9 novembre 2009

La Normandie c’était comment ?

Posté par Paul dans la catégorie : Carnets de voyage; Philosophes, trublions, agitateurs et agitatrices du bon vieux temps .

plaque-dieppe-louise-michel A l’évidence, la réponse à cette question doit changer en fonction de la personne à qui on la pose, et du moment dans l’histoire où on le fait. Pour simplifier, dans un premier temps, je vais me situer dans l’actualité récente, et considérer que c’est aux « feuillards charbinois » que cette interrogation s’adresse. Sans hésitation, je répondrai : mouillé, très mouillé, très très mouillé, humide à la limite… de quoi voir ses petites patounes se transformer en nageoirounettes… Heureusement, la chaleur de l’accueil qui nous a été offert valait bien toutes les intempéries de la planète. Il semble néanmoins que, pendant que l’on causait à en perdre haleine et que l’on pianotait sur les accordéons, le ciel s’est soulagé avec une constance admirable. Dieppe et ses falaises ? Sous des trombes d’eau… Rouen et ses clochers ? Sous un crachin persistant… Forges les eaux et son marché ? La douche offerte sans avoir un centime à débourser. La Normandie a inspiré les impressionnistes ? Pourquoi pas ! Subtiles nuances de gris, de verts et de bruns… Quelques écharpes de bleu dans le ciel pour souligner la richesse de la palette automnale du décor… Rien à redire ! Je remarque au passage que jamais je n’ai vu autant d’eau à la fois, en Bretagne, en Ecosse ou en Irlande… Mais je préfère tout de suite éviter de me mettre à dos les lecteurs normands. Ils ont déjà fort à faire avec le climat ; il n’est pas vraiment utile d’alourdir leur fardeau en y ajoutant d’infâmes calomnies. D’autant que de retour au pays natal nous avons pu apprécier le charme d’un brouillard à couper au couteau… de quoi inspirer au passage les peintres du « Pays des Couleurs », puisque ainsi est nommé notre riante communauté de communes. Dans ce contexte, les débats enthousiastes que nous avons eus autour d’une bolée de cidre ou d’un gorgeon de vin bio ont été particulièrement agréables. Les pieds au sec dans les pantoufles et le sourire aux lèvres pour résumer !

falaise-environs-dieppe C’est à Dieppe que nous avons photographié la plaque commémorative qui figure en tête de cet article. Du coup, j’en reviens à la question initiale et il est clair que si elle avait été posée à Louise Michel, de retour au « pays » après sept ans de bagne, sa réponse aurait été enthousiaste. Vous me pardonnerez donc de reléguer nos modestes personnes au second plan, et de m’intéresser un peu plus à l’événement dont nous commémorons, ce jour, le cent vingt-neuvième anniversaire (moi personnellement je préfère les nombres biscornus, car lorsqu’ils sont ronds tout le monde s’y intéresse !). Anniversairons donc mais à contre-courant bien sûr ! Dans un tout autre ordre d’idée, on aurait pu interroger aussi les soldats canadiens morts pour rien ou pour pas grand chose, lors du « test de débarquement » effectué le 19 août 1942. Les plages de Dieppe ont été pour eux un immense cimetière, et la Normandie, pour certains (un certain nombre de Québécois par exemple), la terre de leurs aïeux qu’ils ne reverraient jamais. Je ne peux éviter de vous rappeler, au passage, que 1200 soldats venus de l’autre côté de la « grande flaque » sont morts à Dieppe en 1942 et que 3000 ont été blessés et/ou capturés pour être envoyés directement dans les camps de prisonniers en Allemagne. Il est difficile de mentionner le nom de la ville de Dieppe sans avoir une pensée à leur égard, même si l’évocation est moins souriante que d’autres. Quand on pense que les brillants stratèges qui avaient programmé cette boucherie ont eu l’audace de l’appeler « opération Jubilee »…

