26 mars 2008

Carcassonne avait cinq filles…

Posté par Paul dans la catégorie : Carnets de voyage; vieilles pierres .

chateau-puylaurens.jpg Termes, Peyrepertuse, Aguilar, Quéribus et Puylaurens… Ces cinq noms ne vous disent peut-être pas grand chose, mais si je vous précise qu’il s’agit de cinq châteaux « cathares » situés dans le sud du massif des Corbières, vous me suivrez sans doute plus facilement… En 1248, le roi Saint Louis signe avec le roi d’Aragon le traité de Corbeil qui fixe (pour plusieurs siècles) la frontière entre les deux royaumes. Pour assurer la défense de cette région frontalière, le roi de France fait rénover ou construire un certain nombre de forteresses qui vont constituer la « ligne Maginot » de l’époque, face à l’Espagne. Le support de cette ligne de défense avancée est la citadelle de Carcassonne, d’où la « filiation » établie par certains historiens. Plusieurs de ces constructions ont totalement disparu ou sont très abîmées. Les cinq châteaux énumérés ci-dessus sont les plus beaux vestiges de l’époque et méritent indiscutablement un détour lorsque vous aurez l’occasion de séjourner dans cette région.

chateau-puylaurens2.jpg Je vous ai déjà parlé dans ces chroniques d’un certain nombre de châteaux forts dont je suis tombé « amoureux ». En évoquant les châteaux cathares, je ne peux m’empêcher de vous parler plus longuement du site de Puylaurens pour lequel j’éprouve un attachement tout particulier. A deux reprises, j’ai utilisé le terme « cathare » entre guillemets, car tous ces châteaux sont souvent rattachés à cette épopée par les guides touristiques plus que par les historiens. Les tours et les murailles que l’on peut visiter actuellement sont, pour la plupart, d’une construction postérieure à l’hérésie et à la croisade de Simon de Monfort. Comme je l’ai dit plus haut, c’est principalement Saint Louis qui a fait remettre ces bâtisses en état. Les cathares n’ont jamais bâti de forteresses. L’épopée cathare est principalement un mouvement religieux dirigé contre l’église romaine, une révolte bénéficiant d’un large appui dans la population rurale du sud de la France. Il n’y a jamais eu de « chevaliers » cathares ailleurs que dans les chansons de Cabrel ou au bord des autoroutes modernes ! Les « Parfaits » (religieux) cathares ne constituaient pas un ordre militaire : il ne faut pas confondre avec les Templiers ! Tout au plus peut-on dire que certains de ces châteaux ont joué un rôle de refuge pour les Parfaits persécutés. Quéribus a été l’une des dernières forteresses à résister aux croisés catholiques venus du Nord et, à ce titre, elle est, sans doute, la plus « hérétique » des cinq filles.

chateau-puylaurens3.jpg Puylaurens est l’un des mieux conservés de tous les châteaux forts « de montagne », dans notre pays. Sa silhouette se dresse au sommet d’un piton rocheux : des falaises abruptes en protègent l’accès du côté de la vallée. On l’aperçoit sans difficulté lorsque l’on suit la route de Perpignan à Foix, entre St Paul de Fenouillet et Quillan. L’approche touristique en est en fait plus simple qu’il n’y paraît, en le contournant par l’arrière. Un chemin serpente sur le flanc sud de la montagne, au milieu des bois et des buis. Le trajet final est plus raide et l’approche de l’entrée du château se fait en zigzaguant à l’intérieur d’une faille rocheuse. Les assaillants devaient suivre le même chemin, il y a sept ou huit cents ans, mais dans des conditions beaucoup moins romantiques. L’essentiel de la défense de la forteresse est concentré sur cet accès : avant d’arriver à la grande porte, neuf murailles placées en chicane, freinent la progression de l’attaquant. Une fois cet obstacle franchi et la porte forcée, on débouche dans une première petite cour intérieure qui est une redoutable souricière : le mur qui délimite cette cour comporte une douzaine de meurtrières dont les axes sont dirigés droit sur l’entrée…

