14 décembre 2009

Et si l’on sortait un peu du rrrose et du bllleu ?

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour .

cenoel Vingt ans, quasiment, une génération en fait, que je ne m’étais pas plongé dans les catalogues de jouets… Un saut dans le temps justifié par le passage du statut social de parents à celui de grands-parents… Papy et mamie quoi ! N’ayons pas honte de cette bienheureuse réalité. Une bonne vingtaine d’années pour replonger dans la réalité du monde enfantin, ou plutôt dans la réalité du marketing 2009 à destination de nos chères petites têtes blondes. Quelques heures à feuilleter les catalogues de diverses officines pour s’apercevoir que certes, les produits ont changé, mais que le rose et le bleu dégoulinent toujours dans les pages de ces bibles de la consommation. On ne dirait pas que le mouvement féministe est passé par là : la sélection de jouets en fonction du sexe est toujours bien présente et je me demande même si, question clivages, on n’est pas revenus à la situation des années pré-soixante-huitardes. Autre aspect du problème que je ne manquerai pas de détailler, mais dans une chronique future (sinon je vais encore aboutir à un roman fleuve) : les jouets sont de plus en plus coûteux, de plus en plus sophistiqués, de plus en plus fragiles et donc de plus en plus polluants. Je vous invite à me suivre dans cette balade au pays du père Noël et de ses super trouvailles. Je commence par une petite promenade dans les divers catalogues et sur les sites internet. C’est édifiant…

poupee-rose Pour être honnête, je dois reconnaître que la signalétique utilisée par beaucoup de fabricants ou de revendeurs est un peu plus complexe que la simple dichotomie monde en bleu, monde en rose. La couleur n’est pas le seul codage utilisé : il y a parfois un visage d’enfant qui doit aider à comprendre du premier coup d’œil à qui s’adresse le jouet. Dans le catalogue Playmobil, par exemple, c’est une charmante petite blonde qui sourit d’un air béat en montrant la superbe maison avec laquelle elle a l’intention de jouer : gérer la vie quotidienne, s’occuper de la décoration, de l’ameublement… voilà une ensemble d’activités qui appartiennent bien à l’univers féminin… n’est-ce pas ? Piloter un hydravion bourré de policiers, être capitaine du bateau pirate, défendre le château fort ou conduire un avion de chantier… à votre avis, bleu ou rose ? La grande force de Playmobil c’est d’esquiver un peu le problème en proposant des univers plutôt indéterminés : le cirque, le centre équestre ou les Egyptiens. Dans le catalogue Joupi, le bleu a été abandonné pour les garçons ; les pages à fond bleu correspondent aux jouets premier âge. La couleur choisie pour les futurs mâles conquérants est un orange plutôt déroutant. Heureusement, certaines valeurs fondamentales restent inchangées et pour les filles on retrouve un rose magnifique et des pages terriblement « rétro ». Voyons d’un peu plus près ce que l’on propose aux ménagères et aux techniciens de moins de dix ans, puisqu’il s’agit d’une tranche d’âge d’une importance économique considérable.

comme-papa1 Pour les demoiselles, on attaque très fort : costumes de princesses, poupée Barbie avec sa baguette magique, poupons, baigneurs, berceaux, cuisinières… Voilà un avenir tout tracé. Essayons de voir quelles sont les futures orientations professionnelles proposées (toujours sur le même catalogue), à travers les différents coffrets, costumes, accessoires…. que l’on découvre au fil des pages.  Je laisse de côté « Barbie promène ses chiens ». Il y a de moins en moins de domestiques – sous cette appellation là, le « job » n’est plus au goût du jour. N’exagérons pas, il s’agit quand même de rêver ! En vrac, je découvre : hôpital, cuisine, confiserie, salon de toilettage, nurserie, table à repasser, aspirateur, caisse enregistreuse, matériel de couture, coffret de maquillage. Il est réjouissant de voir que nos bonnes vieilles valeurs morales traditionnelles sont sauves. Je sais que ça va faire de la peine à certaines de mes plus vieilles lectrices, mais bon c’est comme ça… Vos charmantes petites filles ne suivront pas la pente contestataire et déliquescente dans laquelle vous vous êtes engagées. Dans les années 50, les choix étaient à peu près les mêmes ; il y avait simplement un peu moins de plastique, et surtout de plastique rose. Parce que là, il faut le dire, le rose dégouline partout, au point de vous donner la nausée. La Cadillac du prince charmant est rose, l’aspirateur « qui fonctionne comme un vrai » est rose, les baigneurs sont roses… Il n’y a que la carte de crédit de l’acheteur qui est bleue (et encore, je me suis aperçu que la carte de ma compagne – la deuxième du foyer donc – était rose elle aussi… Hasard ?)

