26 mai 2010

Pays en voie de développement… Paysans en voie de disparition…

Posté par Paul dans la catégorie : Feuilles vertes .

revolte-paysanne PVD ou PED selon le cas… Ces initiales couramment employées dans les médias, on peut en faire une double interprétation… Il suffit de « jouer » sur le sens que l’on donne à la première et à la dernière lettre… Dans le cadre d’un entretien accordé au journal Télérama, l’agronome Marc Dufumier tire la sonnette d’alarme : en 1970, il y avait 1 600 000 paysans en France ; en l’espace de quarante années, près d’un million d’entre-eux ont cessé leur activité sans être remplacés… Selon l’une de mes connaissances, agriculteur bio et militant à la « conf », le résultat de la différence, à savoir 600 000, est une estimation optimiste. D’ici peu, ce nombre sera proche de 400 000. De quoi faire baver le Sinistre de la Fonction Publique. Si l’on pouvait appliquer le même genre de quota réducteur à l’Education Nationale, à la SNCF ou à la Poste, ce serait l’extase pour les chantres de la libéralisation frénétique. Selon la même première source, 20 % des 600 000 survivants peuvent être assimilés à des travailleurs pauvres. En un an (depuis juin 2009), plus de 40 000 demandes de RSA ont été déposées auprès de l’administration par des agriculteurs, principalement des producteurs laitiers. Ce nombre pourrait augmenter de façon considérable dans les mois à venir compte-tenu de la crise que traverse le secteur laitier et de l’effondrement des revenus qui s’ensuit. Tous ces apprentis sorciers qui passent leur temps à se réunir et à planifier cette destruction du monde agricole peuvent se réjouir : dans les pays dits développés, leur objectif est presque atteint. La démolition du tissu industriel ayant été sérieusement avancée en parallèle, on peut se demander quelles occupations il restera pour ceux qui chercheront un emploi : flic, militaire, fonctionnaire de la CEE ou vendeur dans une grande surface sans clients ? Ce n’est pas que je sois un ardent défenseur du travail à tout prix (en particulier du salariat) et de la semaine de quatre-vingt heures, mais la simple question que je me pose concerne les ressources pour vivre décemment, dont disposeront toutes ces personnes sans emploi durable, sachant que ces revenus ont été, jusqu’à présent, en grande partie fournis par le travail salarié.

resistiendo Il reste encore du boulot à faire dans les Pays en Voie de Développement pour liquider une paysannerie que nos élites estiment bien entendu largement surnuméraire. Rassurez-vous, les experts sont en train de plancher activement sur le dossier. Un sommet a eu lieu courant mai, à Madrid, réunissant chefs d’état et ministres de l’agriculture de l’Union européenne et de l’Amérique Latine, en vue de mettre en place de nouveaux accords de libre échange entre les deux continents. Il est notamment question de permettre à l’Union Européenne d’exporter à bas prix vers l’Amérique du Sud, 4500 tonnes de lait et 2000 tonnes de fromage excédentaires en Europe. Cette arrivée massive de produits laitiers bradés ne peut, bien entendu, avoir que des conséquences catastrophiques pour les producteurs des pays ainsi « arrosés ». Ces petits exploitants, ruinés, suivront la démarche de leurs confrères et consœurs de l’UE : ils iront mendier de quoi survivre puis s’entasseront dans les bidonvilles des mégapoles. En Colombie, par exemple, ce sont plus de 400 000 producteurs, familles ou collectivités, ainsi menacés directement par la négociation engagée. Beau programme de travail : tout ce petit monde de politiciens et d’experts peut être fier de son efficacité… Le bulldozer néolibéral avance, sans encombre, en détruisant tout sur son passage, sans être le moins du monde gêné par les cris des quelques experts et des rares institutions qui arrivent à se placer en marge du défilé triomphal. La FAO s’inquiète de la crise alimentaire à venir… Pas de problème tant que les bénéfices de la spéculation sur les matières premières tombent dans les escarcelles et que les profits escomptés de la culture des nécro-carburants s’annoncent juteux. L’UNICEF s’indigne et dénonce les conditions de vie des enfants dans les quartiers les plus misérables des zones urbaines dans ces fameux  PVD. Aucune gêne, tant que les allers-retours de capitaux fictifs se déplaçant à la vitesse de la lumière, permettent à des crapules sans visage de se goinfrer de billets bleus.

