8 juillet 2009

La révolte des Rustauds

Posté par Paul dans la catégorie : Histoire locale, nationale, internationale : pages de mémoire .

J’ai évoqué cette « révolte des Rustauds » en quelques lignes dans la chronique que j’ai consacrée il y a peu de temps au superbe donjon d’Ortenberg en Alsace. Après avoir raconté l’an dernier la révolte de Pétignat et le soulèvement des Canuts lyonnais, avec cet article je vais continuer à évoquer les grands mouvements de colère qui ont marqué l’histoire des exploités de tous les pays du monde… Vaste programme et tristes récits en perspective tant il est vrai que peu de ces évènements ont eu une issue heureuse ou, tout au moins, pas trop sanglante. Dans le cas de la Révolte des Rustauds, appelée aussi Rusticiade, qui s’est déroulée en Allemagne au début du XVIème siècle, le soulèvement eut une très grande ampleur et se termina par une succession de massacres impressionnants. Le récit complet de cette révolte est une tâche de grande ampleur et je me limiterai, pour l’heure, aux évènements qui se sont déroulés essentiellement en Alsace-Lorraine.

revolte-rustauds La révolte des Rustauds débute en 1524 à l’Est du Rhin, dans le pays de Bade. Elle s’étend à l’ensemble de l’Allemagne centrale et méridionale et gagne un peu plus tardivement, en 1525, les régions situées à l’Ouest du Rhin, à savoir l’Alsace et la Lorraine, qui, à cette époque, font partie intégrante de l’Empire. Les causes précises du soulèvement sont troubles : sans doute à la fois sociales, politiques et religieuses, dans des proportions difficiles à évaluer. Ce qui est certain c’est que le mouvement s’est propagé comme une trainée de poudre et a bénéficié d’un très large soutien dans le monde rural. Les effectifs des combattants engagés dans les différents affrontements avec le pouvoir témoignent de cette popularité. L’élément déclencheur s’est produit non loin de Schaffhouse dans le pays de Bade : des paysans refusent de se soumettre aux ordres de leur seigneur exigeant une corvée qu’ils estiment parfaitement injuste. Ils obtiennent très rapidement le soutien de la frange la plus radicale du clergé converti à la Réforme préconisée par Luther (lequel se désolidarisera très vite du mouvement qu’il juge beaucoup trop violent et surtout incontrôlable…). Pendant l’automne 1524 les insurgés adoptent comme plateforme revendicative commune un document rédigé par le maître cordier Sébastien Lotzer de Memmingen, intitulé « manifeste des douze articles ». Les revendications sont variées : suppression de la peine de mort et du servage, liberté de pêche et de chasse, augmentation de la superficie des « communaux », mais aussi élection des prêtres par le peuple ou diminution du montant de la dîme prélevée par l’église… Il est indéniable que cette révolte porte la marque du conflit religieux qui ensanglante l’Ouest de l’Europe depuis quelques années, et que l’aspect économique, s’il est important, n’est sûrement pas le seul élément moteur. Les récoltes des années précédentes n’ont pas été plus mauvaises que les autres et il n’y a pas d’épisode particulier de famine ou de grande misère dans les années qui précèdent le soulèvement. Les historiens font remarquer également que des paysans aisés ainsi que quelques nobles peu fortunés se joignent à la révolte. Il y a par contre des dissensions importantes au sein de l’église protestante naissante, certains penseurs de la nouvelle religion réformée estimant que leurs chefs spirituels ne vont pas assez loin dans leur diatribe contre l’église catholique romaine. Il est possible que le mouvement des Rustauds ait été (au moins au début) instrumentalisé par l’une des factions pour s’opposer à l’autre. Difficile de conclure sur ce chapitre-là, faute d’éléments documentaires précis.

