1 mai 2009

Caprices de jour férié

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour... .

Je n’aime pas ceux qui dissimulent leur vie privée derrière de hautes murailles : tristes alignements de parpaings gris ou de fausses pierres fabriqués à la chaine, barrières infranchissables de cyprès ou de lauriers-tins taillés par des Saint-Cyriens zélés. Ces gens n’ont en général à cacher que de misérables bibelots de luxe qui ornent la grisaille de leur univers mental, leurs disputes familiales incessantes et leur grosse voiture chromée qu’ils exhiberont pourtant à la première occasion. Je suis dans le camp de ceux qui rêvent d’un coin secret, à l’abri d’une haie aux coloris variés et aux senteurs enivrantes. Je me sens complice de ceux qui cachent dans un tel endroit, leurs amours naissantes, leur tendresse infinie ou leur goût immodéré pour la paresse. Les charmilles aux multiples ramilles, les photynias et autres lilas, les viornes resplendissantes de blancheur sont leurs amis et par conséquent les miens. Je fais partie de ces gens qui aiment à cacher leur trésor pour mieux le partager, qui apprécient un moment de silence pour mieux déguster les trilles d’un rossignol ou les caractères imprimés d’un délicieux grimoire.

Leurs portails électriques, leurs interphones grésillants, leurs chiens agressifs m’exaspèrent. Je n’aime pas ces créatures maudites qui aboient pour un ouah ou pour un non, témoignant ainsi leur haine à l’égard de tout ce qui vit, de tout ce qui bouge, de tout ce qui échappe à leur misérable vie de canidé enfermé dans un enclos ou prisonnier d’une chaine. Toutes ces races de chiens haineux créées par l’esprit tortueux d’humains pervers me font peur ; doberman, pitbull, et autres dogues à l’œil mauvais et aux crocs saillants, sont à l’image de ceux qui les enferment entre les quatre murs de leur bêtise abyssale. Chat je suis, chat je resterai et j’avoue que je n’ai guère d’affection pour les chiens. Je pardonne cependant à ceux qui partagent leur vie avec un compagnon d’infortune, ces chiens un peu clochards, un peu bergers, un peu pantouflards ; j’ai un brin d’affection pour ces vieux briscards qui dissimulent leurs yeux humides derrière une touffe de poils un peu folâtres. Ils font un peu partie de la famille et leurs yeux pétillants apportent à leurs amis un bol de tendresse qu’il est bon de partager. Il n’est point besoin d’attache ou de barrière pour de telles créatures : l’amour de leur maître les attire comme un aimant. Les hérissons furtifs et les bohémiens de passage ne les inquiètent pas… Ils ont leur place au chaud sur le tapis au coin de la cheminée.

Je n’aime pas les papiers officiels, les formulaires administratifs, les permis de respirer. Je ne comprends pas qu’il faille demander une autorisation pour ouvrir une fenêtre sur le monde, creuser une baignoire à grenouille, ou bâtir un abri afin de méditer à l’aise. J’ai trop souvent demandé la permission ; j’en suis las ; j’ai envie de faire ma cuisine seul, dans mon coin, d’en mitonner les saveurs, de les ajuster à mes goûts et aux désirs de ceux que j’aime. Je veux que mes rêves se transforment en réalité sans que quiconque n’ait le droit de les ausculter, de les quantifier, de les paramétrer… J’ai trop sollicité d’autorisations, trop espéré de bienveillance, trop envoyé de formules de politesse. J’ai envie de bougonner seul dans mon coin, de barbouiller en mauve les tuiles de mon appentis, de planter des arbres à papillons couverts de nichoirs à fauvettes, sans avoir à rédiger de courriers aussi mielleux que bourrés de justificatifs incrédibles. Je vous prie de bien vouloir agréer, Monsieur l’administrateur de ma vie, le fait que je vous emmerde.

Je n’aime pas me ranger sur le bas côté de la route pour laisser passer un 4 x 4 rutilant. Les pelotons de cyclistes uniformisés et performants, les coureurs ou les marcheurs, le visage crispé, ahanant sous l’effort tels des bêtes de somme et indifférents à toute vie extérieure autre que le cadran de leur tensiomètre ou de leur podomètre m’horripilent. Les foules bêlantes sur les stades de foot, les convois de futurs divorcés témoignant de leur joie à grands coups de klaxon, les hordes de touristes exaltés s’extasiant sur l’inclinaison de la tour de Pise : tous ces phénomènes de foule m’indisposent et provoquent généralement ma fuite éperdue. Une société d’autistes communiquants, l’oreille branchée en permanence sur un téléphone ou sur un baladeur, indifférente au monde qui l’entoure : autre forme de rempart protecteur, tout aussi inquiétante que les grilles de nos modernes lotissements. « T’es où là ? », « Je prends des Panzatrucs ou des Barimachins ? », « Tu connais Marc, l’ami de Pierre ? Eh bien je me suis envoyé en l’air avec lui hier soir ! Extra ! Sur la banquette du salon, tu sais, celle qu’on a acheté chez Conforamachin. Tiens à propos de banquette… » : conversations si importantes qu’il faut absolument que le monde entier en profite. Ces individualités là, ces conglomérats communiquants, ces agrégats de fourmis besogneuses ne sont pas pour moi.  Normalité insipide et exténuante. Je préfère garder ma sympathie pour ces promeneurs solitaires et souriants, ces couples rayonnants de bonheur, ces enfants qui tapent dans le ballon au milieu de la route dans un coin de campagne un peu hors du monde, cette vieille dame sur le pas de sa porte qui nous donne le bonjour et le temps du jour avec le sourire. Autre temps, autre monde.

Les médias me fatiguent. Je ne supporte plus d’écouter à la radio ces gens qui s’écoutent parler, ni de voir à la télé ces présentateurs sans âme, qui s’exhibent devant un miroir sans tain. L’exhibitionnisme m’indispose tout autant que le repli sur soi. Ceux qui éprouvent le besoin de s’étaler au vu et au su de tous n’ont en général que des oripeaux de pensée à déballer. Tout cela me rappelle le célébrissime « la culture c’est comme la confiture… » Le bavardage insipide et égocentrique de tous ces caniches de salon, qu’ils soient de droite comme de gauche, me hérisse le poil et les efforts que je dois faire pour y rester indifférent me fatiguent. Je n’ai pas envie non plus de cet environnement musical calibré et anesthésiant que l’on nous délivre à longueur de temps sur les ondes ou, à la moindre occasion, dans les rues, dans les boutiques et bientôt dans les cimetières. Je consens à dresser l’oreille ou à détourner mon regard lorsque la télévision ou la radio me donnent envie de m’ouvrir au monde et excitent ma curiosité, me poussent au partage et m’incitent à communiquer, me donnent envie de voir et de connaître. Le bruit est pénible; le bruit de fond est insupportable. Non seulement notre société n’est que pur spectacle, mais de plus, cette opérette ininterrompue est bruyante. Les présentateurs et les présentatrices de ce spectacle épuisant sont des ennemis du bien être public.

En fait, j’aspire à beaucoup de choses qui ne pourront plus être dans ce monde orwellien et ça m’inquiète sacrément beaucoup. Pourtant, une île déserte peuplée d’ami(e)s en tous genres, ça doit bien exister non ? Sur ce, je vous quitte, sans omettre de vous envoyer mes plus cordiales salutations, mais sans quérir une quelconque autorisation d’absence : pour les jardiniers, le premier jour du mois de mai n’est pas un jour férié !

coin-de-verdure

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