2 décembre 2009

Petite poêlée de lectures fines

Posté par Paul dans la catégorie : l'alambic culturel; mes lectures .

aux champignons des bois, servie avec une chope d’hydromel

meandre-du-fou-upfield La collection « grands détectives » chez 10/18 a publié la totalité des aventures de l’inspecteur Bonaparte, œuvre policière très particulière d’Arthur Upfield. Les différentes enquêtes se déroulent en Australie, principalement entre les deux guerres mondiales, et juste après. Upfield est mort en effet en 1964. Ce que ces histoires ont de singulier, c’est que Bonaparte n’est pas un inspecteur de police comme les autres : il est métis, blanc et aborigène, et, tout au long de sa vie, il va essayer de trouver sa voie en s’appuyant sur les deux cultures. Ses enquêtes le ramènent constamment dans les zones où vivent les aborigènes, et il est sans cesse confronté à ses origines. Lire Upfield c’est surtout l’occasion, à travers des énigmes généralement bien ficelées, de découvrir la culture des peuples autochtones d’Australie. Upfield est considéré comme l’un des fondateurs du roman policier « ethnologique » et ouvre la voie à d’autres auteurs qui s’engageront à sa suite ; je pense tout particulièrement à l’auteur américain Tony Hillerman et à tout le travail qu’il a effectué pour faire connaître et promouvoir les us et coutumes des indiens Navajos dans leurs réserves aux alentours de Four Corners. Le style d’Upfield est certes un peu vieillot et certaines de ses affirmations sur la culture blanche feront peut-être sourire certains, mais la lecture de ses ouvrages reste d’actualité. Les aborigènes vivent toujours dans un état de grande précarité, même si le gouvernement australien commence à se pencher de façon un peu plus critique sur l’histoire de la conquête du pays et sur le comportement des colons blancs à l’égard des autochtones. On s’excuse beaucoup mais on ne fait pas toujours grand chose pour remédier aux problèmes de fond. Lire Upfield permet également de voyager et de découvrir les différentes régions de l’Australie. De la même façon que Leo Malet a promené ses lecteurs dans les différents arrondissements de Paris pour leur faire découvrir la capitale, chacune des aventures de Bonaparte se déroule dans un cadre géographique nouveau, ce qui permet un survol intéressant des différentes régions de ce pays-continent.

colombe-diamant Si je vous parle longuement d’Upfield, qui est probablement connu de la plupart d’entre-vous, c’est pour vous faire part de la découverte que j’ai faite, cet automne, du premier roman policier d’un nouvel auteur australien, Adrian Hyland, dont j’ai particulièrement apprécié la lecture. Son roman s’intitule « Le dernier rêve de la colombe diamant » et je dois reconnaître qu’en premier lieu c’est le titre qui m’a accroché tant je le trouve plaisant. J’ai eu un peu de mal à rentrer dans l’histoire au départ, tellement la toile de fond est dépaysante. Au fil des pages, en découvrant la personnage principale et le milieu dans lequel elle évolue, je n’ai pas pu m’empêcher de superposer sans arrêt dans ma tête l’image de l’inspecteur Bonaparte à la sienne. Il y a certes, les paysages du bush australien, communs aux deux œuvres, mais aussi la singularité du personnage central choisi par les deux auteurs. La ressemblance d’ailleurs s’arrête là. En aucun cas, Hyland n’a voulu prolonger l’œuvre d’Upfield ou y faire référence d’une quelconque manière. Le style de cet auteur et sa problématique toute personnelle, sont résolument contemporains. Le portrait qu’il dresse de la vie des communautés aborigènes et des bidonvilles dans lesquels beaucoup s’entassent, est sans concession. L’écriture est dure, efficace ; les descriptions particulièrement poignantes ; le style de Hyland est en parfaite symbiose avec le tableau qu’il dépeint. Dès les premières pages, le lecteur n’a plus aucune illusion sur l’ambiance dans laquelle l’histoire va se dérouler. Le suspens se maintient jusqu’à la fin ; les doutes et les contradictions de l’enquêtrice donnent une profondeur certaine à son personnage. Sa volonté de découvrir le criminel repose plus sur des motivations personnelles que sur une démarche d’investigation policière. Emily Tempest (« Nangali »), personnage clé de l’histoire, ne fait d’ailleurs pas partie de la police. Il s’agit plutôt d’une baroudeuse que les cahots de la vie ont conduite d’une filière d’étude à une autre, et qui, au fil de son errance professionnelle et géographique, n’a pas vraiment trouvé sa voie : une « paumée » qui ne s’identifie pas vraiment aux valeurs aborigènes mais n’est pas à sa place non plus dans la civilisation blanche où elle a évolué. Emily Tempest est un peu l’héritière spirituelle de l’inspecteur Bonaparte, mais elle est résolument enracinée dans son époque. Bonaparte est inspecteur de police, donc membre de l’institution. Emily survit difficilement, de petits boulots en petits boulots, n’ayant que des contacts épisodiques et des relations complexes avec son prospecteur de père. Sa mère, elle, est aux abonnés absents, disparue alors que notre héroïne était encore bien jeune. Lire « Le dernier rêve de la colombe diamant » est, à mes yeux, une excellente occasion de découvrir la société aborigène, ses coutumes et son mode de vie dans la société blanche australienne du XXIème siècle.