timbres-commemoratifs A la mi-avril 1525, les paysans de l’Evêché de Strasbourg se soulèvent à leur tour. Le mouvement se déclenche simultanément dans plusieurs autres secteurs, en Haute-Alsace et en Lorraine, ce qui montre qu’il est parfaitement structuré et ne doit rien au hasard. En quelques jours, le nombre des insurgés augmente considérablement et les Rustauds s’emparent de plusieurs villes ainsi que de plusieurs abbayes qui sont pillées et incendiées. De nombreux villages tombent dans les mains des insurgés grâce à l’aide de bourgeois, favorables à la cause, qui leur ouvrent tout simplement les portes. A la mi-mai, un mois après le début des évènements, Ribeauvillé, Riquewihr, Saverne… sont sous le contrôle des paysans révoltés. Seules les villes bien protégées et les châteaux à l’abri de leurs remparts résistent. Compte-tenu de leur nombre, les Rustauds s’organisent en différentes bandes armées qui parcourent la province et recrutent de nouveaux partisans. Ces bandes ont à leur tête des chefs compétents et plutôt bien obéis par la troupe : Jörg Ittel et ses lieutenants Erasme Gerber et Peter de Molsheim commandent la bande la plus importante autour de Molsheim ; Mathieu Nithard et Jean Pflüm, celle du Sundgau ; Wolf Wagner celle du Ried… Des camps retranchés sont constitués comme à Sarreguemines où l’on dénombre plus de 4000 paysans armés. Les escarmouches sont nombreuses et, au fur et à mesure des combats, les insurgés s’arment peu à peu grâce aux prises sur l’ennemi. Les autorités s’affolent devant l’ampleur du mouvement.

antoine Le Duc de Lorraine, Antoine, décide d’organiser la reprise en main de sa région. Il rassemble à Nancy une armée de 15 000 hommes, fantassins, cavaliers, artilleurs d’origines très diverses : fantassins espagnols, lansquenets (mercenaires) des Pays-Bas et d’Allemagne du Nord, nobles venus de Champagne, de Lorraine ou de Brie. Toute cette armada se met en route le 5 mai 1525 pour mater l’insurrection. De nombreux renforts viennent encore grossir la troupe : alliés et vassaux du Duc Antoine répondent à l’appel de leur maître ; l’heure est grave ; les privilèges sont menacés, d’autant que les gueux ont adopté une nouvelle plateforme de revendications, beaucoup plus radicale que le manifeste de leurs condisciples d’outre-Rhin, mais tout aussi fourre-tout. Un premier affrontement a lieu dans la région de Sarreguemines et il se termine par une victoire des insurgés qui font prisonnier le capitaine Jean de Braubach, l’un des officiers du Duc. Les Rustauds victorieux rejoignent d’autres groupes de paysans à Saverne et s’installent dans la ville. Le choix tactique est maladroit et les insurgés se retrouvent très rapidement encerclés et assiégés par les troupes de Lorraine. Un premier massacre a lieu dans le village voisin de Lupstein : la localité est incendiée par l’armée du Duc et trois mille personnes, paysans insurgés mais aussi habitants du lieu, perdent la vie dans cette « bavure ». Le Duc Antoine compte bien tirer profit de sa position dominante et refuse la proposition d’évacuation de la ville faite par les Rustauds enfermés dans Saverne. La situation dégénère très vite et le siège se transforme en massacre généralisé. On estime que cet affrontement à Savernes et environs a provoqué la mort d’au moins vingt mille personnes.

blason_scherwiller A partir de là, la situation va rapidement se dégrader pour les insurgés. Le 12 mai a lieu a Scherwiller (non loin d’Ortenberg) une bataille d’une importance considérable, tant au niveau du nombre de combattants impliqués, que des enjeux pour la suite de l’histoire. Les Rustauds ont rassemblé 15 à 20 000 hommes relativement bien équipés, sous les ordres d’un de leurs chefs prestigieux, Wolf Wagner. Cette force bénéficie même du soutien de soldats de métier (des Suisses) et va combattre sur un terrain qu’elle connaît bien. Mais ces deux atouts ne seront pas suffisants face au nombre et à l’organisation de l’armée du Duc de Lorraine. Au cours de l’affrontement, un certain nombre de notables acquis aux insurgés, voyant que la situation évolue mal, n’hésiteront pas à tourner casaque et à trahir la cause qu’ils soutenaient. C’est le cas du bailli de Riquewihr qui passe à l’ennemi avec un certain nombre de ses miliciens. Bref, les Rustauds perdent la bataille, et les morts se dénombrent par milliers lorsque la boucherie est terminée. Satisfait de sa victoire, le Duc de Lorraine rentre à Nancy, laissant les seigneurs locaux poursuivre le travail de harcèlement et de répression des dernières bandes d’insurgés. La révolte n’est pourtant pas totalement annihilée et d’importants groupes armés subsistent dans le Sud de l’Alsace. Une dernière défaite va marquer la fin de la rébellion : elle aura lieu à Wattviller dans le Sundgau au mois de septembre. D’aucuns disent que le « brave » Duc aurait été quelque peu écœuré par le massacre de Scherwiller… Il est plus probable qu’il s’est retiré du combat estimant que le risque de contagion de la révolte sur ses terres de Lorraine était totalement circonscrit… Ce qui est sûr c’est que l’insurrection, privée de chefs, mal coordonnée, est en train de vivre ses derniers soubresauts. La répression va être terrible : chaque fois qu’un pouvoir est ébranlé dans ses fondements, il réagit généralement avec une violence proportionnelle à la « trouille » qu’il a vécue… Les exemples sont nombreux dans l’histoire et la Commune de Paris n’est pas le pire de tous…

