16 décembre 2009

« Pourquoi nous avons quitté nos fermes pour venir à Copenhague »

Posté par Paul dans la catégorie : Feuilles vertes; Humeur du jour .

Le sommet de Copenhague et les changements climatiques vus par les militants de Via Campesina

du-vert-et-du-bleu-muscle Avant-Propos… L’heure des « grosses huiles » a bientôt sonné à Copenhague. Les contrôles se renforcent ; la répression s’intensifie et le bal des Limousines de luxe aussi. Les « mendiants » des ONG sont de moins en moins bien venus dans cette « garden party » pour chefs d’états arrogants et ministres repus. Il fut un temps où il était primordial de se retrouver « entre grands de ce monde » à Davos pour parler pognon et exploitation. Les temps changent. Le capitalisme, tel Batman, prépare sa grande mutation verte et les grandes entreprises lorgnent avec une convoitise qu’elles ont de plus en plus de mal à cacher, sur le nouvel eldorado de profits qui se présente à l’horizon. Les pays en voie de développement (du moins leur population) sont méfiants : on les comprend. Les gros et gras ne se contentent plus de vouloir piller leurs ressources naturelles mais convoitent de plus en plus les terres agricoles pour nourrir leurs propres populations et les milieux sauvages comme terrain d’expérimentation pour les technologies vertes. On repeint en « green » mais on ne change surtout pas de modus operendi. Pour ne pas importuner un électorat toujours chatouilleux et allergique aux « nuisances insoutenables » des grandes hélices blanches, on expatrie même l’installation des nouvelles centrales : solaire d’un côté, éolien de l’autre, nécro-carburants un peu partout.  on exproprie les paysans mexicains pour construire des fermes éoliennes, on pousse les brésiliens à la déforestation pour fournir du carburant aux 4X4 et on suggère aux Africains de construire des centrales nucléaires dont ils n’ont nul besoin, pour « alléger leur bilan carbone » (non contents de retraiter nos déchets industriels, voilà qu’en plus ils pollueraient sauvagement la belle planète dont les occidentaux prennent tant soin). Chinois, Indiens, Coréens et autres ont besoin de terres pour nourrir leur population et fournir à chacun l’incontournable beef steack sans lequel un représentant de la classe moyenne n’est pas un représentant de la classe moyenne. Il ne reste plus aux paysans mongols, maliens ou argentins qu’à se pousser et à aller faire un tour dans les bidonvilles des mégapoles. Je me demande s’il y a déjà eu un tel étalage de cynisme à la face du monde… Pendant ce temps-là, les petits fours croustillent et le jus de fruits bios coule à flot dans les salons de la capitale danoise. Je ne serai pas plus long aujourd’hui. D’autres s’expriment mieux que moi à ce sujet. Je laisse la parole à Henry Saragih, coordinateur de Via Campesina. Il s’agit de larges extraits du discours qu’il a prononcé lors de l’ouverture du Klimaforum.

logo-via-campesina Discours… « Nous, le mouvement international de paysans La Via Campesina, venons à Copenhague depuis les cinq coins du monde, après avoir quitté nos fermes, nos animaux, nos forêts, et même nos familles dans les hameaux et les villages pour nous joindre à vous tous. Pourquoi est-ce si important pour nous de venir de si loin ? Il y a un certain nombre de raisons à cela.

D’abord, nous voulons vous dire que ce changement climatique a déjà de sérieux impacts sur nous. Cela cause des inondations, des sécheresses, et l’éruption de maladies qui toutes causent des gros problèmes à nos récoltes. Je tiens à souligner que les paysans ne sont pas à l’origine de ces problèmes. Au contraire, ce sont les pollueurs à l’origine des émissions qui détruisent les cycles naturels. C’est pourquoi nous, les petits producteurs, nous sommes venus ici pour dire que nous ne payerons pas pour leurs erreurs. Et nous demandons à ceux qui sont à l’origine des émissions de faire face à leurs responsabilités.

Ensuite, je voudrais partager avec vous quelques données sur qui sont vraiment les émetteurs de gaz à effet de serre dans l’agriculture : une nouvelle donnée montre clairement que l’agriculture industrialisée et le système alimentaire globalisé sont responsables de 44 à 57% du total des émissions de gaz à effet de serre. Ce chiffre peut être décomposé comme suit : les activités agricoles sont responsables pour entre 11 et 15% ; le nettoyage des terres et la déforestation pour 15 à 18% supplémentaires ; l’industrie agroalimentaire, l’emballage etle transport causent entre 15 et 20%, la décomposition de déchets organiques causent 3 à 4%. Cela signifie que le système alimentaire actuel est un gros pollueur.

