22 janvier 2010

Un patriarche discret : l’if

Posté par Paul dans la catégorie : voyages sur la terre des arbres .

if-commun L’if fait partie de ces arbres, comme le cormier par exemple, relativement fréquents autrefois dans les contrées boisées, mais de plus en plus rares de nos jours, en dehors des parcs et des cimetières où s’épanouissent parfois de vénérables ancêtres. Bien que les botanistes l’appellent if « commun », il l’est en réalité fort peu et il est carrément protégé dans plusieurs pays ou régions d’Europe. Il était cependant présent un peu partout sur ce continent, mais il ne pousse plus en abondance nulle part ; nous verrons les causes multiples de cette disparition, mais je pense que la principale est liée au manque de patience de l’homo sapiens. Nous n’avons visiblement pas la même perception du temps que ce patriarche inébranlable à la croissance paisible et, contrairement à nos aînés, nous ne portons plus guère d’intérêt pour les symboles d’immortalité. L’âge de certains spécimens se compte en milliers d’années, et l’if a été le témoin de bien des événements de notre histoire. Les taxacées, famille botanique à laquelle appartient l’if, sont déjà présents au début de l’ère tertiaire, et des empreintes fossilisés laissent même penser qu’il existait déjà au Trias (200 millions d’années, ça vous dit quelque chose ?)… Il n’est pas donné au commun des mortels de recevoir la médaille d’argent de deuxième plus vieil arbre de la planète… Ce qui est sûr c’est que nos ancêtres lui témoignaient un grand respect. Il occupait une place importante dans diverses mythologies, et participait en tant qu’acteur ou décor à un grand nombre de légendes et traditions populaires, notamment chez les Celtes. Son bois, d’une très grande qualité, avait de nombreux usages, et permettait, grâce à sa flexibilité, la fabrication d’arcs à longue portée (Taxus signifie arc en latin par ailleurs). Si vous avez l’occasion de rencontrer l’un des survivants français des batailles de Crécy et d’Azincourt, demandez lui donc son opinion au sujet des « longs bows » (arcs longs) anglais… Nos chevaliers et nos gens d’armes en conservent certainement un souvenir ému. Il faut reconnaître qu’il n’est jamais agréable d’être transformé, contre sa volonté, en hérisson ou en porc-épic ! Trêve de plaisanteries douteuses, nous allons essayer d’ébaucher une brève monographie concernant cet arbre…

if-planche-botanique L’if est un résineux (erreur, voir commentaire), mais ce n’est pas un conifère contrairement au séquoïa ou à l’épicéa. Il ne produit donc pas de cônes mais un fruit appelé arille, l’une des rares parties de cet arbre qui ne soit pas un toxique violent. Son aire géographique de répartition est très vaste, de l’Irlande au Caucase, de la Norvège au Portugal, en plaine comme en montagne, puisqu’il pousse jusqu’à 1500, 1600 mètres d’altitude, en particulier dans les massifs calcaires. De proches cousins de cet if européen croissent également, mais toujours avec lenteur, en Chine, au Japon et en Amérique du Nord. Il n’est pas très exigeant quant à la nature du sol dans lequel il va développer ses racines, mais apprécie cependant beaucoup une atmosphère humide et beaucoup d’ombre. Les sols pauvres ne le perturbent pas. Ces raisons expliquent sans doute que l’on trouve des spécimens magnifique en Irlande, en Angleterre, en Ecosse ou bien en Normandie par exemple. Dans cette dernière région, le nombre d’ifs remarquables est impressionnant. Dans le village de la Haye-de-Routot (lisière sud de la forêt de Bretonne), une chapelle a été aménagée à l’intérieur du tronc d’un de ces ancêtres bedonnants. Il faut dire que sa circonférence atteint 12,50 m à un mètre du sol. Les plus beaux arbres se trouvent souvent dans les cimetières. C’est le seul endroit où ils ont trouvé refuge face aux velléités d’urbanisation, de normalisation, et de réaménagement des espaces ruraux, dont les haies bocagères ou les arbres isolés ont souvent été les premières victimes. Jusqu’à ces dernières années, les arbres remarquables étaient « tolérés » tant qu’ils ne dérangeaient pas ou ne présentaient aucun risque. Maintenant qu’ils sont devenus plus rares, les mentalités évoluent peu à peu, et ces arbres sont enfin protégés et admirés. On admet qu’ils font partie du patrimoine naturel mais aussi historique, au même titre que les ruines romaines ou les plus vieux bâtiments industriels. Il n’est jamais trop tard pour bien faire ! La plupart des ifs majestueux ont été plantés ; rares sont ceux, issus de semis naturels, qui atteignent des dimensions imposantes. Si vous résidez ou voyagez plus souvent dans le midi que dans l’Ouest, vous pouvez aussi découvrir des ifs d’une grande beauté dans la forêt de la Sainte-Baume, dans le Var. Il s’agit là d’une forêt, une hêtraie principalement, qui appartenait au domaine royal. On peut y observer quelques uns des plus beaux ifs « sauvages » de notre pays.  Avant d’effectuer un quelconque « pélerinage », vous pouvez aller donner un coup d’œil dans la catégorie « ifs remarquables » du blog de l’ami krapo arboricole. Il en a déjà recensé et photographié une dizaine. Les reportages sont sympas et je ne veux pas marcher sur ses plates-bandes d’autant que son site est en passe de devenir  l’un des plus célèbres de la blogosphère « nature » !

