11 novembre 2009

Eh bien non, Maginot n’est pas mort !

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive l'économie toute puissante .

Grâce au nucléaire, il b…. encore !

ligne-maginot Comme le disait (approximativement) Patrick Font dans les années 70, « ceux qui ne croient pas au nucléaire civil [en 2009], sont les mêmes que ceux qui ne croyaient pas à la ligne Maginot en 1940 ». Le nucléaire sauvera la France et son indépendance énergétique, comme la ligne Maginot nous a protégés de l’invasion hitlérienne dans les temps anciens. Les centrales nucléaires et leurs déchets posent certes quelques petits problèmes non résolus, mais la sortie de crise est une question de foi, ainsi que le faisait remarquer dans une émission programmée sur ARTE, le très estimable conseiller en matière énergétique, de notre Petit Thimonier. Chacun sait qu’une foi solide est un élément indispensable pour faire progresser la recherche scientifique. Parlez-en à Bernadette Soubirou. S’il elle n’avait pas été croyante, la Vierge se serait sans doute contentée d’une apparition en terre étrangère, et le chiffre d’affaires des commerçants de Lourdes en aurait été lourdement affecté ! Nous allons laisser derrière nous des milliers de tonnes de déchets, radioactifs pendant des dizaines ou des centaines de milliers d’année. Peu importe ! L’essentiel c’est que l’on puisse continuer à utiliser nos brosses à dent électriques et à éclairer le ciel au cœur de la nuit.

A l’heure où les peuplades barbares qui nous environnent se détournent de l’industrie nucléaire à cause des risques qu’elle présente, des problèmes non résolus qui s’accumulent, et de son coût financier exorbitant, le vaillant peuple gaulois, guidé par les technocrates infaillibles de nos grandes écoles, persiste et signe dans les choix que certains ont fait pour lui, sans vraiment lui demander son opinion. Pendant des années, en France, la recherche nucléaire civile et militaire a dévoré des capitaux incroyables et notre pays est loin d’être le seul impliqué dans le processus : depuis 1974, les pays de l’OCDE ont englouti des sommes astronomiques dans ce domaine (le Réseau Sortir du Nucléaire estime ce montant « officiel » à 250 milliards de dollars). Jusqu’à ces dernières années les crédits alloués à la recherche dans le domaine de nouvelles sources d’énergie peuvent être comparable aux chèques cadeaux que les grandes surfaces de bricolage offrent à leurs clients les plus fidèles. Depuis une décennie la situation s’améliore un peu car un certain nombre de grands groupes industriels se sont penchés sur la question : vert, bleu, noir… l’argent n’a pas plus de couleur que d’odeur… Mais les éoliennes ont au moins le mérite de ne pas remplir les parkings de Sibérie avec leurs déchets.

big-bang-dechets-nucleaires Les problèmes de coût et de sécurité évoqués par les écolos primitifs des années 70 (déjà mentionnés plus haut) n’ont pas été résolus. Les problèmes budgétaires ont purement et simplement été évacués du débat, grâce à un certain nombre d’entourloupes comptables (en particulier la sous estimation manifeste des coûts de retraitement des combustibles irradiés, ainsi que ceux de la gestion du démantèlement des centrales arrivées en bout de course). Il faut se rappeler quand même qu’un rapport alarmant de la cour des comptes a été l’une des causes de l’arrêt de construction du projet délirant du surrégénérateur à Creys Malville en Isère. Cela n’a pas été le seul facteur : il y avait aussi l’évolution de la demande militaire qui a joué un rôle non négligeable, mais le trou financier a fini par inquiéter sérieusement nos élites comptables. Le problème de la conservation à très long terme des déchets radioactifs ultra-toxiques dont nous ne savons que faire, n’a aucunement été résolu. On n’a fait que retarder l’échéance de la crise en utilisant des procédés criminels : largages en haute mer, recyclage de l’uranium appauvri dans les projectiles militaires, entreposage à ciel ouvert dans certaines régions privilégiées du globe, comme la Sibérie par exemple. La sinistre marée de ces déchets prend chaque jour un peu d’ampleur, et ce n’est pas le fait de s’amuser à les promener en train, en cargo ou à dos de chameau, d’un bout à l’autre de la planète, qui permettra d’esquiver longtemps le problème. « Qui n’en veut de mes produits toxiques ? – Pas moi répond la petite souris prudente… Qui n’en veut de mes produits toxiques avec une grosse enveloppe pleine de billets et un maximum de discrétion à l’égard des populations locales ? – Moi, moi, » répond la petite souris élue et avide de dividendes incontrôlables. Ma petite histoire vous paraît simpliste ? Comment croyez-vous que se gère actuellement le problème des déchets radioactifs ?