histoires-pour-petites-filles Bon, je reconnais qu’étant, de par ma nature, plutôt de sexe mâle et ayant été éduqué comme tel, toute cette « bluette » finit par me donner la roséole. Je constate l’absence totale de jeux de construction ainsi que de jouets techniques (le fer à repasser n’en étant pas vraiment un, ni le tube de rouge à lèvres). Je remarque aussi que l’univers proposé par les jeux dits de simulation ou d’imitation est extrêmement étroit. Le monde proposé aux fillettes se cantonne très largement à la maison. Si elles veulent s’évader, il ne leur reste plus que l’hôpital où elles pourront faire preuve de leur dévouement dans le service d’un chirurgien brillant, ou bien l’univers féérique de chez Disney, où elles pourront toujours se maquiller en attendant le passage du prince charmant. Ce qui est important, surtout, c’est de positiver. Il est dommage que vous ne puissiez pas admirer le visage épanoui de la fillette qui pousse le chariot ménage page 55 du catalogue Joupi. Je suis sûr que tous les doutes que vous pourriez avoir à l’égard de ces valeurs éducatives « un peu anciennes, mais finalement si raisonnables », s’envoleraient. Je vous assure que la demoiselle ne paraît pas sur le point de renverser son véhicule et de dresser une barricade. Elle se contente d’astiquer la maison en attendant le retour de son golden boy charmant… Sur ces considérations désabusées, allons donc feuilleter les pages « orange » ou « bleues » réservées aux garçonnets car certains catalogues restent fidèles aux principes fondateurs jusqu’à la dernière limite.

vroum-vroum Première constatation, et ce sur divers catalogues, le nombre de pages réservées aux garçons est à peu près le même. Pourtant, la diversité des activités proposées est beaucoup plus importante. La mise en page n’étant pas plus dense, on peut en déduire qu’il y a moins de redondance. Voyons un peu les métiers qu’évoque ma sélection d’articles : guerrier, bien sûr, architecte, agriculteur, conducteur d’engins, pilote de course, pompier, ingénieur… Notez bien que les champs professionnels ne se recoupent pas. Il s’agit donc d’un portrait a-minima de la société adulte dans laquelle nous vivons, puisque l’on peut quand même observer une certaine mixité dans nombre de catégories de métiers. Certes l’enseignement est majoritairement féminin, mais il y a quand même des hommes qui travaillent dans ce secteur, y compris à l’école « maternelle »… A ma connaissance, il y a des femmes architectes ou soldats (j’aurais préféré qu’elles s’abstiennent de ce dernier choix), banquières ou électriciennes, et l’on ne croise pas que des infirmières dans les couloirs des hôpitaux… sauf dans les catalogues de jouets. Chaque fois que j’ai pu, dans ma classe, proposer des ateliers de menuiserie, de construction en légo techniques ou d’expérimentation électrique, j’ai constaté que les filles étaient largement aussi nombreuses que les garçons à s’y précipiter… Pour dresser un bilan objectif de mes pratiques, je dois reconnaître par contre que je n’ai jamais proposé d’atelier nurserie à mes garçons. Une erreur sans doute, mais il faut dire que si les parents supportaient l’idée que leur fille plante des clous, je ne suis pas sûr qu’ils aient fort apprécié que leur héritier mâle apprenne à changer des couches. Il faut parfois composer avec un monde encore imparfait !