Après ce détour, j’en reviens donc à mon propos initial. Le 16 décembre 1871, Louise Michel est condamnée à l’enfermement au bagne par un tribunal militaire. Elle a participé activement à la Commune de Paris, et s’est livrée pour éviter que sa mère ne soit emprisonnée à sa place. Voici ce qu’elle déclare au Président du tribunal : « J’appartiens tout entière à la Révolution sociale […] Ce que je réclame de vous qui vous affirmez Conseil de guerre, qui vous donnez comme mes juges, qui ne vous cachez pas comme la commission des grâces […] c’est le champ de Satory, où sont déjà tombés nos frères. Il faut me retrancher de la société ; on vous dit de le faire ; eh bien ! le commissaire de la République a raison. Puisqu’il semble que tout coeur qui bat pour la liberté n’a droit qu’à un peu de plomb, j’en réclame ma part, moi ! Si vous me laissez vivre, je ne cesserai de crier vengeance, et je dénoncerai à la vengeance de mes frères les assassins de la Commission des grâces » Le 24 août 1873, elle est envoyée en Nouvelle Calédonie, après 23 mois d’enfermement en prison centrale. Son séjour au bagne est particulièrement éprouvant et marque un virage profond dans son existence : ses sympathies pour l’anarchisme se transforment en convictions profondes et en militante acharnée de la cause. « Je suis devenue anarchiste quand nous avons été envoyés en Calédonie » (« Le Libertaire » article de 1896). Elle refuse l’amnistie partielle qui est proposée aux communards emprisonnés et ne rentre en métropole qu’avec les « jusqu’au boutistes », ceux qui ont attendu l’amnistie complète, à défaut d’une réparation quelconque pour l’enfermement arbitraire qu’ils ont subi (il ne faut pas rêver !). Comme je l’ai indiqué dans un précédent billet à son sujet, Louise Michel est passionnée par l’enseignement et la pédagogie. Pendant son séjour au bagne, elle cherche à instruire les Canaques, et soutient leur mouvement de révolte qui éclate en 1878.

louise-michel Louise débarque donc d’un vaisseau anglais sur le quai Henri IV à Dieppe, avec une dizaine de compagnons de déportation. Ce sont les derniers Communards à rentrer en France. Les autres ont été libérés au préalable ou sont morts au bagne. Le groupe de révolutionnaires reçoit un accueil triomphant de la part de la population locale mais aussi des cheminots lorsqu’ils embarquent dans le train pour Paris. La réception est triomphale à la gare Saint-Lazare. Des milliers de personnes sont venus les accueillir mais Louise Michel est réticente à toutes ces festivités. Elle écrit à ce sujet : « Vous savez bien que si j’accepte d’être l’objet d’une de ces réceptions qui ne sont pas payées trop cher de toute une vie, je ne veux pas que ce soit ma personnalité, mais uniquement la révolution sociale et les femmes de cette révolution auxquelles tout soit adressé. […] J’ai hâte de remercier, j’ai hâte de dire qu’avec les dix déportés qui sont revenus, nous avons eu également à Londres par les derniers proscrits, un de ces accueils fraternels qui prouvent combien nous sommes amis et combien nous nous souvenons à travers le temps, l’exil et la mort… » D’autres déportés sont revenus auparavant et ils ont été rapatriés dans des conditions scandaleuses. Les 1100 bagnards qui sont rentrés sur le vaisseau « La Loire » ont traversé l’Atlantique traités comme des prisonniers alors qu’ils étaient amnistiés : enfermés jusqu’à vingt neuf dans des cages, soumis à des traitements inqualifiables, beaucoup périssent pendant leur trajet retour. La République et surtout l’armée qui est à son service a bien du mal à accepter la rentrée de ceux qu’elle souhaitait purement et simplement éliminer. On comprend que la grande Louise apprécie peu les honneurs dans ces conditions. Elle ne mettra pas longtemps avant de reprendre le combat par ailleurs.