eoliennes-portugal La rivière des crédits disponibles pour la recherche a beau avoir un débit important, pendant des années, le canal  « nucléaire civil et militaire » en a drainé une énorme part, au détriment des autres secteurs de la recherche énergétique. Tous les autres pays industrialisés n’ont pas fait le même choix, et certains ont su corriger le tir dans des délais assez brefs (note 1). En France, il n’en est pas de même : le résultat du « monothéisme » énergétique français est le retard qui atteint, au pays des vaillants gaulois barbus et casqués d’uranium, tout ce qui touche aux énergies renouvelables. Ce qui est ahurissant dans cette affaire c’est le nombre et l’origine politique très diverse des acteurs de ce choix désastreux. S’opposer au nucléaire dans les années 70/80 (comme dans les années 2000) c’était avoir contre soi la majorité des syndicats (CGT en tête), la majorité des partis, y compris ceux dits d’opposition (PS indécis, PCF à fond pour tout ce qui est grand, beau et industriel avec un coq au sommet de la cheminée…) Lors des dernières élections présidentielles la question a été largement laissée sur la touche et le débat télévisé Sarkozy – Royal aurait prêté à rire si la question n’était pas aussi grave. Tout juste si l’épiscopat français n’est pas venu bénir les centrales lors de leur inauguration, et si l’on a pas brûlé quelques antinucléaires en place de Grève pour distraire les populations locales. Parfait… On pourrait espérer que l’argent englouti dans ce dossier a permis de réaliser des avancées majeures, des innovations percutantes… Or que voit-on concrètement : tout ce que nos labos de recherche et nos industriels ont à proposer, à savoir les réacteurs EPR, ne correspond qu’à un moteur péniblement rafistolé dans une carrosserie à peine revue. La seule nouveauté réelle proposée dans le domaine nucléaire, à savoir le surrégénérateur, a fait le flop que l’on sait : ce type de réacteur n’était pas au point, présentait des dangers considérables et présupposait une généralisation tous azimuths de l’énergie nucléaire pour être véritablement intéressant. Plutonium à tous les étages, distribué généreusement à tous les gouvernements qui en faisaient la demande ; le bouton rouge de l’apocalypse à la portée du premier cinglé venu. Je laisserai le soin aux spécialistes de vous expliquer pourquoi, mais l’EPR ne constitue en rien une nouveauté révolutionnaire. Si l’on cumule cette absence de résultat majeur en trente ou quarante ans de recherche, avec le problème non résolu des déchets, la casserole devient vraiment énorme et le bruit que fait le char AREVA-CEA-EDF en la tirant devrait s’entendre depuis la lune.

