22 février 2008

Pauvre école !

Posté par Paul dans la catégorie : Sur l'école .

Dans une chronique publiée au mois de Novembre, intitulée « je quitte la marine à voiles », je faisais part de mon plaisir à abandonner le navire « Education Nationale » et de mes inquiétudes quant aux orientations futures que le vent du large allait lui donner. L’actualité récente renforce mes appréhensions. Que ce soient des résidus de ma conscience professionnelle ou bien simplement les marques indélébiles qu’une bonne trentaine d’années de service ont laissées dans mon inconscient, chaque fois que je vois dans les dépêches d’agence ou dans les articles de presse, ou que j’entends à la télé le mot « école », je me sens encore obligé de lire ou d’écouter, tout en sachant très bien que cela ne fera que faire monter d’un cran ou deux le baromètre de ma pression artérielle.

pauvre-ecole-1.jpg Le prince déblatère sur l’Education et ses laquais agissent avec célérité. J’aurais envie de dire « le roquet aboie et les bouledogues par derrière mordent sauvagement », mais d’aucuns vont encore m’accuser de maltraiter la gent canine alors je m’abstiendrai. Voilà que notre Prince, donc, a décidé de s’intéresser personnellement au cas des enfants juifs morts en déportation et voudrait que chacun de ces enfants martyrs soit « parrainé » par un élève de CM2, dans le cadre d’un « devoir de mémoire » au nom duquel on finit par dire et faire vraiment n’importe quoi. Je ne m’étendrai pas sur l’absurdité, voire même sur la dangerosité d’une telle idée : d’autres l’ont fait à ma place et avec éloquence. Cela ne veut pas dire que je veux minimiser l’attention qu’il faut porter à des faits historiques d’une telle gravité que le génocide qui a frappé les Juifs et les Tziganes notamment, bien au contraire… Après la lettre de Guy Moquet, son dada précédent, espérons que le Petithimonier ne devienne pas fan de Spinoza ou de Kant, il serait capable de les faire ajouter au programme du CP ce qui ne serait, il faut le reconnaître, guère plus aride que certains manuels de lecture purement syllabique d’antan.

Pendant que ces pantomimes occupent le devant de la scène, le laquais concerné, notre sieur Darcos, se charge, lui, de la réforme des programmes de l’école, et de la mise en place d’une autre grande idée thimonesque : le contrôle continu et la rémunération au mérite des enseignants. Le Sno0py (c’est le nom charmant que dans mon syndicat nous donnions à la structure syndicale dominante dans le premier degré, à savoir le SNUIPP) fait une très bonne analyse du contenu des nouvelles instructions ministérielles : « odeur de blouse grise et de poussière ». C’est un très bon résumé et ce n’est guère la peine de développer. Les enfants qui n’auront pas été dégoûtés de leur langue maternelle, version littéraire, par leur apprentissage de la lecture, auront encore une chance de l’être en se livrant en long et en large à l’étude intensive du passé antérieur, et aux joies inénarrables de l’analyse syntaxique de la phrase. Quel meilleur remède aux maux de la jeunesse que la jouissance de découvrir les nuances subtiles qui permettent de distinguer le complément d’objet indirect de ses concurrents acharnés !

pauvre-ecole-2.jpg Pour enrober tout cela, une bonne petite leçon de morale le matin pour commencer la journée, en commentant une maxime bien sentie ou en admirant le graphisme élégant d’un tableau d’images Rossignol. « Quand un adulte entre dans la salle de classe, je dois me lever et attendre qu’il ait le dos tourné pour lui faire un bras d’honneur » ou bien, en associant artistiquement morale et conjugaison : « niquer, comme tous les verbes en er, appartient au premier groupe. Son subjonctif présent se conjugue donc en -asse. Exemple : « il n’eut point fallu que tu niquasses ma mère hier soir car c’était une parole blessante ». Mon dieu, que de perles de bêtise enfilées sur le collier de l’école publique depuis des années ! L’autre abruti de Chevènement dans les années 80 parlait du recentrage de l’école sur ses tâches fondamentales : lire et écrire. Comme quoi la droite n’a pas le monopole des idées idiotes et les pratiques démagogiques n’évoluent guère…

Les nouveaux programmes sont là : on (c’est une formule un peu hypocrite de ma part) va faire plus de maths, plus de français, plus de sport (Lénine déjà était convaincu que le sport était un bon exutoire pour les pulsions irraisonnées de la jeunesse), consacrer toujours autant de temps à l’apprentissage incontournable de l’anglais, ne pas négliger l’informatique bien sûr et pendant le temps restant s’intéresser le plus possible à l’histoire (il ne faut pas oublier le « devoir de mémoire »), à la géographie (il est essentiel pour les enfants immigrés de connaître les pays vers lesquels ils vont être expulsés, et pour les autres ceux vers lesquels ils vont aller au Club Med avec leurs parents), aux arts… Après une liste des romans que l’on « doit » avoir lu en primaire, sans doute aurons-nous une liste de chants (de la « Marseillaise » au répertoire de Carla Bruni, il y a de quoi s’éclater !). Quant à l’enseignement des Sciences, il est visiblement beaucoup moins à la mode ; comme le dit un copain, retraité comme moi, pas la peine de donner à tous ces jeunes un regard trop critique sur les coups tordus que l’on porte jour après jour à notre environnement ! Evidemment, comme tout cela ne pourra pas tenir en 6 ou 7 h, les syndicats seront consultés (dixit le ministre) pour savoir dans quelle mesure on va pouvoir « trancher dans le vif ». Quant aux enfants « en difficulté », on envisage de prolonger leur pensum d’une ou deux heures chaque semaine (« travailler plus pour savoir plus ? ») ; peut-être vaudrait-il mieux s’intéresser au « pourquoi » de leurs problèmes plutôt que d’augmenter la dose d’exercices inefficaces !