trois-rois-de-cologne Restons dans le domaine du « policier » mais quittons l’ethnologique pour l’historique, médiéval plus particulièrement. « Grands détectives » continue la publication des enquêtes de Roger Chapman le colporteur, personnage créé par Kate Sedley. Le dernier épisode « les trois rois de Cologne » tient bien sa place dans cette série sympathique et plutôt bien construite. Cette fois, notre enquêteur amateur est amené à s’intéresser à une affaire ancienne : on a retrouvé le corps d’une jeune femme, Isabella Linkinhorne, assassinée une vingtaine d’années auparavant, dans un terrain sur lequel le maire de Bristol compte faire bâtir un hospice et une chapelle dédiée aux rois mages (les trois rois de Cologne). Il se trouve que de son vivant cette jeune femme menait une vie assez tapageuse, au grand dam de ses parents, et entretenait une relation  suivie avec trois hommes différents. L’assassin est probablement l’un de ses trois amants, mais lequel, et surtout qui sont ces trois personnages mystérieux ? C’est la fin de l’hiver et la vie domestique commence à peser lourdement sur les épaules de Roger Chapman : ce n’est pas facile pour un colporteur de se soumettre à une vie sédentaire, d’autant que, cette année-là la mauvaise saison a été bien longue. Lorsque le maire de la cité lui demande d’enquêter sur cette affaire de meurtre, notre bonhomme n’est que trop content de sauter sur l’occasion pour aller se promener un peu, d’autant que la récompense promise fera le plus grand bien aux finances du ménage. En toile de fond de cette intrigue, l’auteur dépeint les problèmes commerciaux des villes anglaises : leur prospérité, en grande partie due au commerce des tissus, est soumise à une forte concurrence de la part des villes de la ligue hanséatique (dont Cologne fait partie…) Les pistes sont nombreuses ; les témoins ont oublié les événements qui remontent à un lointain passé ; des langues refusent de se délier… L’enquête du colporteur va s’avérer bien difficile, d’autant que certains ne souhaitent pas vraiment la voir aboutir. Plusieurs anecdotes émaillant le récit m’ont particulièrement plu, notamment celle du lit piégé de Hambrook Manor…. mais je ne vous en dirai pas plus ! Kate Sedley a un style délié, facile à lire, et elle connait les ficelles permettant de créer un bon suspens. Les aventures de Roger Chapman en sont à leur dix-septième épisode en langue anglaise ; espérons que leur traduction continuera à un rythme régulier…

les-vikings Restons dans le domaine historique, mais en quittant cette fois-ci la catégorie roman policier pour l’essai documentaire. J’ai lu avec beaucoup d’intérêt le livre de Régis Boyer sur « Les Vikings » paru dans la collection Tempus aux éditions Perrin. L’auteur est un historien renommé, spécialisé dans l’étude de la civilisation et de l’histoire islandaise. Inutile de préciser donc qu’en matière de vikings, Régis Boyer sait parfaitement de quoi il parle. Beaucoup de livres ont été écrits sur les « hommes du Nord » ; peu sont aussi intéressants et surtout aussi synthétiques. L’auteur essaie de brosser (en quatre cents pages quand même – il s’agit d’un pavé) un tableau complet de la civilisation viking, de l’an 800 jusqu’au milieu du second millénaire. Il propose un certain nombre de réponses à des questions restées en suspens jusqu’à ce jour, et propose surtout une nouvelle interprétation du phénomène d’expansion, puis d’arrêt brutal du développement de cette civilisation conquérante. Qu’est-ce qui a permis aux Vikings de s’imposer un peu partout en Europe et au Moyen-Orient, au début du Moyen-Age ? Quels sont les facteurs qui expliquent leur perte d’influence quelques siècles plus tard ? Les thèses exposées par Régis Boyer s’écartent bien souvent des sentiers battus et remettent en cause un certain nombre de clichés de l’histoire classique. L’auteur montre bien les nuances existant entre les différents courants qui composent le flux expansionniste des guerriers-commerçants du Nord : selon qu’ils sont originaires de la Suède, de Norovège ou du Danemark, leur politique n’a pas été la même et leur quête géographique ne les a pas conduits vers les mêmes rivages. Quel rôle les vikings ont-ils joué dans la formation de l’Etat russe ? Ont-ils vraiment été les premiers colonisateurs européens de l’Amérique du Nord ? Quelles étaient leurs principales routes commerciales ? Les découvertes récentes faites en archéologie permettent de donner des réponses de plus en plus précises et surtout de plus en plus vraisemblables à toutes ces questions… Si l’histoire du Moyen-Age vous intéresse, ne manquez pas de vous plonger dans la lecture de ce livre qui est, à mon avis, un ouvrage essentiel sur cette période encore mal connue du développement de l’Europe.