dont-nuke Le seul cache sexe que l’on ait trouvé pour habiller le clochard nucléaire d’oripeaux un peu plus sexy, c’est l’argument massue (selon l’agence de com qui l’a trouvé) de la faible émission en CO2 de ce type d’énergie. Bien entendu, on fait abstraction de tout ce qui se passe en amont et en aval de la filière nucléaire, depuis l’extraction du minerai jusqu’à la promenade organisée pour les déchets à retraiter, en passant par la construction des infrastructures, sinon l’argument n’aurait plus grande valeur. Ceux qui véhiculent ce genre d’intox omettent aussi de préciser que les centrales nucléaires ne génèrent que de l’électricité, or celle-ci ne représente que 2,5 % de la consommation mondiale d’énergie. S’il était exact que le nucléaire fait chuter les émissions de C02, les effets positifs seraient des plus limités. Au moment où va s’ouvrir le sommet de Copenhague, il est nécessaire d’avoir ces données en tête, car le lobby nucléaire ne va pas manquer de faire pression sur les participants au sommet. L’objectif est de pousser à la relance de la nucléarisation à tout va, l’argument « vert » des émissions réduites de CO2 étant largement utilisé. Il paraît que « grâce au nucléaire », notre beau pays serait en pointe pour la réduction des émissions de gaz à effet de serre. Il en est de même à la maison : depuis que nous buvons du thé au petit déjeuner, notre chaudière consomme moins de fuel, et le chat dort mieux la nuit… Vive la science, vive les croyances, vive la France !

stop-epr N’en déplaise à certains, il faut bien reconnaître que la filière nucléaire française est en crise, et que c’est uniquement une volonté technocratique soutenue par une large fraction de la classe politique qui persiste à la présenter comme une « solution miracle » à court terme. Il va bien falloir admettre, et ce le plus vite possible, que le nucléaire est une industrie dangereuse, inutile, sans avenir et coûteuse. Les incidents se multiplient dans les centrales. En France, un tiers des réacteurs sont arrêtés pour des opérations de maintenance, parmi lesquels cinq pour des problèmes graves. Le dernier « incident » en date est survenu au Tricastin : lors d’une opération de maintenance, une barre de combustible est restée « suspendue » au dessus du cœur du réacteur, pour la troisième fois en l’espace d’un an…  Peu de temps auparavant, on apprenait, à la suite d’une enquête, qu’AREVA et le CEA avaient « perdu » plusieurs dizaines de kilos de plutonium sur le site de Cadarache. Est-ce bien la peine de vous rappeler que cinquante millièmes de milligrammes constituent une dose mortelle pour l’être humain ? On comprend aisément que l’on n’en soit pas à quelques kilos près ! Du coup les autorités ont été obligées de réagir et ont fait arrêter le chantier de démantèlement de l’usine locale de production de Mox (combustible). Cela ne va guère mieux en ce qui concerne la « solution d’avenir », l’EPR… De nombreux problèmes se posent sur les réacteurs en chantier. Retards incessants en Finlande, suite à des problèmes de sécurité non résolus ou à des malfaçons dans la construction. Le 2 novembre, on apprend que les autorités de Sûreté Nucléaire, en Grande Bretagne et en France, demandent une révision de la conception initiale de l’EPR en construction dans le Cotentin : c’est l’efficacité des procédures de sécurité qui est remise en cause. Cela n’empêche pas le gouvernement d’avoir donné le feu vert pour la construction d’un deuxième réacteur à Penly, près de Dieppe. Joli cadeau pour les riverains ! Les élus locaux ne voient malheureusement pas plus loin que le bout de leur nez, et sont attirés par les gains mirifiques annoncés par EDF, comme les abeilles par le pollen des fleurs (incapables par ailleurs de se rendre compte de la dose de pesticides incorporée dans ce pollen…). Il faut « sauvegarder » l’emploi à tout prix et, pour cette raison, les risques encourus n’ont aucune importance ! Comme si d’autres choix n’étaient pas possibles en matière de création d’emploi, chose que le réseau « Sortir du nucléaire » a démontré à plusieurs reprises.

eprenbref Ce qui est clair, en l’état actuel des choses, c’est que les chantiers EPR en cours doivent être stoppés, et que le projet de Penly doit être définitivement abandonné. Un effort colossal doit être fait pour rattraper notre retard en matière d’énergies renouvelables, afin que la France, comme d’autres états voisins, puisse envisager une « sortie du nucléaire » dans les délais les plus brefs possibles. Cela ne résoudra pas les problèmes posés par le stockage des déchets nucléaires accumulés en quantité considérable, mais cela évitera au moins de l’aggraver. C’est une planète viable et non une poubelle radioactive que nous devons léguer à nos descendants… Lorsqu’un véhicule fonce droit dans un mur, mieux vaut que le conducteur freine quelques dizaines de mètres avant plutôt que de rester inactif. La violence du choc en sera au moins réduite !