chariot-menage Je cherche encore un aspirateur rose dans les pages orange. Je constate que la guerre occupe toujours une place importante, mais de façon plus subtile : pas trop de régiments de petits soldats, ni de massues ou de mitraillettes mais des jouets plus édulcorés. La guerre ne fait plus dans la dentelle mais dans la diode clignotante et le bip-bip stressant. Nos garçonnets commandent maintenant des cohortes de chevaliers équipés d’épées laser, des escadrilles de robots super armés ou bien pilotent héroïquement des bateaux surchargés de policiers suréquipés. Je n’ai pas trouvé par contre de coffret ayant pour thème la course poursuite en mer après les clandestins. Il faut préserver le monde de l’enfance des trop dures contraintes de la réalité. On se poursuit dans l’espace et dans le temps, mais on ne s’amuse plus guère à renverser des rangées de soldats de plomb avec un lance-pierres. Il est vrai que la guerre moderne est devenue plus propre aussi. Rappelez-vous les sublimes images des bombardements nocturnes de Bagdad : les armes ne tuent plus ; elles « éliminent » des adversaires malfaisants avec une précision… comment dire… J’ai trouvé très évocateur (à ce sujet) un reportage vu l’autre jour à la télé sur les pilotes de drones (avions sans pilote) américains. Ce sont de sinistres crétins qui ont réalisé le rêve de leur vie : continuer à jouer, à l’âge adulte, aux multiples jeux d’arcades auxquels ils s’adonnaient à l’adolescence. Avant ils marquaient des points, maintenant ils éliminent des vies… pour la cause qu’ils estiment bonne. Mais là, je sens que je dévie et je m’auto-rappelle à l’ordre. Le mignon petit policier Playmobil me montre le droit chemin.

Vous noterez à quel point la transition que je prépare vers les jeux vidéos en tout genre est habile. Mais je crois que je vais vous décevoir… Il y en a relativement peu dans mes catalogues. Il fallait bien que je fasse une sélection et je vous ai dit que je m’intéressais aux techniciennes et aux « ménagers » (tiens, il n’y a point de terme correspondant à « ménagère » au masculin – tant pis, j’en crée un) de moins de dix ans. C’est l’âge charnière pour le déferlement des jeux vidéos, et puis on ne peut pas passer toute son enfance devant un écran ! Je vous ai déjà imposé, juste avant celle-ci, une chronique fort longue et un peu indigeste. Alors là je vais faire court. De plus, je n’ai pas encore rédigé ma propre lettre au Père Noël. Fin du catalogue Joupi, je retombe sur mes pattes : deux listes à compléter pour faire sa commande. Celle de gauche, destinée à Ségolène, est… rose. Celle de droite, destinée à ??? est BLEUE. Ouf ! Parce que franchement, moi, l’orange… beuark !

8 Comments so far...

Paul Says:

14 décembre 2009 at 09:53.

Sur le même thème, ou du moins avoisinant, je découvre ce matin un article intéressant sur l’en-dehors avec des liens « bouquins ».
http://endehors.org/news/d-autres-jouets-pour-un-autre-monde
bonne lecture

fred Says:

14 décembre 2009 at 10:25.

Concernant les PlayMobil, c’est une des dernières sociétés à encore produire sur le sol européen ! (Malte par exemple).

Lavande Says:

15 décembre 2009 at 09:18.

Pour un enfant collectionneur d’avions de la seconde guerre mondiale, pardon de maquettes d’avions de guerre, tu n’as quand même pas viré trop militariste… mais on l’a échappé belle!

Paul Says:

15 décembre 2009 at 10:01.