if-de-saint-ursin L’if joue un rôle important dans la cosmologie et dans la religion celte. Comment ce peuple aurait-il pu ignorer un arbre pareil, alors qu’il était convaincu de l’existence d’une vie dans l’au-delà et par conséquent de l’immortalité de l’âme. Les Celtes ne pouvaient trouver de plus beau symbole dans la nature, correspondant à ces croyances. Les morts étaient donc souvent mis en terre à proximité des ifs. Les Celtes avaient une vision très « naturelle » de la vie éternelle, inspirée par les cycles infinis qu’ils pouvaient observer autour d’eux : la renaissance de la nature au printemps, après sa mort en fin d’automne, le flux et le reflux de l’eau dans l’océan, le mouvement perpétuel des étoiles dans le ciel… Eternelle disparition, éternel recommencement. Contrairement à d’autres arbres sacrés, les ifs avaient une signification symbolique bien singulière et ils n’étaient pas censés personnaliser une divinité. L’idée était judicieuse car cela leur a certainement évité une mort assurée sous la hache des missionnaires chrétiens. Leur présence au voisinage des lieux d’inhumation a été considérée comme « religiously correct », et il n’y a pas eu de fatwa proclamée à leur encontre. Nos ancêtres se sont très vite aperçus que l’if possédait des qualités fort intéressantes, en particulier la robustesse et la flexibilité de son bois. De là à choisir cette essence pour en faire un arc, il n’y avait qu’un pas à faire et il a été vite franchi. D’autant qu’on s’est aperçu, un peu plus tard, sans doute à l’époque gauloise, que la résine de l’arbre constituait un poison redoutable si l’on enduisait avec la pointe des flêches…  A proximité de la momie de l’homme des glaces, Otzi, mort il y a 5300 ans, les archéologues ont retrouvé un arc et un petit manche de hache, tous deux fabriqués en bois d’if. L’usage de cet arbre était connu aussi bien en Amérique du Nord qu’en Europe. Les premiers habitants de l’île de Vancouver au Canada, se servaient du bois des variétés locales d’if (if de l’ouest et if du canada), d’une dimension plus modeste que celle de l’if commun, pour fabriquer des pagaies pour leurs pirogues. Ces pagaies étaient à la fois lourdes et tranchantes et pouvaient servir d’armes. L’usage du bois d’if pour les arcs était aussi connu des Amérindiens. Le bois de l’if est très compact, très dense, et pourrait se prêter facilement à des travaux d’ébénisterie s’il n’était pas aussi rare. Le bois de cœur possède une très belle coloration brun orangé et une veinure délicate. Il se travaille facilement et prend un très beau poli une fois poncé. Dans les vieux traités, on explique qu’il peut très bien, une fois coloré en noir, prendre l’apparence de l’ébène.

