7 décembre 2009

La longue quête des cartons à bananes

Posté par Paul dans la catégorie : au jour le jour...; Feuilles vertes .

pile-de-cartons-a-bananes Contrairement à ce qu’il pourrait laisser supposer, ce titre un peu ésotérique n’introduit pas une quelconque suite à l’histoire du roi Arthur ou un scénario de jeu de rôles. Il traduit simplement l’impression première laissée par le voyage que nous venons d’effectuer à Gap afin de donner un coup de main à la mise en caisse de la « bibliothèque de l’écologie » rassemblée par Roland de Miller. En rentrant à la maison, après deux journées de travail intensif, nous avons eu, Pascaline et moi, deux réactions différentes mais néanmoins convergentes : l’une s’est exclamée que « jamais, plus jamais, elle ne verrait de la même façon un carton à bananes » ; l’autre a regardé d’un œil méfiant les rayons surchargés de livres de ses différentes étagères, en se jurant qu’il allait surveiller d’un peu plus près ses prochains achats. Je ne sais pas combien nous avons de bouquins à la maison, mais ce qui est sûr c’est que ce n’est qu’une pelle de sable à côté de la dune qui se dresse dans l’entrepôt de Gap. On ne peut pas imaginer vraiment ce que représentent soixante mille livres et un nombre impressionnant de collections de revues, sans les avoir vus dans des piles de cartons ou sur des étagères, et surtout sans en avoir manipulé une infime fraction. Par une équation subtile associant mal de dos, proportionnalité et calculs approximatifs, on comprend alors pleinement l’ampleur du problème que représente le déménagement, dans des délais très bref, d’une telle montagne. Il est clair que je ne pourrai plus entendre, sans rigoler, les copains qui déménagent se plaindre d’avoir 2 ou 3 mètres d’étagères à vider !

avant-le-rangement Je suis un grand admirateur de bibliothèques, Pascaline aussi, même si sa tendance à accumuler des œuvres imprimées est nettement moins pathologique que la mienne. Nous avons déjà visité la « Long Room » de Dublin (Trinity College), Saint Gall en Suisse, l’abbaye de Rein en Autriche ou bien Coimbra au Portugal… Mais nous n’avons jamais visité ces lieux avec l’œil du gars ou de la fille chargés de mettre tout ça en cartons pour un déménagement. Jusqu’à présent, plus il y avait de vieux ouvrages, plus on était impressionnés… Quelque chose a changé dans notre perception du monde livresque : nous ne pourrons plus visiter une bibliothèque ou une librairie sans estimer, de façon réflexe, le nombre de cartons à bananes qu’il va falloir récupérer « pour emballer tout ça » ! Car nous arrivons enfin à cet objet étrange, rare et précieux, qui a motivé le choix du titre de cette chronique : le carton à bananes. Je dis bien le carton « à bananes » et non à clémentines, à citrons ou à potimarrons. Ce contenant (maintenant devenu mythique et qui fera sans doute l’objet d’autres textes en prose ou en vers dans les années à venir) possède en effet des qualités à nul autre pareilles : dimensions standards, suffisamment importantes pour mettre côte à côte plusieurs piles de volumes de grande dimension, solidité du carton, ouvertures permettant l’aération du papier, couvercle s’emboitant avec précision sur le fond… Lorsqu’ils sont bien remplis, les cartons à bananes peuvent s’empiler jusqu’à une hauteur raisonnable, ce qui permet de réduire la superficie au sol du stockage. Si j’ajoute à cette description élogieuse que les côtes extérieures sont parfaitement adaptées aux palettes, le tableau devient carrément idyllique… sauf que… les cartons à bananes, une fois bien lestés, sont lourds et qu’il faut se mettre à deux pour les manipuler. Face aux premiers exemplaires, on peut se permettre de jouer à Rambo et de les porter « tout seul comme un grand crétin costaud », mais dès que le jeu dure un peu, on devient très vite saint-simonien et l’on comprend l’utilité d’une collaboration efficace avec un(e) autre  muscle (wo)man.