Fabuleuse période pour l’évolution de la technique aéronautique. Une multitude d’engins passionnants ; dommage que tout ceci n’ait servi qu’à tuer ! Heureusement que je me suis racheté en passant aux maquettes de bâtiments pour un réseau de train électrique. S’il n’en tenait qu’à moi, je me remettrais bien à en construire un. Mais ma conscience écolo me dit que c’est mal et qu’il vaut mieux se promener dans la nature et observer les papillons. Oui mais les trains à vapeur quand même… Pouah quelle horreur, ils brûlent du charbon et dégagent… Pff ! On se croirait dans un débat entre Gollum et Gollum (Seigneur des anneaux pour les ignares), à moins que ce ne soit dans Pinocchio…

Leirn Says:

16 décembre 2009 at 01:38.

autant dire que… comment dire… tu me l’enlèves du clavier… J’ajouterai que je suis d’accord, je pense que c’est pire aujourd’hui côté catalogues et livres pour enfant que dans les années 70, où il y avait eu un sursaut de conscience de quelque chose. Maintenant, pour échapper à l’univers binaire, faut chercher…
Et si les playmobils ont l’intelligence de tenter un monde un peu plus mixte ou au moins de proposer des jeux d’imagination aux filles… Je vous rassure tout de suite : chez T$$$$aurus, ils sont rangés au rayon garçons, au moins tous ceux qui ne sont pas en boîte rose (cirque, arche de noé…)…
Ainsi que les légos d’ailleurs. Pour rire, j’ai un jour demandé à une vendeuse, si je pouvais acheter des légos à une fille, bien que ce soit un jouet de garçons. Elle a réfléchi un moment avant de me dire que ça devait être possible.
Ok, je ne suis pas charitable.

Et ta photo du chariot de ménage me rappelle une étude effectuée par une collègue il y a 2 ans sur les catalogues… Outre le caractère hautement sexué des jouets… elle constatait le manque d’enfants non blancs dans les catalogues… En fait, dans le catalogue qu’elle feuilletait, il y avait une petite fille noire. Et vous savez quel jouet lui avait été attribué ? Le chariot de ménage.

Depuis qu’elle m’a raconté ça, je me perds en conjecture : est-ce l’inconscient du photographe qui a parlé ? le choix a-t-il été délibéré de la part du vendeur ? la fillette a-t-elle elle-même choisi le chariot ? est-ce que les autres enfants lui ont naturellement laissé ce jouet ? Je ne sais pas quelle solution est la pire…

Paul Says:

16 décembre 2009 at 08:50.

@ Leirn – Merci pour ta réaction. J’avoue que je commençais à être un peu inquiet de voir que tu n’envoyais pas le moindre commentaire sur ce sujet ! Il est vrai que j’enfonce une porte ouverte ; j’adore ça, car c’est moins douloureux pour les épaules. Légo et Playmobil ont effectivement des boîtes bleues et rose bien distinctes. Quant aux petites filles noires, c’est un manque grave dans les catalogues : les designers graphiques auraient dû s’apercevoir depuis longtemps que le rose et le noir un peu ambré ça va très bien ensemble. C’est vrai aussi que les petits blonds type « viking » et les petites filles de la comtesse de Ségur sont plus nombreuses dans les dépliants que toutes les autres sortes de mannequins. Le catalogue de mon marchand de produits surgelés est devenu « ethnique », mais pas encore celui des vendeurs de bonbons en bleu et de rêves en rose !

la Mère Castor Says:

16 décembre 2009 at 10:31.

Comment Paul, l’orange ? Est -ce parce ce que ça te rappelle le temps béni de la clémentine dans le chausson ?
Sinon, en effet, rien de nouveau sous les sapins.

Leirn Says:

16 décembre 2009 at 18:56.

Heureusement, je suis sortie de la phase « catalogue de jouets ». Par ailleurs, c’est marrant ce que tu dis sur « Joupi », leur site était mon exemple en 2005 sur ce qu’on pouvait faire de pire en rose et bleu, avec une adorable rubrique qui s’appelait « Imiter maman ». Quand on cliquait, on obtenait : En cuisinant,
En repassant,
Dînette et ustensile de cuisine

Un délice.

Mais comme tu dois faire face à une augmentation presque exponentiel de tes petits enfants, je te propose de découvrir Les éditions Talents hauts.
http://www.talentshauts.fr/
« Des livres pour les filles que tous les garçons devraient lire et inversement… »

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