amis-de-la-commune Même si elle s’est plutôt assagie, de nos jours, la Normandie a été pendant longtemps une terre de luttes sociales entre ceux qui avaient tout et en voulaient encore plus, et ceux qui n’avaient que la force de leurs bras. Je suis content que nous ayons vu cette plaque commémorative au détour d’une rue. Elle a été apposée en 2000 pour le cent vingtième anniversaire. La cérémonie a eu lieu en présence du Maire PCF de la ville et de plusieurs centaines de participants. L’initiative en revient, semble-t-il, au syndicat CGT des cheminots. Louise Michel est devenue un symbole dont la portée dépasse amplement le simple milieu libertaire. On peut le regretter, grincer des dents en voyant certains politiciens s’approprier son image. Mais le fait est là, indéniable. Ses compagnons anarchistes n’oublient pas en tout cas, ce qu’elle était vraiment. Pour ma part, si elle était toujours vivante, je doute sérieusement du fait qu’elle ait pris sa carte au PCF, à la CGT ou au PS. Puisse sa silhouette inspirer un peu d’énergie à tous ces politicards ramollis…

Plus modestement, en ce qui nous concerne, le périple au pays de Bray et au pays de Caux est terminé. Nous en rapportons de bien bons souvenirs. La plaque commémorative évoquée dans cet article en fait partie. Le simple tourisme ne nous intéresse guère et il est réconfortant de connaître un minimum l’histoire vivante d’une région, celle de sa population, celle de ses luttes. Les couleurs du ciel n’en sont que plus belles à admirer. Tant pis pour la pluie ! Le souvenir de ce voyage (et d’autres un peu plus ancien) sera probablement la source d’inspiration de différentes chroniques à venir pour les longues soirées d’hiver.

NDLR : je vous propose un lien vers un site, l’association des amis de la commune de Paris.sur lequel j’ai trouvé beaucoup d’informations intéressantes. Certaines d’entre elles m’ont servi à la rédaction de cette chronique. Parmi ses nombreuses activités, cette association organise chaque année une cérémonie à Dieppe, le 9 novembre. Certains ne manqueront pas de me faire remarquer qu’en ce jour j’aurais pu commémorer un autre anniversaire notoire, le vingtième, celui de la chute du mur de Berlin… Cet événement là, les médias ne manqueront pas d’en parler (j’aurais envie de dire « de s’en emparer ») alors j’attendrai, pour ma part, encore quelques années !

la-manche-environs-de-dieppe

5 Comments so far...

Leirn Says:

9 novembre 2009 at 12:19.

Louise Michel dit : « c’est le champ de Satory, où sont déjà tombés nos frères » et moi je lis :  » c’est le champ de Sarkosy »… Faut que je me méfie…

Paul Says:

9 novembre 2009 at 13:00.

@ Leirn… Quel mauvais esprit ! L’influence genevoise sans doute ! Encore une frontalière qui va manger le pain blanc des Suisses !

Phiphi Says:

9 novembre 2009 at 13:40.

Je ne voudrais pas dénoncer mes petits camarades, mais il faisait grand beau temps avant votre venue et, depuis quelques jours, le Soleil est revenu ;-)))

Paul Says:

9 novembre 2009 at 14:11.

@ Phiphi… Je conteste formellement le « depuis quelques jours » qui me parait teinté d’un optimisme proche de la béatitude…

Thierry Kron Says:

10 novembre 2009 at 21:28.

Magnifique photo de plage, magnifique coucher ou lever de soleil, ressemble assez à un Turner par l’ambiance.

Leave a Reply

 

Parcourir

Calendrier

avril 2024
L M M J V S D
« Avr    
1234567
891011121314
15161718192021
22232425262728
2930  

Catégories :

Liens

Droits de reproduction :

La reproduction de certaines chroniques ainsi que d'une partie des photos publiées sur ce blog est en principe permise sous réserve d'en demander l'autorisation préalable à (ou aux) auteur(s). Vous respecterez ainsi non seulement le code de la propriété intellectuelle (loi n° 57-298 du 11 mars 1957) mais également le travail de documentation et de rédaction effectué pour mettre au point chaque article.

Vous pouvez contacter la rédaction en écrivant à