21 mars 2008

A propos du « bon vieux temps »

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour .

nostalgie1.jpg La nostalgie du passé m’agace, que ce soit sur le plan personnel ou sur celui de la mémoire collective. Les souvenirs de mon enfance ne sont pas les meilleurs souvenirs de ma vie. Je ne verse pas la moindre petite larme en usant mes yeux sur une photo jaunie de week-end à la campagne ou de rassemblement familial pour une quelconque communion. J’ai vécu de bons moments dans les années qui ont suivi 1968 et il m’arrive de ressentir une certaine émotion en regardant « le péril jeune » de Cédric Klapisch qui évoque avec une sensibilité extraordinaire ces années-là. Je regrette les personnes proches qui ont disparu, surtout, de façon égoïste, j’en conviens, pour tout ce qu’elle m’ont apporté. Mes dernières vacances en ….. (complétez comme vous voulez) m’ont laissé des souvenirs extraordinaires et je prends plaisir à rassembler les documents qui s’y rapportent afin d’en conserver la mémoire… Mais baste, je ne vis pas dans le passé, je vis dans le présent et, si possible, dans un futur plus ou moins éloigné. Cette déclaration péremptoire surprendra peut-être les lecteurs réguliers de ce blog qui pouvaient trouver un caractère « passéiste » à certaines chroniques. Mais c’est comme ça !

nostalgie2.jpg Les tables des libraires se couvrent, en période de fêtes par exemple, de livres sur le « bon vieux temps ». Du forgeron du village à l’école de mémé, en passant par les pavés de papa ou les grèves de pépé, tout est bon pour magnifier un passé totalement idéalisé et entièrement artificiel. Non, l’école dans laquelle j’ai été élève, le collège dans lequel mon grand-père a fait ses études, n’étaient pas meilleurs, loin de là, que les établissements scolaires dans lesquels j’ai enseignés. La blouse grise, l’ardoise et les craies, les leçons de morale de Mr Darcos, les résumés idiots et les affichages hideux aux murs de ces casernes où nos vies d’enfant ont été « normalisées » ne me font pas pleurer de regret. La vie dans les petites communautés rurales avait son charme, certes, mais ses inconvénients aussi. Les enfants ne passaient pas leur temps à chasser des merles avec un lance-pierre ou à élever des hannetons dans des boîtes d’allumettes. Ceux qui étaient rejetés par leur groupe, les « filles mères » par exemple, menaient une existence qui était un véritable calvaire, et, de façon générale, la vie des ouvriers ou des paysans, il y a cent, deux cents ou cinq cents ans, n’était pas une suite de clichés roses dans un album de la comtesse de Ségur. Relisez la « soupe aux herbes sauvages » ou la vie de « Toinou, le cri d’un enfant auvergnat » pour voir.

nostalgie3.jpg La société féodale de Philippe Auguste, le Moyen Orient des Croisades, la France rurale au temps de Mandrin, ne valaient pas mieux que l’Hexagone étroit de Mr Sarkozy, la bande de Gaza gérée par Mr Pérez ou la Colombie de Mr Uribe… Il est pourtant intéressant de brasser tous ces « souvenirs », de mieux connaître toutes ces époques, d’examiner à la loupe tous les processus de paix, de guerre, de changements sociaux, qui se sont déjà produits et répétés dans l’histoire, pour mieux analyser les phénomènes actuels et essayer de sortir des ornières dans lesquelles l’humanité semble engagée depuis des millénaires. Toutes ces voies de chemin de fer désaffectées, ces forteresses médiévales, ces ouvrages romains, mais aussi toutes ces luttes ouvrières, ces révolutions manquées, cette sagesse paysanne… sont nos racines et nous devons y puiser un certain nombre d’enseignements pour construire notre présent et surtout notre futur. On doit s’intéresser à ce qu’ont vécu et écrit certains personnages du passé pour essayer de s’approprier leur expérience plutôt que de la revivre. Il faut simplement avoir une vision du passé qui soit à la fois analytique, contextuelle et universelle. Rien que ça…

Analytique dans le sens où il est nécessaire de prendre en compte tous les éléments qui composent le tableau que l’on contemple. J’écris actuellement un texte sur la forteresse « cathare » de Puylaurens car ce château, chaque fois que j’ai l’occasion de l’admirer, dans sa réalité ou sur une photo, me fait une très forte impression. Je vous ai déjà parlé des « Tours de Merle » ou de « Château Rocher », d’autres lieux que je trouve magiques. Ce ne sont pas pas seulement les entassements de vieilles pierres ou l’image d’Epinal des chevaliers en armure sur les remparts qui m’interpellent. Je ne peux pas m’empêcher d’imaginer aussi la fierté des hommes libres, tailleurs de pierre ou de bois, qui ont construit ces bâtisses colossales, ainsi que la misère des paysans soumis à la corvée auxquels les tâches les plus harassantes étaient imposées.

Contextuelle au sens où on ne peut pas étudier les récits de la Commune racontés par Louise Michel ou les romans d’aventure écrits pas Jules Verne sans les replacer dans leur environnement social de l’époque. Je ne m’étendrai pas sur ce facteur qui me paraît assez évident, même si certains l’oublient parfois dans leurs envolées lyriques. Universelle enfin parce que nos racines le sont et que notre champ de vision, lorsqu’on se tourne vers le passé, ne s’arrête pas au clocher de notre village, aux frontières de notre langue régionale ou de notre supposée patrie. Il suffit de suivre d’un peu près le cheminement des inventions (je vous parlerai un de ces jours de l’astrolabe), celui des mots d’une langue (de « bougette » à « budget » en passant par pas mal d’étapes) ou d’une population (de Nagy-Bocsa à Paris par exemple) pour comprendre qu’une bonne photographie du passé nécessite un objectif « grand-angle » afin d’être réussie.

nostalgie4.jpg En fait, le passé doit être constamment présent, car sa connaissance est l’un des éléments clés de la construction de notre avenir. On peut, à la fois, être citoyen du monde et avoir des racines dans une terre. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, l’enracinement n’est pas un facteur d’immobilisme. L’arbre prend de solides appuis dans le sol et développe sa ramure, tout aussi complexe que sa partie souterraine, dans toutes les directions. Chaque arbre a ce double cheminement, aérien et souterrain. Mais chaque arbre a aussi une silhouette, visible et invisible, qui lui est propre. Deux pins ou deux chênes kermès évoluent différemment en fonction du sol dans lequel ils sont plantés, mais aussi de la manière dont ils reçoivent la lumière du soleil. Certains étalent leurs racines sur une vaste surface, d’autres pénètrent profondément le sol grâce à un pivot puissant… On ne tient pas assez compte des arbres…

Image du présent pour le passé futur : je n’oublierai jamais le visage de ce vieux paysan palestinien entraperçu un soir à la télé : un bulldozer arrachait ses oliviers centenaires pour laisser le passage au « mur de la honte ». Il n’y avait pas de larmes dans ses yeux ; seulement un océan de tristesse…

NDLR : quand on pense que l’auteur de cette chronique est quelque part sur la photo n°1…

3 Comments so far...

fred Says:

21 mars 2008 at 10:01.

C’était mieux avant !
(plaisanterie)

Philippe Says:

21 mars 2008 at 10:07.

Est ce que l’auteur de cette chronique ne serait pas sur la rangée du milieu, deuxième en partant de la gauche (déjà, à l’époque)?

Paul Says:

21 mars 2008 at 10:13.

Bravo le détective ! Serais-tu toi aussi subrepticement caché sur ce document, costumé en papillon et dissimulé derrière une fausse identité ?

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