12 juin 2009
Du pétrole en Amazonie ? Dommage pour les Amérindiens du Pérou !
Posté par Paul dans la catégorie : Feuilles vertes; Vive l'économie toute puissante .
Vendredi 5 juin, la police péruvienne est intervenue avec une violence inouïe contre des militants amérindiens bloquant une route en signe de protestation contre l’attribution de nouveaux passe-droits aux compagnies pétrolières sur les terres qui leur appartiennent. Les chefs de tribu accusent la police d’avoir tiré à l’arme automatique sur les manifestants depuis des hélicoptères de combat. En réplique, les autochtones ont pris en otage un groupe de policiers. La situation a rapidement dégénéré : selon les premières informations disponibles, il y aurait eu plus de 30 morts (certaines sources doublent au minimum ce chiffre) et au moins deux cents blessés… Les enjeux de cet affrontement sont importants à connaître et je voudrais vous en parler un peu, les médias officiels ayant été trop occupés ces derniers jours par diverses commémorations et autres analyses larmoyantes ou triomphantes de résultats électoraux sans grand intérêt, pour le faire correctement…
Il existe au Pérou une loi qui a été promulguée en juin 1974 par le gouvernement de Velasco Alvarado puis inscrite dans la constitution du pays en 1979. Ce texte reconnaît “l’existence légale et la personnalité juridique des peuples autochtones d’Amazonie et leurs territoires, en les déclarant inaliénables, insaisissables et imprescriptibles”. Lorsque le président Fujimori, actuellement condamné pour de multiples malversations, a installé son pouvoir dictatorial, il a fait voter une nouvelle constitution n’incluant pas ce texte. L’actuel président, Alan Garcia, s’est bien gardé de modifier la situation et s’est appuyé sur cette « absence » de texte de référence pour décréter un certain nombre de mesures législatives (sans consultation du parlement) rendant les territoires des Amérindiens de l’Amazonie péruvienne « négociables en fonction de l’économie de marché ». Ceux qui verraient derrière cette décision une quelconque soumission aux demandes des firmes étrangères, et en particulier US, seraient de bien mauvais esprits. Il se trouve que le territoire qu’habitent les autochtones recèle d’importantes réserves de pétrole, de gaz et de minerais. Cette partie de l’Amazonie andine présente par ailleurs des intérêts importants pour les sociétés d’exploitation forestières et les promoteurs du tourisme. Il ne s’agit pas d’une région dépeuplée, puisque 600 000 Amérindiens y vivent. Le gouvernement Garcia a décidé d’accorder un certain nombre de licences pour l’exploitation du sous-sol, dans un premier temps, entrainant un vaste mouvement de protestation dans la province de Madre de Dios, relayé dans les communautés andines de la région d’Abya Yala. Bien que la politique mise en œuvre soit en totale opposition avec certains textes internationaux, notamment la Convention 169 de l’Organisation Internationale du Travail (OIT), prévoyant une consultation préalable des peuples amérindiens ou originaires avant toute intervention dans leurs territoires par des instances étrangères à leurs propres communautés, le président Garcia a décidé de « passer en force ». Les autochtones ont répliqué en entamant un mouvement de grève et de blocage des voies de circulation, en particulier routières. Le ministre de son gouvernement chargé de l’énergie et des mines a dû démissionner suite aux nombreuses accusations de la société civile péruvienne concernant les « pots de vin » qu’il a touchés des compagnies étrangères. Cela n’a pas empêché les mêmes compagnies de se livrer à un certain nombre d’expertises illégales sur les territoires concernés. Par ailleurs, des entrepreneurs profitent du fait que beaucoup d’autochtones ne savent ni lire ni écrire pour leur faire parapher des papiers dans lesquels ils cèdent leurs terres. Une empreinte digitale en guise de signature et le tour est joué…
Actuellement, le mouvement de protestation déborde largement le cadre de la province révoltée, et la soixantaine de peuples autochtones vivant dans la région, bénéficient de larges soutiens au niveau national dans la population, et au niveau international parmi les autres communautés amérindiennes de la Cordillère. Une réunion importante de ces communautés s’est terminée le 31 mai, par la rédaction d’un manifeste commun, la déclaration de Mama Quta Titicacan, faisant mention de « l’engagement unanime de respecter la terre-mère et les ressources naturelles, pour le bénéfice de l’homme » ainsi que du « rejet catégorique de la privatisation de l’eau, de la présence de sociétés multinationales et du modèle économique néolibéral ». Les participants à cette rencontre ont également décidé d’une mobilisation des organisations sociales et autochtones ainsi que d’actions devant les ambassades péruviennes de tous les pays de la zone concernée.