him-19-vikings Si la taille de ce livre vous décourage par avance, sachez que la revue « Histoire et images médiévales » vient de sortir un numéro thématique intitulé « mémoire viking », préfacé par le même Régis Boyer et donc proche des thèses de l’historien. Les textes rassemblés à l’occasion de cette publication sont très intéressants et l’iconographie est superbe. Le sommaire de la revue propose deux grandes parties : « Société et techniques » et « Croyances et littérature ». En suivant le fil des premiers articles, vous découvrirez l’aspect singulier des maisons que construisaient les hommes du Nord (ils ne passaient pas leur vie dans les drakkars) ainsi que la manière dont ils fabriquaient leurs superbes bateaux. Les études concernant la poésie des scaldes et le rôle des sagas, pièces essentielles de la littérature scandinave, sont tout aussi passionnantes. « Histoire et images médiévales » fait largement appel à « l’histoire vivante » (reconstitution de scènes en costume avec les accessoires d’époque) pour ses illustrations et cela rend le dossier très vivant. Les photos de monuments ou d’objets trouvés lors de fouilles récentes sont également nombreuses et permettent de se faire une idée des multiples talents artistiques que possédaient les vikings. Les pierres gravées avec leurs textes en runes et leur ornementation symbolique sont de véritables œuvres d’art et il est plaisant de savoir qu’autant de spécimens ont été conservés dans un état plus que satisfaisant. Quelques cartes viennent compléter ce numéro, notamment celle des routes de commerce maritimes et terrestres que les Vikings ont mis en place. Les hommes du Nord avaient la capacité bien singulière de s’adapter avec facilité aux usages et aux coutumes des pays dans lesquels ils s’installaient, ce qui ne les empêchait pas d’apporter leur propre empreinte culturelle. La Normandie est riche de toponymes ayant leur origine dans les lointaines contrées nordiques. Le français, notamment le vocabulaire de marine, a hérité de nombreux termes techniques empruntés aux Vikings. Cette civilisation a donc amplement laissé sa marque dans notre histoire hexagonale, comme dans beaucoup d’autres pays.

Sur ces propos « culturels », je vous laisse. Le prochain caquelon de livres sera probablement servi au moment des fêtes, généralement propices à un enrichissement de notre bibliothèque. Il vous faudra patienter 4 ou 5 jours avant de lire la prochaine chronique… Ce délai est dû  à une « affaire de livres » : nous partons à Gap aider au rangement en cartons d’une colossale « bibliothèque de l’écologie ». Les lecteurs amnésiques ou intermittents de ce blog peuvent se reporter à la chronique intitulée « d’un tilleul vénérable aux misères d’une bibliothèque » pour avoir un complément d’informations. Rendez-vous sans doute au lundi 7 pour de nouvelles aventures…

One Comment so far...

Lavande Says:

3 décembre 2009 at 12:40.

Un film étonnant sur deux ados aborigènes: « Samson et Delilah ».
Ils fuient leur village (campement serait plus juste) où ils sont maltraités et s’ennuient à mourir pour aller à la ville où leur vie sera encore pire. Un film quasiment sans paroles, des grognements et des gestes comme moyens d’échange entre les deux jeunes que leur attachement l’un à l’autre sauve du désespoir complet. Une peinture effrayante à la fois des conditions de vie dans le bush et de l’abîme entre ces gens et les citadins bien blancs et bien proprets de la ville. Une petite réflexion au passage sur le fric que se font les galeries d’art qui vendent des peintures ethniques (cf la couverture du livre) payées une misère à ceux qui les réalisent!

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