if-de-louest Les demandes de la société industrielle ne sont bien entendu plus du même ordre que celles de l’ancien temps. La gestion des ressources naturelles a pris une toute autre dimension. Pendant longtemps, par exemple, les forestiers américains ont boudé les variétés locales de cet arbre : troncs trop petits pour le sciage, croissance trop lente pour la pâte à papier, bref, rien de bien profitable. Les choses ont changé lorsque les laboratoires pharmaceutiques ont découvert que l’on pouvait tirer de de l’écorce de l’if de l’Ouest (Taxus brevifolia) une substance chimique, le taxol, qui joue un rôle de premier plan dans un traitement anti-cancéreux. Comme le fait remarquer un journaliste canadien, l’arbre a changé d’image en quelques années : il est passé du statut de « déchet forestier », à celui de « merveille des grandes forêts de l’Ouest ». Le problème c’est que la substance est présente en quantité infinitésimale dans l’écorce et qu’il a fallu abattre des quantités d’arbres phénoménales pour répondre à la demande. On est donc passé de l’abattage pour « éradication » à la surexploitation pour « une juste cause économique », paradoxe fréquent dans un contexte où le rôle écologique d’un végétal est très rarement pris en compte. On s’est aperçu que la quantité de « matière » disponible ne pourrait en aucun cas répondre à la demande. On pouvait aussi exploiter simplement une partie de l’écorce et ne pas procéder à des coupes à blanc. On  a découvert récemment aussi qu’une variété de champignon pouvait permettre de produire la même substance en quantité non négligeable. L’exploitation de l’if de l’Ouest a été réglementée partiellement par le gouvernement canadien.

if-bois Nos ancêtres ignoraient bien entendu cet usage singulier de l’if, mais peut-être les Celtes ne s’étaient-ils pas trompés, après tout, en lui attachant une symbolique de vie éternelle. Le « poison » pouvait devenir une substance bénéfique dans certaines maladies ; cette situation n’est pas rare dans le monde végétal ! Ce n’est qu’une question de dosage après tout… Aconit, Belladone, Cigüe… etc… ont de multiples usages ! Les feuilles de l’if constituent la partie la plus dangereuse à ingérer, y compris pour les animaux domestiques. En fait la seule production de l’arbre qui soit comestible, ce sont les arilles, à condition toutefois de se contenter de consommer la pulpe entourant la graine, et de recracher soigneusement cette dernière qui est toxique également. Les symptômes d’un empoisonnement par ingestion d’if sont caractéristiques : froideur générale dans tout le corps puis décès par étouffement (« Livre des arbres, arbustes et arbrisseaux » de Pierre Lieutaghi). Rassurez-vous, le goût du feuillage n’a rien de plaisant, et votre belle mère ne se débarrassera pas aussi facilement que ça de votre présence ! L’une des causes principales de décès liée à ce poison autrefois était son utilisation comme substance abortive. En cas d’erreur de dosage, l’issue pouvait être fatale. La protection des animaux pâturant en liberté est peut-être l’une des raisons pour laquelle les ifs se sont retrouvés peu à peu enclos dans les cimetières. Rien ne vient étayer cette thèse défendue par certains naturalistes, de manière vraiment solide. Ce que l’on sait par contre c’est que les chevaux, les ânes et les mules sont particulièrement sensibles à cet empoisonnement. Certaines personnes racontent que c’était une cause de mortalité des chevaux tirant les corbillards lors des funérailles dans les cimetières… La cérémonie s’éternisait, les animaux s’ennuyaient et s’occupaient en mâchonnant ce qui poussait à leur portée. Là aussi, les statistiques font défaut pour étayer cette affirmation !

taxus-baccata-fastigiata Pour conclure cette brève étude, je dirai qu’il ne faut pas oublier non plus le rôle ornemental de l’if. Je ne parle pas bien entendu des haies sinistres pour lequel on l’a employé à une certaine époque, depuis peu révolue. Je pense bien entendu aux arbres isolés, seule situation qui permette de le mettre vraiment en valeur. L’if commun a un port plutôt étalé, avec une cime pyramidale. Il faudra que vous soyez patients avant de pouvoir profiter de son ombrage pour piqueniquer en famille. Disons que ce projet risque plutôt de concerner vos lointains descendants ! Son cousin irlandais a une très belle forme fuselée, des dimensions plus réduites et permet, dans un parc ou dans un grand jardin, de recréer l’ambiance d’un paysage méridional (campagne provençale ou toscane). Il remplace sans problème le cyprès méditerranéen dans ce rôle et présente l’avantage de beaucoup mieux résister aux hivers froids et humides. J’en ai planté un il y a quelques années, et il s’est fort bien adapté à ma terre plutôt lourde. Il poursuit sa croissance tranquillement, gagnant une dizaine de centimètres chaque année. Le vert sombre de ses aiguilles n’est pas une couleur très gaie, mais cela enrichit la palette des couleurs présente dans le parc : le contraste avec les coloris jaunes ou rougeoyants des érables est du plus bel effet à l’automne. Ce n’est pas parce que le bois précieux de l’if a perdu son prestige avec la disparition d’une bonne partie de ses usages qu’il faut pour autant oublier cet arbre.