chateau-puylaurens4.jpg Mieux vaut être un paisible touriste des temps modernes pour visiter cet endroit qu’un soldat espagnol ayant des velléités de conquête ! Et pourtant, une fois tous ces obstacles franchis, on débouche dans la basse-cour du château et l’on a l’impression de se retrouver dans un havre de paix. Les courtines (muraille d’enceinte principale) protègent des sautes d’humeur du vent, et l’ombre des tours, de l’agressivité du soleil. Elles ont conservé la plupart de leurs créneaux et ne se dressent pas très haut (vu de l’intérieur) ce qui leur enlève le caractère oppressant qu’ont parfois les hautes murailles de certaines constructions de plaine. Une poterne permet de donner un coup d’œil extérieur à ces mêmes courtines et là, le point de vue est tout à fait différent et terriblement impressionnant : côté Nord, les murailles ont été construites en prolongement de la falaise et l’on comprend très vite pourquoi il n’y avait guère besoin, de ce côté-là, d’un système de défense très élaboré.

chateau-puylaurens5.jpg Puylaurens, même en saison touristique, reste un endroit relativement peu fréquenté. Le château est moins connu que celui de Peyrepertuse ou celui de Quéribus, et, pour une raison mystérieuse, attire moins les visiteurs. En vous y rendant tôt, en début de matinée, ou bien hors saison estivale, vous pouvez espérer vous « approprier » le site, et vous laisser aller à la rêverie dans un calme reposant. C’est ce qui nous est arrivé, chaque fois, lors des trois visites que nous avons pu faire. Lorsque vous aurez bien pris votre temps dans la cour principale et observé les vestiges de quelques bâtiments et d’une citerne, il ne vous restera plus qu’à pénétrer tranquillement dans la partie principale du château qui a été construite sur la crête du rocher et domine la basse-cour. Au centre se dresse un puissant donjon rectangulaire. Il s’agit de la partie la plus ancienne du bâtiment, datant sans doute du début du XIIème siècle. Dans la tour à bossage qui domine l’entrée se trouve une magnifique salle voutée sur croisée d’ogives. Je vous laisse le plaisir de découvrir les autres secrets de cette construction.

L’histoire de Puylaurens est mal connue. Le premier châtelain identifié clairement se nomme Pierre Catala. Son nom figure dans un acte rédigé en 1217. Il semble qu’à cette époque, le château dépende de celui de Peyrepertuse. En 1245-46, plusieurs Parfaits et Parfaites y séjournent, ainsi probablement qu’un diacre cathare (deux années de présence de réfugiés, c’est peu, dans l’histoire, pour parler de « château cathare » !). En 1250, Puylaurens est déjà passé sous contrôle royal, apparemment sans qu’il y ait eu de combat. En 1255, Saint Louis ordonne de renforcer les fortifications du château et d’y installer une garnison comportant 25 sergents d’armes et un chapelain. Jusqu’au traité des Pyrénées signé en 1659 (qui déplacera définitivement la frontière entre France et Espagne), Puylaurens va jouer son rôle de gardien frontalier et subira à plusieurs reprises des attaques espagnoles. Il semble qu’un seul de ces assauts ait été couronné de succès, en 1636, mais on ne possède pas plus d’informations sur ce fait d’armes.

chateau-puylaurens6.jpg L’attirance éprouvée par certains de nos contemporains pour les hérésies religieuses est assez surprenante. Ce phénomène ne touche pas que les Cathares mais aussi les Camisards dans les Cévennes. Les offices du tourisme jouent à fond sur cette « corde sensible » : tout devient « cathare » ou « camisard », de l’hôtel du coin à l’agence immobilière en passant par le centre équestre. C’est sans doute le facteur « minorité persécutée » qui joue en faveur de ces fanatiques religieux. Comme le dit Cioran dans l’un de ses ouvrages : « Si une hérésie chrétienne, n’importe laquelle, l’avait emporté, elle ne se serait pas perdue dans les nuances. Plus téméraire que l’église, elle aurait été aussi plus intolérante, car plus convaincue. Le doute n’est pas permis : victorieux, les Cathares eussent surpassé les Inquisiteurs. Ayons pour toute victime, si noble soit-elle, une pitié sans illusions. »