shangai Pendant ce temps là, sur notre planète bleue (elle aussi), l’immense majorité du monde agricole rame, sur une mer de plus en plus démontée, en panne de moteur et sans gouvernail. L’hexagone n’étant pas le centre du monde, voyons un peu ce qui se passe justement dans les PVD un peu plus en détails. La dérégulation des marchés et la déferlante du libre échange entrainant un effondrement du cours des denrées essentielles est la cause première de l’accélération de l’exode rural. Ce mouvement migratoire a lieu, dans un premier temps, de la campagne vers la ville et entraine un accroissement fulgurant de la population des mégapoles. Une ville comme Lagos au Nigéria devrait dépasser les 17 millions d’habitants, d’ici quatre ou cinq ans, alors qu’elle n’en comptait que 280 000 en 1950. Sur une période équivalente, Bombay, en Inde, devrait voir son nombre d’habitant se multiplier au moins par dix, passant d’un peu plus de deux millions à vingt-deux. Le mirage d’une vie plus facile dans les faubourgs de ces mégapoles ne dure qu’un temps et un second mouvement migratoire se produit souvent, vers un pays voisin estimé plus prometteur ou vers un eldorado lointain. Les flux migratoires empruntent alors des voies complexes et coûteuses, n’aboutissant que rarement et entrainant le développement de mafias spécialisées dans la traite de main d’œuvre. Le même phénomène se produit en Chine.  Des villes comme Beijing ou Shangaï voient leur population s’accroître de plus en plus rapidement. L’accroissement de surface urbaine, rendue nécessaire par le développement de nouveaux quartiers, se fait bien entendu au détriment de la superficie de terres agricoles utilisables. En 2001, au moment de l’entrée de la Chine dans l’OMC, le taux d’urbanisation était de 37 % (selon un document de l’UNESCO) et devrait atteindre 50 % en 2030 et 70 % en 2050, ce qui démontre bien l’ampleur du phénomène migratoire et la désaffection croissante pour la vie dans les zones rurales. Dans un pays aussi peuplé, de tels mouvements de population se chiffrent en centaines de millions d’individus. Une bonne part de ces habitants qui changent de cadre de vie est jeune et en pleine période d’activité : 70 % des travailleurs migrants ont entre 16 et 35 ans. Toujours selon le même rapport de l’UNESCO, la plupart de ces nouveaux arrivants sont employés à des labeurs « généralement considérés comme sales, dangereux et difficiles, et que la population locale ne veut pas effectuer ».

terres-agricoles-madagascar Les conséquences de l’abandon des terres par les paysans sont encore plus graves dans les PVD que dans les pays développés. Les terrains riches sont repris par de grosses exploitations qui généralisent la monoculture avec tout ce qui l’accompagne généralement : utilisation de semences OGM, mécanisation à outrance, emploi de pesticides en dose massive, irrigation entrainant l’épuisement des ressources locales en eau. Les terrains d’accès difficile, moins fertiles ou demandant une main d’œuvre importante pour être exploités, sont purement et simplement abandonnés. Les terres agricoles deviennent alors une marchandise comme une autre que l’on achète ou que l’on vend selon que l’on est riches ou pauvres. Les terres africaines ou sud américaines produisent alors pour la Chine, pendant que les grandes firmes occidentales s’implantent un peu partout sur la planète. On assiste alors à un véritable chassé-croisé d’investissements, et pas toujours dans la direction que l’on pourrait imaginer. Pour essayer de trouver une parade à la crise alimentaire à venir, les Chinois sont prêts à faire feu de tout bois. A plusieurs reprises les syndicats d’exploitants agricoles du Québec ont faire part de leurs inquiétudes face aux menées de certains agents immobiliers directement recrutés par des entreprises chinoises. Les terres agricoles canadiennes sont considérées comme étant parmi les moins chères dans les pays industrialisés, et cette information a attiré plus d’un investisseur. Il ne s’agit pas de petites opérations immobilières réalisées à l’initiative d’un particulier soucieux de changer de cadre de vie, mais d’entreprises de grande ampleur portant sur des milliers, voire des dizaine de milliers d’hectares et financées par des gouvernements ou par de grosses sociétés multinationales. Fin 2008, par exemple, l’affaire Daewoo à Madagascar a fait grand bruit. Le constructeur sud-coréen a signé, avec le gouvernement malgache, un accord qui lui permettait d’obtenir un bail de 99 ans (gratuit) pour pouvoir cultiver 1,3 millions d’hectares de terre arable sur l’île. Pour ceux qui ont du mal à se représenter des superficies à partir de chiffres, sachez que cela correspond à peu près à la moitié de la taille de la Belgique. L’objectif du groupe industriel et financier était simple : produire du maïs sur la plus grande partie de ces terres et de l’huile de palme sur le reste. La récolte devait être exportée brute en Corée pour être transformée… Des bruits ont filtré sur cette transaction et ont entrainé la mobilisation de nombreuses organisations. Le gouvernement malgache a été renversé depuis et le dossier mis en sommeil, mais pas totalement abandonné. Cet exemple montre bien à quels types de manœuvres sont prêts les grands groupes multinationaux pour répondre à l’explosion prévisible du prix des matières premières agricoles. La majorité de ces tractations se déroulent dans l’ombre et les personnes concernées n’apprennent parfois qu’au dernier moment à quelle sauce financière elles vont être dévorées.