Origine des illustrations : photos 1, 4 et 6 : wikipedia commons – photo 3 : Ouest France – photo 5 : la Feuille Charbinoise – photo 2 : copie d’une flore ancienne.

Sous les ifs noirs qui les abritent,
Les hiboux se tiennent rangés,
Ainsi que des dieux étrangers,
Dardant leur œil rouge. Ils méditent.

(Baudelaire – les fleurs du mal)

10 Comments so far...

krapo Says:

22 janvier 2010 at 18:04.

Bonjour Paul,

bravo pour cette feuille verte, la qualité est encore au rendez-vous !
Merci pour le lien vers mon blog, et merci pour tes mots : « son site est en passe de devenir l’un des plus célèbres de la blogosphère nature”… vivement qu’un éditeur me découvre…

fred Says:

26 janvier 2010 at 09:13.

IF-IF IMPERATRICE !

Paul Says:

26 janvier 2010 at 09:40.

Content de voir que l’ami Fred resurgit du néant pour combattre les impitoyables forces du mal ! J’avais peur que les ténèbres t’aient englouti !

puyapampa Says:

23 avril 2010 at 21:50.

l if d irlande est il un taxus baccata ??? peut il donner naissance a d autre petit ifs ??? exemple un if commun de france et l if d irlande ??? sont ils compatible ??? je voudrai peupler une petite foret que je possede et la peupler d if dans les ardennes francaises j ais recolter de petit if dans les ville qui poussai naturellement je me suis dis si il arrive naitre c est qu ils sont robuste et toujours d arbre d ifferent pour assurer une bonne diversite s il se reproduise ??? j attens vos reponse merci mon email est puyapampa@gmail.com

Paul Says:

24 avril 2010 at 12:48.

J’ai planté un id d’Irlande il y a quelques années dans mon jardin. C’est un très beau petit arbre pour l’instant. C’est bien un taxus baccata (fastigiata). On l’appelle aussi if commun. A ma connaissance, il n’y a pas d’if « français ». L’if se reproduit par marcottage et bouture, mais aussi par semis de graine bien entendu. Selon Pierre Lieutaghi, ce sont les arbres issus de semis qui deviennent les plus beaux, mais il faut être patient ! A six ou sept ans, l’arbre peut ne mesurer encore qu’une quinzaine de centimètres. C’est une excellente idée de récupérer de jeunes plants ; selon l’emplacement il vous faudra peut-être l’autorisation du propriétaire du terrain. Pendant ses premières années, l’if apprécie d’être planté à l’ombre. J’espère avoir répondu à votre demande…

menot Says:

29 novembre 2011 at 13:12.

dans notre parc nous avons un if de 4 métres de circonférence

menot Says:

29 novembre 2011 at 13:14.

et deux autres un peu moins grand
que faire pour les garder en bonne santé

Paul Says:

29 novembre 2011 at 13:25.

@ Menot – Je ne suis pas spécialiste en arboriculture, juste amateur. A première vue je serais tenté de dire qu’il n’y a pas grand chose à faire. S’ils ont poussé à des dimensions pareilles c’est que le sol leur convient ! Je pense que pour tous les autres arbres ce qui est important c’est d’éliminer le bois mort et de surveiller les éventuels parasites. Nous avons un cyprès bleu, jeune, qui est entrain de passer l’arme à gauche sans que l’on comprenne trop la raison. Les irrégularités climatiques de ces dernières années rendent la vie des arbres compliquée !

phoduro Says:

13 décembre 2012 at 19:51.

L’if sorte de conifères de la famille des Taxacées,fais partie des gymnospermes non RESINEUX.
ordre des Taxales, résineux ou conifèresorde des pinales

Paul Says:

13 décembre 2012 at 20:09.

@ phoduro – Merci pour cette précision !

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