotidiens locaux, ces dernières années.

parc-gaspe « Lille-Québec aller simple » est une bonne entrée en matière pour découvrir l’œuvre de Lucienne Cluytens : je pense que c’est l’un des moins « noirs » de ses romans même si l’on côtoie le sordide dans bon nombre de chapitres.  Inutile d’aborder « Lille-Québec » si vous avez l’intention de vous laisser aller à une douce rêverie. L’auteure ne mâche pas ses mots, écrit sans complaisance et ne cherche pas à transformer en « conte de fée » les éléments dramatiques qui constituent la matière de son roman. Même si certaines scènes se déroulant en Gaspésie peuvent prêter à sourire grâce aux expressions imagées qu’emploient nos cousins d’outre-Atlantique, l’humour n’est présent que de façon accessoire. Lucienne Cluytens se situe dans la droite ligne de tout un courant « social » du roman policier français et si elle n’a pas la notoriété d’un Jean-Claude Izzo ou d’un Jean Bernard Pouy, elle joue certainement dans la même division. Ceux qui considèrent encore le roman policier comme un genre littéraire mineur feraient bien de se « frotter » à ce type d’auteur avant de se réfugier dans leur forteresse de préjugés.

perce Sans avoir trop besoin de recourir à des pressions insoutenables, j’ai pu obtenir certaines confidences de l’auteure quant à la génèse du livre. Ce qui est sûr c’est que la rédaction de « Lille-Québec » a pris du temps, une année environ, car Lucienne Cluytens a pris soin de vérifier (ou de faire vérifier) nombre de petits détails figurant dans son récit. Le point de départ de l’histoire a été fourni par un article dans la presse québecoise, concernant la législation sur la pédophilie dans ce pays. La partie de l’histoire qui se déroule en Gaspésie est truffée de dialogues truculents. Une amie québecoise de l’auteure a vérifié la justesse du vocabulaire et de la syntaxe utilisés dans les dialogues. Ce genre de détails contribue à l’authenticité des scènes qui se déroulent outre-atlantique et les rend particulièrement vivantes. Une autre connaissance, ami d’enfance, lui a communiqué un certain nombre de tuyaux sur le fonctionnement de la Police Judiciaire et les rapports internes entre ses différents services. Tout ce travail concourt à la réussite de l’œuvre sans l’alourdir inutilement. J’ai particulièrement apprécié la manière dont l’auteure a terminé son histoire. Le personnage central qu’elle a créé sera probablement un personnage récurrent puisqu’un autre roman le mettant en scène est en phase finale d’écriture. Tout cela est très prometteur… Lorsque vous aurez tourné la dernière page de « Lille-Québec aller simple », n’hésitez pas, les autres romans ne manquent pas d’envergure également, même si, personnellement, je trouve « La grosse » un peu trop sordide à mon goût.

Une remarque pour finir : lorsque j’ai eu l’idée de cette chronique, j’avais l’intention de vous présenter à la suite deux auteurs de romans policiers que j’ai le plaisir de connaître. Ils travaillent dans des domaines différents et leur style n’est pas comparable… Le parallèle n’était guère intéressant. Du coup, j’ai changé mon stylo d’épaule, ce qui me laisse, après tout, un thème de chronique supplémentaire en réserve dans mon placard !

NDLR – Deux petites remarques pour conclure. Lucienne Cluytens possède un site sur la toile où elle parle de ses livres. Allez y faire un tour pour compléter cette chronique. le bandeau ajouté par l’éditeur, « la vengeance d’une femme », sur la couverture de « Lille-Québec », a sans doute pour objectif d’aguicher le chaland mais il est plutôt stupide à mon sens. Toutes les photos sont « maison » sauf le portrait de l’auteure, pour lequel je n’ai fait que fournir les lilas !

2 Comments so far...

Lavande Says:

3 mai 2009 at 14:36.

“la GROSSE”: Le fil de l’intrigue est souvent MINCE.
Pas de chance, il aurait mieux valu l’inverse!

Bon ça démarrait mal avec l’anisette, que je déteste, mais la suite donne heureusement envie de lire cette dame et je vais « amazoner » rapidement.

Paul Says:

4 mai 2009 at 08:01.

Une précision, petite mais importante, apportée par Lucienne Cluytens concernant la diffusion de ses livres : « la diffusion de la collection polar en nord n’est pas si confidentielle que cela : chaque auteur vend entre 2000 et 6000 bouquins sur 2/3 ans.
Quand on sait qu’à la série noire, les nouveaux pas connus atteignent péniblement 1000 !
Il existe maintenant (depuis 2008) une plateforme de commande à laquelle tous les libraires ont accès et qui répertorie aussi toutes les productions régionales. C’est ça la décentralisation ! »

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