Notes
(1) – Dimanche 8 novembre dernier, l’Espagne a produit 50% de son électricité via les éoliennes. Selon le site « Maxi-Sciences », « 11.500 mégawatts, soit l’équivalent de la production de 11 réacteurs nucléaires, auraient au total été produits entre 3h20 et 8h40 dimanche, permettant ainsi d’atteindre un pic de 53% d’électricité d’origine éolienne. [ … ] L’Espagne qui mise sur les énergies renouvelables depuis plusieurs année, dispose d’une capacité installée en énergie éolienne pouvant atteindre 17.700 mégawatts, soit dix fois plus qu’il y a 10 ans. [ … ] Le gouvernement socialiste de José Luis Zapatero a opté pour l’abandon progressif du nucléaire au profit des énergies renouvelables. » sans autre commentaire…

(2) – L’Allemagne, qui a engagé depuis plusieurs années une démarche de sortie du nucléaire, a fait un effort énorme elle aussi en matière de reconversion. A ce qu’il parait, cela n’entraîne pas la moindre crise énergétique. Preuve en est le fait que ce pays exporte de l’électricité, notamment vers… la France !

Source des Illustrations : Réseau « Sortir du Nucléaire » (4) – collectif Stop EPR  (5-6)- Feuille charbinoise (3) – Eduscol (1) – Nucléaire non merci (2)

4 Comments so far...

Clopin Says:

11 novembre 2009 at 22:32.

Qu’est ce que tu veux que je rajoute ? Tu as tout dit !

jyaime Says:

11 novembre 2009 at 23:31.

Je dois avoir en vynil le disque ou figure le sketche de Patrick Font sur le nucléaire, ça me donne envie de le réécouter !

la Mère Castor Says:

12 novembre 2009 at 12:05.

Je n’ai pas tout lu, j’y reviendrai.
Mais je voulais juste dire :
Mon père (décédé depuis plus de vingt ans) ingénieur chimiste brillant, a participé en son temps au programme nucléaire français, avec décoration à l’appui. Il était convaincu, pas très convainquant.
Ma seconde fille travaille dans les énergies nouvelles et participe à l’installation de parcs éoliens en France.
Réparation, sans doute pas, mais évolution positive de la famille, oui.
Ouf.

Paul Says:

12 novembre 2009 at 13:29.

@ Mère Castor – Ça me donne une idée bassement commerciale, tout ça : d’ici peu je vais me mettre à vendre des indulgences ou à en offrir à certains lecteurs ou a certaines lectrices fidèles ! Genre trafic d’influence… Bien entendu ce sera des indulgences plénières (et non pas pleines d’air) qui permettront un accès direct au paradis, par la voie express, sans feux rouges.. !
@ jyaime – D’excellents sketchs de Patrick Font sur ces vynils, notamment celui auquel je me réfère : la réunion d’information pour les « ploucs ». Par contre les textes de feu Philippe Val ont perdu pas mal de leur « relief » depuis que l’on voit ce que le personnage est devenu. Sa première trahison a d’ailleurs été de déclarer, au moment où son acolyte avait des ennuis avec la justice : moi, Patrick Font ? Connais pas ! Je pense qu’il avait juste voulu parodier un personnage assez connu de la mythologie chrétienne. Mais bon….
@ Clopin – Non je n’ai pas tout dit ! la chronique est restée d’une taille raisonnable, alors que si je m’étais lâché je faisais un remake du Nouveau Testament…

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