pauvre-ecole-3.jpg Je ne parlerai pas de la méthodologie conseillée pour enseigner tout cela mais en tout cas ce terme suffit largement pour remplacer « pédagogie », beaucoup trop laxiste. Je propose que l’on impose deux portes de sortie à chaque salle de classe : l’une donnant sur le cours supérieur pour les moutons blancs et l’autre directement sur les Centres d’Education Surveillée (fermés bien sûr) pour les moutons noirs. Pour que tout cela fonctionne bien, il faut graisser les courroies de transmission et veiller à ce – qu’une fois de plus – l’incurie des enseignants ne mette pas cette belle réforme par terre. Les contrôles seront donc renforcés : inspection tous les deux ans, notation en fonction des résultats obtenus et communication aux parents, non seulement des notes de leurs enfants mais des performances globales de l’école dans laquelle ils sont scolarisés. Pour cela bien sûr on va augmenter le nombre d’IEN (Inspecteurs de l’Education Nationale). Cela va coûter cher, mais comme dans le même temps on « normalise » les effectifs à 30 et qu’on se débarrasse de l’excédent d’enseignants parasites, tout va bien. Quand on sait que s’il y a bien une catégorie professionnelle sur laquelle on pourrait faire des économies budgétaires c’est celle des inspecteurs, il y a de quoi rire jaune. Le jour où la rémunération des enseignants va dépendre directement de leur évaluation par ces mêmes inspecteur, il y aura carrément de quoi pleurer de rage. Je précise « directement » car il y a déjà un lien entre l’échelon de fin d’activité et la notation obtenue tout au long de la carrière. Au niveau rémunération globale cela peut se chiffrer en dizaine de milliers d’euro.

pauvre-ecole-4.jpg Pour faire bonne mesure dans la démagogie, Monsieur Darcos précise enfin que ces nouveaux programmes concentrés seront rédigés de façon concise et dans un style facilement compréhensible par les parents. Il fallait y penser. Je propose que cette mesure de lisibilité soit étendue aux circulaires émises par d’autres institutions, médicales et judiciaires par exemple. Ce qui est certain c’est que nos gouvernants, qui ont sans cesse le mot « libéralisme » à la bouche, témoignent une fois de plus de leur volonté de tout contrôler et de légiférer sur tout. La relative indépendance pédagogique des enseignants de l’école primaire, donnée importante qui a fait le charme de ce métier mais qui est aussi à l’origine la qualité et du dynamisme de notre enseignement pendant des années, leur donne des boutons. Cette volonté acharnée de contrôle montre bien l’absence totale de considération et le mépris que les laquais du régime actuel ont pour les enseignants. Il faut dire aussi que bon nombre de ceux-ci ne sont malheureusement que des moutons et le fait qu’on leur indique dans quelle pâture ils doivent brouter les rassurera sans doute pleinement.

NDLR : suite à ce que j’ai entraperçu l’autre soir au JT de France 2, je tiens à signaler à la rédaction de ce très inestimable journal d’informations que la rémunération d’un Instituteur en fin de carrière n’est pas de 2900 euro et plus comme cela était très sérieusement affiché à l’écran. Ce salaire est celui d’un Professeur des Ecoles, en fin de carrière, et arrivé au fait de la gloire fonctionnarisée c’est à dire appartenant à la hors-classe. A ce jour, cette situation reste particulièrement exceptionnelle (un cas sur 10 000 ou sur 100 000 – des gens ayant fait leur carrière à l’étranger par exemple et fort appréciés de leur hiérarchie) : la majorité des enseignants du premier degré qui partent à la retraite ces dernières années ont commencé leur carrière en tant qu’instituteur avec une grille de rémunération bien inférieure. La réalité, messieurs les journalistes, se situerait plutôt du côté de 2300 euro, ce qui n’est pas tout à fait pareil ! C’était le couplet final sur le « pouvoir d’achat »…

5 Comments so far...

Paul Says:

22 février 2008 at 10:35.

Au sujet du devoir de mémoire et du parrainage des enfants juifs morts dans les camps, j’aime beaucoup ce texte sur le site altermonde, écrit par un professeur de philosophie. Je vous invite à le lire. Le point de vue de l’auteur est extrèmement sensé. Voici le lien :
http://www.altermonde-sans-frontiere.com/spip.php?article5854

Jack C Says:

23 février 2008 at 07:35.

Encore une fois tres bien analysé, mon cher Paul. Et en plus, tu as bien fait de rajouter ta NDLR au bas de ton article.
Par ailleurs, sache que je te cite souvent auprès de mes amis qd tu disais « ce gars là est dangereux , en parlant de qui tu sais… » Chaque semaine nous apporte son lot de preuves supplementaires… Jack.C

Lavande Says:

24 février 2008 at 08:48.

Première leçon de morale et de civilité, le jour de la rentrée 2008.
-Qu’est-ce qu’on dit à quelqu’un qui ne veut pas vous serrer la main?
-Casse-toi, pôv’con
-Pardon?
-Ben oui M’sieur, c’est ce qu’a dit le président de la République!

fred Says:

25 février 2008 at 09:11.

ah oui ! le fameux « casse toi pauv’ con ! » risque de devenir bientôt « culte »
ça change de CHIRAC qui se contentait de tripoter les fesses des vaches !

Lavande Says:

27 février 2008 at 11:40.

Mais non Fred, face à quelqu’un qui lui balançait « Connard », Chirac tendit la main avec un grand sourire « Enchanté, moi, c’est Chirac ».
Sûr qu’il faut une présence d’esprit que n’a pas notre petit excité.
De là à en déduire que je regrette Chirac, il y a un grand pas à ne pas franchir !

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