apres-le-rangement Chaque journée de travail des bénévoles qui assistent Roland de Miller, maître d’œuvre de cette galaxie livresque, commence donc par cette angoissante question existentielle : aurons-nous assez de contenants pour exprimer librement notre frénésie de rangement, ou bien notre élan sera-t-il interrompu, fautes de munitions, en pleine offensive contre les rayonnages surchargés ? La responsabilité de Roland, chef d’orchestre de cette opération, est considérable, et la résolution de ce problème lui coûte malheureusement un temps bien précieux,  aux dépens d’autres quêtes plus importantes pour l’avenir ; j’y reviendrai. Ce qui est certain, c’est qu’avec sa camionnette blanche, sa voix chaleureuse et posée, son argumentaire bien rôdé, notre « employeur » est un cueilleur collecteur redoutable. Nul doute qu’à la préhistoire, il aurait été rapidement le seul survivant de la tribu, au bout de quelques temps,  pour autant que celle-ci ne se nourrisse que de bananes ! Les bénévoles ne sont pas très (pas assez) nombreux, mais il y a quand même suffisamment de bras et de jambes pour que la quantité de cartons nécessaire soit impressionnante. Avec Pascaline, nous avons bien grignoté une bonne cinquantaine de cartons. C’est à la fois peu et beaucoup et le nombre n’est pas suffisant pour que l’on ait une prétention quelconque à être mentionné dans le « Guiness book ». Le travail est assez long car l’espace disponible dans le contenant sacré doit être optimisé à l’extrême ; par ailleurs, on ne mélange pas l’écologie des torchons avec celle des serviettes et il ne s’agit pas qu’un traité sur l’identification des pandas se retrouve côte à côte avec une réflexion de Saint Brice sur l’avenir de la planète ou sa place dans l’échiquier politique. En cas d’erreurs répétées, la prime qualitative que nous octroie le grand chef saute impitoyablement… Prime ? s’étonne le petit lutin vert… je croyais qu’il s’agissait de bénévolat ? Bien entendu, le travail n’est pas rémunéré, mais chaque carton bien rempli donne droit à un « ticket banane ». Les collecteurs se sont en effet aperçus que les grandes surfaces jetaient énormément de fruits consommables et qu’il n’est pas rare de repartir avec un lot de cartons vides et un petit stock de bananes qui alimente un marché parallèle florissant : gâteaux, crèmes, flans, salades de fruits… récompense toujours appréciée pour les travailleurs infatigables et consciencieux que nous espérons avoir été. Malgré les consignes de fermeté données par le syndicat des emballeurs nous n’avons pas fait valoir nos droits pour l’ensemble des points acquis…

cherche-volontaires Le travail avance, mais pas assez vite toutefois en regard du désir de Roland et surtout des exigences de la mairie de Gap. Le délai imparti est court (date butoir le 18 décembre me semble-t-il). Il faudra plusieurs gros camions semi-remorques pour déménager l’ensemble du stock. Il faut aussi trouver un local provisoire pour le rangement de toutes ces archives précieuses. L’entreposage n’est qu’une solution transitoire. Le principal problème reste la mise en œuvre de ce qui est le projet véritable de Roland de Miller : mettre à la disposition du grand public et des chercheurs, cette collection qui est probablement l’une des plus complètes et des plus importantes d’Europe. Ce n’est pas une mince affaire car cela suppose un effort financier conséquent et durable du futur partenaire de cette entreprise : il faut des locaux importants, bien conçus pour l’accueil, et surtout un personnel en nombre suffisant pour assurer la gestion de la bibliothèque. L’informatisation du catalogue n’a été réalisée que de façon partielle, et pour que les documents soient utilisables de façon optimale, il faut absolument terminer et affiner ce travail. Pour l’instant, les municipalités ou institutions volontaires ne se bousculent pas au portillon. Les « donneurs de conseils » sont nombreux. Les « retrousseurs de manche » sont moins bien représentés. Les journées de Roland sont donc bien remplies et la multiplicité des tâches pour lesquelles il est sollicité ne lui permettent pas d’effectuer dans de bonnes conditions toutes les démarches nécessaires. Les urgences sont donc gérées une à une mais les perspectives futures du projet sont encore loin d’être assurées, même si le bibliothécaire en chef fait preuve d’un optimisme revigorant pour ses collaborateurs. Lorsque nous avons quitté le chantier, trois salles sur quatre étaient stockées dans des cartons. Pour que l’opération rangement se termine, il reste encore une quantité de rayonnages à vider (trois ou quatre cents cartons à bananes à remplir si l’on utilise la « monnaie » locale !). Un problème financier se pose également : si les contenants sont jusqu’à présent gratuits, les camions, eux, ne le seront certainement pas. Un appel à solidarité financière sera donc lancé prochainement et il est souhaitable que tous ceux pour qui la mise en place d’une « grande bibliothèque de l’écologie » dans une ville du Sud de la France est importante, agissent en fonction de leurs possibilités. Les bénévoles vont arriver au bout de leur « caissabananothon » ; reste à aider l’association des amis de la bibliothèque de l’écologie à réussir son « bibliothècothon » pour employer un vocabulaire à la mode. La partie est loin d’être gagnée et si ce n’était pas le cas, ce serait vraiment un énorme gâchis. Le potentiel offert au public et aux chercheurs par la bibliothèque de Roland de Miller est véritablement considérable et il est souhaitable que la prochaine structure qui s’investira dans le projet le fasse avec tout le sérieux nécessaire.

