24 mars 2008

RSF, une ONG en eaux troubles…

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour .

Reporters Sans Frontières est une ONG qui bénéficie d’une bonne image de marque dans nos médias. Son Président, Robert Ménard, est fréquemment l’invité des plateaux télévisés, et il ne manque pas, à chaque occasion, de témoigner de la solidarité active de son organisation avec les journalistes victimes de persécutions au quatre coins de la planète, ou presque… Seulement voilà, lorsqu’on examine d’un peu plus près les interventions de RSF, on s’aperçoit que cette ONG pratique couramment le « deux poids, deux mesures » et ne s’indigne pas, avec la même ardeur, de toutes les atteintes aux libertés d’expression dont sont victimes les représentants de la presse. Une telle affirmation mérite d’être quelque peu étayée et nous allons donc rentrer un peu dans les détails.

rsf1.jpg Le 12 mars dernier, RSF lançait, pour la première fois, une « journée internationale de la liberté sur Internet », avec, dans un premier temps, le parrainage de l’Unesco, et l’intention de renouveler cette journée chaque année à la même date. Problème de dernière minute, le directeur de la Division de la liberté d’expression, de la démocratie et de la Paix de l’UNESCO a notifié à l’ONG que son parrainage était refusé, et qu’il n’était pas question que le logo de l’UNESCO soit utilisé à cette occasion. La conduite de RSF est considérée comme non conforme au positionnement de l’UNESCO. Selon l’agence Prensa Latina, des diplomates de l’UNESCO se sont élevés contre le « goût du sensationnalisme » de RSF et sa volonté de s’ériger en « tribunal de l’inquisition contre des nations en voie de développement ». La liste noire de l’ONG dénonçant les atteintes à la liberté d’expression sur la toile ne compte aucun pays occidental, mais seulement des pays du Tiers monde. Robert Ménard lui-même est très clair à ce sujet puisqu’il a déclaré : « Nous avons décidé de dénoncer les atteintes à la liberté de la presse en Bosnie et au Gabon et les ambiguïtés des médias algériens ou tunisiens…mais de ne pas nous occuper des dérives françaises »

Ce n’est pas la première fois que Reporters Sans Frontières fait preuve d’une partialité pour le moins bizarre. En janvier 2004, la famille du cameraman espagnol José Couso, assassiné par le tir délibéré d’un char US contre son hôtel à Bagdad, exige que RSF se retire du dossier pour clause de « flagrante complaisance envers les tueurs ». Pour l’ONG, les trois militaires impliqués dans l’assassinat, n’étaient pas coupables (puisqu’il s’agit de soldats américains et qu’aux USA la liberté de la presse est « sacrée »). Le sort des journalistes irakiens emprisonnés par la CIA n’intéresse guère l’ONG non plus, de même que la condamnation à mort par la justice américaine du journaliste noir Mumia Abu Jamal, accusé de meurtre sur la base de témoignages manipulés. Par contre, RSF ne se prive pas de dénoncer le manque de liberté des internautes cubains, sans préciser que les USA, dans le cadre de leur blocus, interdisent à Cuba une connexion par câble et que de par ce fait, le coût des communications, obligatoirement transmises par satellite, s’en trouve quadruplé. Cuba n’est certainement pas un modèle de Démocratie, mais on comprend que, dans ce cas, l’usage d’Internet soit réservé de façon prioritaire aux besoins vitaux. Il serait honnête aussi de préciser que dans le cadre des mesures prises par l’administration de Washington pour « étrangler » l’économie insulaire, un certain nombre de sites sont fermés volontairement par les Etats Unis après avoir été placés dans la liste noire du département du trésor. Il existe un bureau de contrôle, nommé OFAC (Office of Foreign Assets) qui peut faire clore des sites hors des USA. Cette affaire est expliquée plus en détail dans un article d’Adam Liptak sur le site d’Altermonde. Je vous invite à le consulter.

Robert Ménard ne se prive pas, lors des interviews qu’il accorde à la presse ou à la télévision, d’exprimer sa haine à l’égard du gouvernement élu démocratiquement par le peuple du Vénézuéla, quitte à affirmer n’importe quoi, comme par exemple le fait que « le gouvernement de Hugo Chavez est une catastrophe économique », ce que démentent même les études publiées dans le Figaro. Il semble oublier qu’au Vénézuela, depuis l’élection de Chavez, aucun journaliste n’a été emprisonné ou assassiné… Ménard est le porte parole omniprésent de l’ONG. En 1994, Rony Brauman, un des fondateurs de RSF dénonçait le « climat pourri », régnant dans l’organisation, sa dépendance de la Commission Européenne et l’autoritarisme permanent de son leader ». Il semble en fait que l’attaque permanente des régimes progressistes d’Amérique du Sud et Centrale soit devenu le fond de commerce de cette ONG bien particulière. Certains journalistes d’investigation ne se sont pas privés d’étudier les rapports qui pourraient exister entre RSF et certains budgets de la CIA, distribués, avec largesse, par le biais de « fondations » diverses (telle la NED, National Endowment for Democracy, proche de la CIA et du parti républicain), et suivant des chemins aussi troubles que tortueux.