militantes-de-via-campesina La question à laquelle nous devons répondre maintenant est : comment résolvons-nous le chaos climatique et la faim, et comment garantissons-nous de meilleures conditions de vie aux paysans, quand le secteur agricole lui-même est responsable pour plus de la moitié des émissions ? Nous croyons que c’est le modèle industrialisé d’agriculture et l’agri business qui sont à la base du problème, car ces pourcentages que je viens de mentionner proviennent de la déforestation et de la conversion de forêts naturelles en plantations de monocultures, activités menées par des corporations de l’agri business. Non par les paysans. De si importantes émissions de méthane par l’agriculture sont aussi le fait de l’utilisation d’urée comme fertilisant pétrochimique par le biais de la révolution verte, très promue par la Banque mondiale. Parallèlement, la libéralisation commerciale de l’agriculture promue par les accords de libre-échange (ALE), et par l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), contribue aux émissions de gaz à effet de serre, en raison de l’industrie et du transport agroalimentaires partout dans le monde.

Si nous voulons vraiment nous attaquer à la crise du changement climatique, la seule solution est de stopper l’agriculture industrielle. L’agribusiness n’a pas seulement contribué largement à la crise du climat, elle a aussi massacré les paysans du monde. Des millions de paysans et paysannes partout dans le monde, ont été expulsés de leurs terres. Des millions d’autres subissent des violences chaque année à causes de conflits fonciers en Afrique, en Asie, en Amérique latine. Ce sont des paysans et paysannes et des gens sans terre qui composent la majorité des plus d’un milliard de personnes affamées dans le monde. Et à cause de la libéralisation du commerce, de nombreux petits producteurs se suicident en Asie du Sud. Par conséquent, en finir avec l’agriculture commerciale est notre seule issue.

Les négociations actuelles autour du climat, qui se basent sur des mécanismes de commerce du carbone, apporteront-elles des solutions au changement climatique ? A cela nous répondons que les mécanismes de commerce de carbone ne serviront que les entreprises et pays pollueurs, et apporteront des désastres aux paysans et aux peuples indigènes dans les pays en développement. Le mécanisme REDD (Réduction des émissions liées à la déforestation et à la dégradation des forêts) a déjà expulsé de leurs terres de nombreuses communautés indigènes et de petits producteurs dans les pays en voie de développement. Et de plus en plus de terres arables sont transformées en plantations d’arbres pour attirer les crédits carbone.

campagne-via-campesina Lors de la COP13 à Bali en 2007, Via Campesina a proposé la solution des paysans sans terre et des petits producteurs au changement climatique, qui est : « Les paysans et paysannes refroidissent la planète ». Ici à la COP15, nous venons une fois encore avec cette proposition, en l’appuyant sur les chiffres qui prouvent que cela pourrait réduire pour plus de moitié les émissions mondiales des gaz à effet de serre. Voici sur quoi sont basés ces chiffres : 1) récupérer des matières organiques dans le sol réduirait les émissions de 20à 35%. 2) renverser la concentration de la production de viande dans les élevages industriels et réintégrer la production conjointe d’animaux et de récoltes les réduirait de 5 à 9%. 3) Remettre les marchés locaux et les aliments frais au centre du système alimentaire les réduirait d’encore de 10 à 12%. 4) Mettre un terme au nettoyage de la terre et la déforestation enlèverait encore 15 à 18% des émissions. Rapidement, en retirant l’agriculture des mains des grosses corporations de l’agribusiness et en la remettant entre celles des petits producteurs, nous pouvons réduire de moitié les émissions mondiales de gaz à effets de serre. C’est ce que nous proposons, et nous appelons cela la « Souveraineté Alimentaire ».

Et pour parvenir à cela, nous avons besoin que les mouvements sociaux travaillent ensemble et luttent ensemble pour mettre un terme aux actuelles fausses solutions aujourd’hui sur la table des négociations du climat. Ceci est indispensable, car sinon nous devrons faire face à une tragédie encore plus grande au niveau mondial. En tant que mouvements sociaux, nous devons mettre notre propre agenda sur la table, car nous sommes les premières victimes climatiques et les premiers réfugiés climatiques, par conséquent la justice climatique est entre nos mains.

Au sommet de l’alimentation de la FAO en 1996, les gouvernements se sont engagés à réduire la faim de moitié d’ici 2015. La réalité est que le nombre de personnes souffrant de la faim a récemment augmenté de manière dramatique. Nous ne voulons pas que la même chose arrive avec les discussions sur le climat, et voir les émissions augmenter encore d’avantage en dépit de ce que les gouvernements négocient au sein de l’UNFCCC.

Nous invitons tous les mouvements présents à Copenhague à se rassembler pour mettre la justice climatique sur la table. La justice climatique ne sera atteinte que par le biais de la solidarité et de la justice sociale.