Depuis le 9 avril, et tout au long du mois de mai, sur place, la lutte s’est durcie, le gouvernement faisant la sourde oreille aux protestations pacifiques. La route goudronnée qui relie les bourgs de Yurimaguas et Tarapoto, en traversant une vaste région forestière à 900 km de Lima, a été coupée en différents points par les autochtones : plus de 3000 personnes ont été mobilisées à tour de rôle pour cette action. Des troncs ont été abattus et placés en travers de la route, des tentes ont été installées sur le bas côté, mais dans un premier temps aucun acte violent n’a eu lieu. C’est à Bagua que la police, en l’occurrence la DINOES (Direction Nationale des Opérations Spéciales) est intervenue avec sauvagerie, provoquant la colère des Indiens. L’action a pris une nouvelle tournure, les manifestants prenant alors en otage un groupe de policiers et menaçant de mettre le feu à une station de pompage de la société nationale Petroperu. Il y a eu des morts et des blessés en grand nombre dans les deux camps, mais il semble que le chiffre de 30 annoncé pour les indigènes soit bien inférieur à la réalité car de nombreuses personnes ont disparu. L’Amazonie péruvienne a été placée en état d’urgence et les forces armées sont venues occuper le terrain. La situation reste très tendue, même si quelques mesures ont été prises pour apaiser les esprits. Les manifestants ont accepté d’ouvrir plusieurs barrages quelques heures dans la journée pour laisser passer des camions de ravitaillement, et le Congrès a suspendu l’application de deux des décrets menaçant les territoires des autochtones. Le Président Garcia compte bien aller au bout de son projet, même s’il doit en différer quelque peu l’exécution ; quant aux communautés indiennes, leur mobilisation va en s’amplifiant malgré la répression sanglante. Le mouvement de grève s’élargit à plusieurs provinces voisines de celle qui est impliquée dans les textes gouvernementaux. Les médias à la solde du pouvoir ont, en ce qui les concerne, commencé une vaste campagne de désinformation présentant les autochtones comme des êtres primitifs, violents (pensez-donc, ils massacrent les policiers avec leurs arcs et leurs lances) et, comme il se doit, manipulés par l’opposition marxiste : « des extrémistes » qui suivent des « consignes internationales » pour « arrêter le développement du Pérou » et empêcher que le pays « jouisse de son pétrole ».
Hier jeudi 11, une importante manifestation a eu lieu à Lima, en soutien à la lutte des Amérindiens. Plusieurs milliers de personnes se sont rassemblées et ont exprimé leur intention de marcher en direction du Congrès pour exprimer leur indignation. La police est intervenue, mais avec des gaz lacrymogènes cette fois, pour disperser le rassemblement. Le leader indigène Alberto Pizango, traqué par la police du régime qui l’accuse d’être à l’origine de la rébellion, a réussi à trouver refuge à l’ambassade du Nicaragua. Cet état lui a accordé l’asile politique, à la grande colère du chef de l’état péruvien. Une réunion d’urgence de l’OEA (Organisation des Etats Américains) a été convoquée pour examiner les violences à l’égard des communautés indiennes. Le seul argument que le gouvernement d’Alan Garcia ait pu présenter pour sa défense a été d’affirmer que son intervention armée était légitimée par le fait qu’il s’agissait d’une agression commanditée de l’extérieur, les populations locales étant manipulées par des éléments subversifs étrangers, sans pouvoir fournir la moindre preuve de cette affirmation. Les gouvernements de la Bolivie et du Vénézuela, mis en cause par les propos du ministre péruvien, ont protesté vigoureusement.
Comment la situation va-t-elle évoluer ? On ne le sait pas pour l’instant ; une mobilisation importante au niveau international est certainement l’une des clés de cette réponse. Il n’est cependant pas facile d’amener nos médias occidentaux à s’intéresser à ces questions… L’Amazonie, certes, mais c’est loin ; le pétrole, bien entendu, mais on en manque cruellement… La fibre écologique qui, paraît-il, se réveille, sera peut-être l’une des cordes sensibles qui pourra jouer en faveur des peuples de l’Amazonie andine… Mais il y a un pas à franchir entre admirer de belles images romantiques sur la terre en péril au cinéma, et accepter de revoir à la baisse, entre autres, la demande énergétique de nos sociétés ; d’autant que l’on voit difficilement comment la situation globale pourrait évoluer sans un changement social profond. Tous responsables de la crise écologique actuelle ? Peut-être, mais certains bien plus que d’autres ; c’est une évidence que les discours moralisateurs et les superbes démonstrations en images ne doivent pas faire oublier. J’y reviendrai, sans vidéo, mais avec des mots.