NDLR : les photos accompagnant cette chronique sont des photos maison. Nous en possédons bien d’autres concernant toute cette série de châteaux. Si l’un de ces clichés vous intéresse en plus haute définition, vous pouvez nous contacter. Adresse email : paul.chion@charbinat.com

5 Comments so far...

Clopopine Trouillefou Says:

26 mars 2008 at 16:26.

ça donne rudement envie… Je crois que la fascination vient aussi du côté « secret » des rites, lui-même issu de la persécution -un peu comme l’alchimie, ou les réunions de sociétés secrètes (dans « les cigares du Pharaon », la réunion des adeptes en costumes bleu lavande, genre pénitents espagnols, vaut ainsi son jus de citron et témoigne de la fascination, non ?)

Perso, je n’ai encore jamais vu de site cathare (mais je ne désespère pas), à part une visite dans le site surpeuplé de Minerve… Où je ne suis pas restée longtemps, plus attirée par la coopérative libertaire de CRAVIROLA, qui, je crois, aurait tout pour vous plaire, à vous, Charbinois, Charbinoise et associés. Un site existe, et cet été, nous y avons passé trois jours assez intenses, il faut le reconnaître.

Pour le film « paradis en herbe », je m’en occupe, promis. Il vous faudra juste me communiquer une adresse pour l’envoi. Nous ferons ça genre cathare, ou réunion secrète du Club des Cinq : je mangerai le mail après l’avoir reçu, juré … :>))

Clopine Trouillefou

Paul Says:

27 mars 2008 at 08:56.

Alors là, pour le coup, merci ! Je ne connaissais pas du tout le projet Cravirola. Je viens d’aller mettre mon nez dedans et je trouve tout ça vraiment passionnant. Effectivement je crois qu’il y aurait des affinités sérieuses avec les idées des charbinois et des charbinoises même si nous ne sommes qu’une toute petite communauté de deux personnes !!!
Pour le film, je pense que Pascaline te contactera directement.

Pascaline Says:

27 mars 2008 at 09:32.

You-ouououououou !!! Clopiiiiiiiiiiiiiiiiiine !

Je vous renvoie à ma réponse du 21 mars sur le texte du 15 mars, le sorcier de Salette, et aussi à mon courriel du 20 mars, envoyé pour ne pas surcharger le blog avec des textes qui dépassent les 4 pages…!!!, et que je vous reposte à l’instant.

Vous suivez ;-))) ?

Un conseil gastronomique : rédigez le mail sur un chewing-gum pour éviter le goût de papier mâché. Un conseil pratique : ne pas oublier de coller un timbre, de préférence sans valeur faciale, en haut à droite de votre écran.

Et pendant que je te/vous cause, merci de tes participations ici, toujours fort appréciées. Bon sang, faut que je retourne sur ton blog connaître la suite de la palpitante histoire que tu nous donnes en épisodes…!!!

gandon marie-joelle Says:

6 mai 2012 at 11:27.

Boinjour,

Je suis vivement interessée par tous vos ecrits!

Je viens de créer une « petit » maison d’édition en Auvergne à thématique: rando/voyage.
Pouvez vous me donner un mail pour echanbger plus facilement?
Cordialement.
MJG.

Paul Says:

6 mai 2012 at 11:35.

@ Marie-Joelle – Je pense effectivement que nous pouvons continuer nos échanges en privé. Je vous écris donc parallèlement à ce commentaire.

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