bananes Je ne terminerai pas cet article sans remercier les amis de Gap pour leur accueil et leur gentillesse : nous avons fait un travail assez pénible, mais dans la joie et la bonne humeur. Le repas du jeudi midi, marqué par un long échange de plaisanteries et de jeux de mots sur la quête des cartons à bananes, restera marqué dans nos mémoires (comme je suis mesquin, je ne vous ai fait part que d’une maigre partie des trouvailles de notre imaginaire survolté). J’espère que les habitants de Gap et environ continueront à soutenir l’opération en cours en consommant un grand nombre de fruits jaunes de forme allongée : qu’elles soient biologiques ou pas, mûres ou vertes, grandes ou naines… toutes les bananes conviennent. Cet appel vibrant est bien entendu adressé à la population locale et ne concerne ni les Parisiens, ni les Normands, ni les Corses. Aux dernières nouvelles, la camionnette blanche des chasseurs collecteurs ne se déplace pas à plus de cinquante kilomètres de rayon d’action : écologie et gestion du temps obligent ! Faute de pouvoir aider en consommant des bananes, les « estrangers » pourront au moins mettre la main au portefeuille !

Note : lien vers la bibliothèque de l’écologie (site en attente de mise à jour)

8 Comments so far...

Pascaline Chion Says:

7 décembre 2009 at 13:17.

Je serai donc la première à poster un commentaire au sujet de cette bibliothèque bananière : on aurait souhaité être parrainés par Joséphine Baker. J’ai été emballée d’emballer de la sorte sans balai ni ballets de Bali, d’ailleurs.
On s’est fait bananer, certes, mais sans être pris pour des pommes.
On a emballé à pleins régimes.

Incroyable ce que les habitants de Gap et environs proches consomment comme bananes !

Une banane un peu amère quand même au regard de la valeur inestimable de la collection, et du manque de motivation de ceux qui pourraient participer activement à sa réinstallation convenable, c’est-à-dire dans de vastes locaux accessibles au plus large public possible.

Le jeu en vaut la chandelle !

la Mère Castor Says:

7 décembre 2009 at 19:49.

ah mais oui, les cartons à banane, on utilisait toujours ça pour trimballer nos stocks quand on était artisans, mon père Castor et moi dans une autre vie. en effet, il n’y a pas mieux.

Pourquoi Pas ? Says:

8 décembre 2009 at 05:21.

Va falloir que je parle à mon archiviste préférée de ces objets probablement négligés et même pas étudiés ! Reste à voir si le carton à bananes québécois est le même que le carton à banane outre-flaque !

Fidel Castor Says:

8 décembre 2009 at 14:31.

Bonjour Paul, le carton à bananes, denrée très prisée par les forains , j’en ai encore qui datent de près de 30 ans, si nous devions déménager les 2500 et quelques livres de la bibliothèque , combien faudrait il que j’en trouve?.

Paul Says:

8 décembre 2009 at 15:15.

Bonjour cher Fidel lecteur : une quarantaine de cartons conviendraient je pense sauf s’il ne s’agit que de BD (moins) ou de 2600 volumes de l’encyclopedie tartempion (plus !). Au cas où un déménagement s’annoncerait d’ici décembre, je suis désolé mais nous avons piscine tous les lundi, sauna le mardi, télé le mercredi, bibliothèque le jeudi, musique le vendredi, fête foraine le samedi et curé le dimanche. Vraiment navré ! Une estimation plus fine du travail à effectuer (par les autres) est possible moyennant finances bien entendu. Mais comme le dit le célèbre dicton que je viens d’inventer : à Sauve, qui peut le veut !

Grhum Says:

8 décembre 2009 at 23:19.

Si je comprends bien, nous voici incités à manger des bananes.
– oui mais d’un autre côté je viens de lire dans le Nouvel Obs que ce n’est pas très écologique (car provenance lointaine –> aïe pour le bilan carbone)
– oui mais alors quid de la culture de la banane antillaise (une des rares ressources de ces Dom). Les antillais sont des gens plutôt sympas qui méritent d’être soutenus. J’éprouve une profonde admiration pour la contribution de C. Arron, MJ Perec, S. Diagana (entre autres) pour l’athlétisme français. Sur le plan culturel, impossible de ne pas penser à A. Césaire ou P. Chamoiseau. Ne pas oublier non plus la musique antillaise qui est à mon sens une des plus expressive et vivante de tous les genres musicaux.
Donc je vais continuer à manger des bananes antillaises (c’est plein de magnesium)

Christian Says:

17 août 2013 at 14:36.

Bonjour,

Cherchant une image illustrant les cartons à banane que j’utilise pour mon déménagement de livres, je suis tombé sur votre billet. J’ai chapardé votre première image (dans le billet en lien ci-dessus), j’espère que vous n’y trouverez aucun inconvénient. Le hasard, m’a fait découvrir ce « cousinage ».

Cordialement.

Paul Says:

17 août 2013 at 15:02.

@ Christian – Aucun problème ! Je suis ravi que mes cartons à bananes voyagent un peu !

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