Je termine par quelques extraits des déclarations de chefs indigènes : « Nous déclarons nos peuples en état d’insurrection contre le gouvernement du président Alan Garcia sur les territoires indigènes amazoniens. […] Nos lois ancestrales ont désormais force de loi et nous considérons comme une agression l’entrée d’une quelconque force sur nos territoires. » (Alberto Pizango) « On est fatigués, il nous manque de quoi manger, mais on ne fera pas marche arrière, car il s’agit d’une terre pour nos enfants » (Reyna Isabel Ortiz, leader de l’ethnie Shabi)).
Notes : en prolongement de ce bref article, on trouve de bonnes sources d’information sur le web. Si vous comprenez l’espagnol, vous pouvez consulter par exemple le texte de la Fédération des peuples de Madre de Dios intitulé « Madre de Dios, capitale de la biodiversité au Pérou« . Le journal suisse « Le Matin » a consacré un article assez complet aux événements qui se sont déroulés. L’Union Socialiste Libertaire du Pérou (pour une fois que les libertaires réagissent rapidement !) a lancé un appel à la solidarité internationale, assez bien documenté. Pour les non-hispanophones, le site « Amérikenlutte » publie un article traduit du journaliste de Lima Carlos Noriega. Deux volontaires de l’ONG belge CATAPA ont assisté à l’intervention de la police péruvienne et témoignent. Un certain nombre de ces textes, ainsi que quelques autres, ont servi de base documentaire à la présente chronique et à son illustration.
4 Comments so far...
julio Says:
13 juin 2009 at 15:01.
Détruire toujours détruire et sa n’apporte rien aux populations indiennes !
Se président est un voyou !
zoë Says:
13 juin 2009 at 22:50.
Merci paul pour ce dossier riche. je n’avais pas entendu parler de ce mouvement et je fais partie des gens qui s’informent, c’est dire! Jai vu il y a deux mois un film intitulé « la terre des hommes rouges » qui présnete un cas de rebellion d’Indiens pour reprendre leurs terres. Heureusement que l’Amérique du Sud commence à émerger de la longue période où les dictatures militaires maintenaient sous la férule yankee les peuples du Sud. Mais comment se mobiliser contre toutes les exactions qui se comettent en permanence. Au moins ne pas ignorer et vous faites ici oeuvre de salubrité. Bien à vous
Paul Says:
15 juin 2009 at 17:34.
@ Zoé : Ça fait un moment que je voulais la « ramener » sur l’Amazonie, car il s’y passe de drôles de choses et il y a un sacré écart entre les grands discours, les grandes envolées à coloration verte de certains décideurs, et la réalité du terrain. En ce qui concerne les peuples du Nord Pérou, l’affaire commence à faire un peu de bruit. Tant mieux. Un dossier à tenir au chaud, mais il n’est pas très « porteur ». Un vieux qui se fait dégommer par la chute d’un parasol c’est quand même une question plus sérieuse !
Paul Says:
19 juin 2009 at 06:33.
Epilogue provisoire ? (dépêche AFP 19 juin 2009)
« Daysi Zapata, la vice-présidente de la confédération des Indiens d’Amazonie (AIDESEP), a demandé à ses partisans de lever les blocages de routes et de rivières, qu’ils avaient mis en place début avril et qui avaient tourné au bain de sang le 5 juin dernier.
Les autorités avaient alors voulu disperser un barrage routier dans le secteur de Curva del Diablo, la Courbe du diable, dans la province d’Utcubamba (nord du pays): 23 policiers avaient été tués et, de source indienne, au moins 30 manifestants étaient morts dans les affrontements.
Le président péruvien Alan Garcia avait soutenu en personne les deux décrets contestés. Mercredi, il s’est excusé auprès des Amérindiens pour ne pas les avoir consultés. Et après la fuite au Nicaragua du leader des protestations, Alberto Pizango, où on lui a accordé l’asile politique mardi, le Premier ministre péruvien Yehude Simon avait annoncé mardi qu’il démissionnerait dès que la crise serait réglée. »