prisonniersusa.jpg Les revenus importants de RSF ne proviennent pas exclusivement, et loin s’en faut, selon les mêmes sources, des cotisations de ses membres et de la vente de livres ou de photographies. L’ONG a bénéficié de prêts importants, ces dernières années, sans remboursement demandé, de la part de l’IRI (International Republican Institute) qui est une « filiale » de la NED, contrôlée par le parti Républicain… Quand je vous disais que le cheminement était tortueux : CIA – NED – IRI – RSF (presque toutes les lettres de l’alphabet vont y passer si ça continue). Ce fameux IRI a été fondée en 1983, sous le régime Reagan, afin de se substituer aux programmes d’action secrète de la CIA au sein des sociétés civiles. Le manque de doigté de la CIA avait, dans les années soixante-dix, grillé « l’image » de cette organisation dans ce type d’action. Bien entendu, RSF dément le fait de recevoir un quelconque subside de Washington. Ce qui est gênant c’est, qu’à l’autre bout, l’agence américaine elle-même, après 14 mois d’enquêtes, a reconnu avoir effectué des versements importants à l’ONG (fait confirmé par l’un des assistants du Président de la NED).

rsf2.jpg On comprend, dans ces conditions, que notre ONG enfourche, assez facilement, un certain nombre de « chevaux de bataille » propres à ses généreux « sponsors » : calomnies contre le régime d’Aristide à Haïti, accusé, sans preuves, de l’assassinat de journalistes, dénonciation zélée de l’arrestation de journalistes cubains (Menard suggère même que les comptes cubains dans les banques européennes soient bloqués au même titre que ceux des terroristes)… Le gouvernement américain apprécie le travail de l’ONG : Colin Powell, dans un rapport remis à Bush en mai 2004, « assistance for a Free Cuba », ne manque pas de citer l’action exemplaire de l’association « Reporters Without Borders ».

Il est regrettable qu’une ONG agissant dans un domaine aussi important que celui de la liberté de la presse ne soit pas, elle-même, un modèle de transparence et navigue dans des eaux aussi troubles. Espérons que cette organisation sera capable d’effectuer un peu de ménage en son sein et qu’elle prendra des orientations un peu moins partisanes dans les années à venir. Si elle ne veut pas que son action soit entachée de suspiscion, une ONG ne devrait pas, par quelque biais que ce soit, recevoir de subventions d’un Etat particulier : Organisation NON Gouvernementale, il me semble que les initiales sont pourtant claires !

NDLR : Cet article repose sur un certain nombre de sources auquel il est possible de se référer si l’on veut approfondir le dossier. Plusieurs documents concernant RSF ont été publiés sur le site de l’ACRIMED, d’autres sur le site du réseau VOLTAIRE. Les informations concernant le refus de parrainage de la « journée internationale de la liberté sur Internet » par l’UNESCO proviennent en partie d’un article de Maxime Vivas sur le site d’informations Le Grand Soir. Un autre article du même auteur peut être consulté sur le site Cuba Solidarity Project et l’échange de propos peu amènes qui s’en est suivi avec RSF par la suite (le dernier texte de la page est le plus intéressant à mes yeux). Je me suis référé aussi à un article de Salim Lamrani sur Altermedia info. Pour chaque site je ne vous propose qu’un lien sur un article précis, mais il est possible, par le biais d’une recherche interne, de trouver l’ensemble des documents que j’ai consultés.

One Comment so far...

François Says:

24 mars 2008 at 09:53.

Grande est l’attraction du côté obscur de la Force! Merci pour cet article fascinant, quoique bien déprimant.

A l’époque où j’éditais encore le fanzine Tinkle Bavard, j’avais fait quelques recherches sur les théories de conspiration, terreau fertile pour des scénarios de jeu de rôle. Si j’avais effectivement trouvé de la matière en abondance, tout ne m’avait pas fait rire, loin de là. Les soutiens obscurs des Etats-Unis à différentes causes font froid dans le dos. Et si l’URSS n’est plus, le Chine a largement repris flambeau depuis quelques années.

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