luther Le mouvement est vaincu également dans le reste de l’Allemagne. A la fin de l’an 1525, l’ordre règne à nouveau et les révoltés n’ont obtenu aucune concession de la part de la noblesse. Les chiffres varient selon les sources, mais l’on estime généralement que la révolte des Rustauds a concerné environ trois cent mille paysans… Un tiers d’entre eux y aurait perdu la vie, soit lors des combats, soit lors de parodies de justice qui ont suivi la période de « reprise en mains ». Les causes de l’échec d’un mouvement d’une telle ampleur sont sans doute nombreuses. Le fait que les têtes pensantes de l’Eglise Réformée aient cessé de lui apporter leur soutien a certainement eu de l’importance. Les paysans allemands s’étaient appuyés sur l’œuvre de Luther pour justifier certaines de leurs revendications. Ce même Luther a préféré soutenir le camp des oppresseurs plutôt que celui des opprimés. Comme dans bien des circonstances, les humbles ont servi de « piétaille » dans des combats idéologiques dont ils ne soupçonnaient pas la portée. En tout cas, il est évident que cet événement a été bien plus qu’une anecdote dans l’histoire des révoltes populaires, même s’il est relativement peu connu ;  les livres d’histoire, trop souvent négligeants de la vie des humbles, ne lui accordent que quelques lignes dans une brève évocation des « jacqueries cycliques » du monde rural.

2 Comments so far...

fred Says:

10 juillet 2009 at 08:28.

« Rustaud » .. voilà un terme qui devrait rendre service à la fédération Française de Handball ! Elle cherchait justement un nouveau surnom à donner à son équipe ! après les « Bronzés », les « barjots », les « costauds », voilà les rustauds ! Sinon, les “jacqueries cycliques” , ça a un rapport avec le tour de France ?

Miette Says:

17 juillet 2009 at 16:42.

Merci Paul pour votre texte (que je découvre avec beaucoup de retard, m’étant laissée trop facilement décourager par quelques problèmes techniques rencontrés lors de tentatives de visite récentes). Me permettez-vous de faire un commentaire un peu « décalé », en fonction de mes affinités pour le sujet ?
Luther a clairement joué les puissants, les princes et l’ordre, son comportement n’est guère reluisant. Mais au-delà de la faiblesse trop humaine du Réformateur (« faiblesse » spirituelle, s’entend — le terme est évidemment paradoxal pour parler de quelqu’un qui a choisi d’appuyer la force !) je voudrais tout de même souligner que c’est dans les textes bibliques eux-mêmes, enfin accessibles, que le peuple a pu trouver un idéal d’égalité (et d’égalité terrestre, ici et maintenant). Les lois « sociales » de la bible juive (dite « ancien testament ») sont en effet très claires et très précises (notamment sur la remise périodique des dettes) et cette orientation est maintenue dans le « nouveau testament ». C’est cette radicalité qui a été perçue par ceux qui, munis de traductions en langues « vulgaires », n’étaient plus obligés de passer par l’intermédiaire d’érudits et de clercs …
Avec parfois des conséquences que n’avaient pas forcément prévu les Réformateurs, quand ces nouveaux lecteurs de la Bible ont découvert par exemple au 4ème chapitre des Actes des apôtres le verset 32 : « Tous ceux qui étaient devenus des croyants vivaient dans une parfaite unité de cœur et d’esprit. Personne ne se prétendait propriétaire de ses biens, mais ils partageaient tout ce qu’ils avaient. »
C’était ma rubrique « écraser l’infâme, d’accord, à condition de ne pas entretenir une confusion entre la religion-institution (effectivement le plus souvent « opium du peuple ») et la force des textes eux-mêmes » …

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