Postface… Pour ceux qui ne connaîtraient pas « Via Campesina ». Il s’agit d’un mouvement international de paysans, de petits et moyens producteurs, de sans terre, de femmes et de jeunes du milieu rural, de peuples indigènes et de travailleurs agricoles. Le mouvement est indépendant de toute organisation politique, économique ou autre. Sa création remonte à mai 1993 et depuis, Via Campesina a créé des sections dans de nombreux pays sur tous les continents du globe. Via Campesina mène ses campagnes sur un certain nombre de thèmes majeurs qui lui sont propres : la production paysanne et familiale, la souveraineté alimentaire des peuples, la décentralisation de la production et des chaînes d’approvisionnement alimentaire. Via Campesina est l’organisation type des « sans voix », des « exclus », de ceux que l’on tente par tous les moyens d’éliminer. Sa parole mérite d’être entendue plus que toute autre. C’est fait à l’échelle très très modeste de ce blog.

5 Comments so far...

Zoë Says:

16 décembre 2009 at 15:06.

Et je vous en remercie. je visite beaucoup de blogs comme vous le savez, le vôtre est un de ceux qui traitent de ces questions avec la plus grande pertinence. Via Campesina est une organisation intéressante parce qu’elle est transfrontières. Pas d’issue par les mouvements nationaux, il faut s’organiser au niveau international. Encore merci

zoë Says:

17 décembre 2009 at 22:24.

Vous voyez comme l’industrie verte grimace et commence par matraquer avant toute chose . Honte sur eux!

Paul Says:

18 décembre 2009 at 08:55.

Pour illustrer les propos de Zoë cet article sur Basta Mag, ce matin.
Le sommet de Copenhague, très attendu par certaines organisations, est semble-t-il une sinistre farce supplémentaire à mettre sur le compte des guignols qui nous gouvernent… Plus grave encore, la tentative de retour massif sur la scène climatique du lobby nucléaire. Plus la pilule est grosse à avaler, mieux elle passe semble-t-il !

Clopin Says:

18 décembre 2009 at 14:54.

Continue Paul, ça fait mal mais ça fait du bien !

Paul Says:

18 décembre 2009 at 16:09.

Merci Clopin. Pour faire mal, oui ça fait mal, parce que devant l’impossibilité à laquelle on se heurte présentement à faire évoluer la société dans sa globalité, on se rattache à des espoirs, aussi minces qu’illusoires, de voir les « grands » de ce monde faire au moins un pas dans la bonne direction. Le réformisme est sécurisant, mais le réformisme c’est la dépendance d’autrui : c’est l’espoir du serf au moyen-âge que l’impôt du seigneur ne serait pas trop lourd et qu’il aurait de quoi survivre. Le seul espoir sérieux qui nous reste c’est d’élaborer de nouvelles règles de conduite, de nouvelles règles de fonctionnement qui nous permettent de mettre en place un projet social et économique alternatif et viable. Mais là aussi il y aura beaucoup à faire et il y aura un point de rupture que nul ne sait encore comment gérer. Il est probable que lorsque cette économie parallèle atteindra un degré d’importance suffisant, la réaction de la société marchande et policière qui domine actuellement, sera violente…
Toutes ces questions me travaillent actuellement car je pense qu’on ne pas en rester là, le cul dans l’herbe, à espérer l’irréalisable. Tant que l’on ne se sera pas débarrassé du capitalisme, sous toute ses formes, l’avenir de la planète sera menacé. Je ne crois plus au « grand soir » car même s’il a lieu un jour, je crains que les petits matins qui suivent ne soient fort décevants. Je ne crois pas non plus au changement par l’arrivée au pouvoir d’une social démocratie de plus en plus médiocre. De quoi être songeur… Ce qui est sûr c’est qu’il va falloir que les générations montantes fassent preuve de beaucoup d’imagination et sortent des sentiers battus (ce qui ne peut se faire que lorsqu’on les connait – d’où l’importance de l’histoire). Désolé d’être aussi pontifiant, mais on vient de faire une grande balade sous la neige qui m’a passablement oxygéné les neurones.
Beaubec sous la neige, ce doit être vraiment joli !

Leave a Reply

 

Parcourir

Calendrier

avril 2024
L M M J V S D
« Avr    
1234567
891011121314
15161718192021
22232425262728
2930  

Catégories :

Liens

Droits de reproduction :

La reproduction de certaines chroniques ainsi que d'une partie des photos publiées sur ce blog est en principe permise sous réserve d'en demander l'autorisation préalable à (ou aux) auteur(s). Vous respecterez ainsi non seulement le code de la propriété intellectuelle (loi n° 57-298 du 11 mars 1957) mais également le travail de documentation et de rédaction effectué pour mettre au point chaque article.

Vous pouvez contacter la rédaction en écrivant à