via_campesina Avant que l’on assiste à un profond changement d’orientation de ce phénomène d’exode rural, il est fort probable que de l’eau va couler sous les ponts. Nous n’en sommes, pour l’instant, qu’au stade de l’amorce d’une prise de conscience de la gravité des enjeux qui sont en œuvre autour de ce problème agricole planétaire. Ainsi que je l’ai déjà exprimé dans divers autres articles (celui-ci par exemple), je doute que les institutions politiques et économiques actuelles soient à même de provoquer un quelconque bouleversement, la plupart d’entre-elles étant soumises à des pressions considérables de la part de groupes de lobbying puissants. On voit que la défense de l’agriculture paysanne n’est toujours pas à l’ordre du jour, quels que soient les discours sur le « développement durable » dont on nous abreuve dans les médias. Il n’en reste pas moins, comme on dit, que l’on peut essayer de balayer devant sa porte, et faire l’effort de s’intéresser au devenir du monde agricole près de chez soi. De nombreuses initiatives ont été lancées pour essayer d’inverser la tendance et pour favoriser le retour de jeunes (ou de moins jeunes) agriculteurs à la terre. Une association comme « Terre de liens » par exemple, fait un travail remarquable dans ce sens là. La société foncière coopérative qui lui est associée connait un développement important et cherche de nouveaux associés. Allez faire un tour sur leur site et demandez une documentation. Les structures facilitant un rapprochement entre producteurs et consommateurs, style AMAP, permettent aussi de prendre très vite conscience des problèmes du monde agricole et de se questionner un peu plus sur l’origine et le coût des produits que l’on achète au quotidien. Ne négligez pas ces approches : elles constituent un axe important de lutte pour changer nos façons de vivre et construire de nouveaux rapports entre les individus. Pour voir un peu plus loin que le clocher du village, intéressez vous aux publications d’organisation comme « Via Campesina » par exemple. Il est parfois bon de se dire que l’on n’est pas seul, et qu’un paysan péruvien ou malgache peut se battre pour les mêmes causes que nous (et contre les mêmes adversaires)… Dans une revue comme « l’âge de faire« , on trouve de nombreux témoignages issus du monde agricole et décrivant les processus d’émancipation engagés par certains groupes en Inde, en Afrique ou au Brésil par exemple. Etre conscient de la gravité de la situation ne veut pas dire forcément désespérer…

Je vous quitte : mon devoir de jardinier m’appelle. Cette année, je me suis fixé un objectif : essayer de produire au moins une partie des semences dont j’ai besoin. J’en ai marre d’enrichir Vilmorin et autres succursales françaises de marchands d’OGM. Petits pas à petits pas, pourvu qu’on aille dans la bonne direction !

NDLR – origine d’une partie des illustrations – photo 2, site de « Via Campesina » – photo 3, « aujourd’hui la Chine » – photo 5, « Via campesina »

3 Comments so far...

JEA Says:

26 mai 2010 at 17:32.

Bisque, bisque, vivement une page de cette envolée et qui devienne aussi une feuille nomade…

Paul Says:

26 mai 2010 at 17:35.

@ JEA – Feuille nomade, j’y songe sérieusement, et je serai ravi qu’elle soit accueillie sur mo(t)saïques. Je m’en occupe dès que je suis retombé sur mes pattes ! Merci pour votre présence régulière et chaleureuse sur le blog !

la Mère Castor Says:

29 mai 2010 at 19:29.

J’ai remarqué une chose dans ma région : des panneaux fait à la main, sur le bord de la route, disant : paysan producteur vend fruits et légumes, un truc comme ça, et je me suis fait la réflexion que quelques années en arrière ce mot de paysan n’aurait pas été utilisé. C’est comme une nouvelle fierté, et quelque part ça fait peur. Un genre de réutilisation du mot, comme le pain fait à l’ancienne, la confiture bonne maman et toutes ces stratégies pour bobos.

Leave a Reply

 

Parcourir

Calendrier

avril 2024
L M M J V S D
« Avr    
1234567
891011121314
15161718192021
22232425262728
2930  

Catégories :

Liens

Droits de reproduction :

La reproduction de certaines chroniques ainsi que d'une partie des photos publiées sur ce blog est en principe permise sous réserve d'en demander l'autorisation préalable à (ou aux) auteur(s). Vous respecterez ainsi non seulement le code de la propriété intellectuelle (loi n° 57-298 du 11 mars 1957) mais également le travail de documentation et de rédaction effectué pour mettre au point chaque article.

Vous pouvez contacter la rédaction en écrivant à