19 septembre 2010

Intermède hongrois

Posté par Paul dans la catégorie : Carnets de voyage .

Au centre, il y a le Danube… Le fleuve roule une quantité d’eau impressionnante et, pour un fleuve européen, il est d’une largeur tout à fait respectable. Quant au bleu légendaire de son eau, je pense qu’il faudra quelque peu modifier les couleurs sur les clichés que nous avons pris. « Beau Danube brun » serait sans doute plus proche de la réalité. Au Nord du fleuve, il y a les collines de Buda, couronnées d’édifices tous plus massifs les uns que les autres, à l’exception d’une fort jolie cathédrale qui s’élance vers le ciel. Au Sud du fleuve, il y a la vaste étendue de Pest… Le centre ville a une taille raisonnable, mais la banlieue, très répétitive dans sa structure, paraît couvrir une surface infinie. J’en parle en connaissance de cause : notre arrivée dans la ville a été du genre galère. Les précieuses indications fournies par « Via Michelin » pour trouver le logement de notre hôtesse se sont révélées d’une insuffisance hors du commun. Je ne m’étendrai pas sur la banlieue : elle s’en charge toute seule ! Des rues bordées de pavillons décrépis succèdent à des rues bordées de gigantesques barres d’immeuble. Comme en beaucoup d’autres endroits, le contraste entre la « barbarie » périphérique et la « civilisation » des beaux quartiers est particulièrement frappant.

Nous sommes au milieu du vieux pont Lanchid (pont aux chaînes), le plus ancien à relier Buda et Pest. Un bateau de croisière descend le Danube. Je parie : sur le pont ce sont des touristes japonais. Je gagne. Pourquoi ? Ils ont tous le bras droit tendu vers le haut, un appareil photo dans la main… Clic, clac, l’affaire est dans le sac : un parlement d’un côté (édifice colossal qui n’aurait pas déplu à notre bon vieux Napoléon), un château de l’autre, non moins colossal que son voisin d’en face. Le château, nous avons renoncé à le visiter, comme nous avons renoncé à prendre le funiculaire qui y monte. La queue de touristes au guichet découragerait même un pingouin fraichement décongelé. Nous on est des marcheurs, des vrais et on préfère grimper par le chemin qui serpente dans un jardin public. Bon, il faut dire aussi, pour être honnêtes, que le trajet pour venir de la lointaine banlieue où nous logeons, nous l’avons fait en métro, ce qui fait que nos semelles sont encore à peu près intactes à mi-journée. Le château, on est quand même obligés d’en faire le tour car un autre groupe de pingouins, officiels ceux-là (on le sait parce qu’ils se déplacent en limousine avec une cinquantaine de péquins à tronches de joueurs de foot et armés jusqu’aux dents), bloque l’esplanade centrale au sommet de la colline. C’est dingue, il paraît que tous ces pays sont des démocraties, mais il y a toujours des gus qui s’arrogent le droit d’emmerder tout le monde parce qu’ils ont été élus par une minorité de péquins inconscients et alcoolisés à outrance. De toute façon, on n’ira pas les chatouiller : la gueule de leurs cerbères découragerait un chien d’aboyer.

Retour à la scène touristique. La vue sur Pest et sur le Danube est plaisante. Par certains côtés, on se croirait sur la colline de Fourvière à Lyon, en train d’observer les quais de Saône, sauf que… ce n’est pas Lyon et ce n’est pas la Saône. Ce qui est sympa c’est que plusieurs édifices modernes ont été construits sur cette colline à côté des grands ancêtres et qu’ils s’intègrent fort bien au paysage. Le vieux et le neuf se côtoient avec harmonie. Impossible de dater le bout de muraille qui se dresse au pied de la cathédrale. On peut, par contre, dater avec certitude, les hordes de touristes qui squattent les tables des restaurants et les couloirs des boutiques d’artisanat. Dans l’un de ces cafés, la musique est très belle. Je suis fasciné, en particulier, par le musicien qui joue du cymbalum, sorte de piano sans clavier : le musicien actionne les marteaux directement et frappe les cordes. Une famille de Tziganes charme les oreilles des consommateurs : violon, violoncelle, cymbalum… Ils sont cinq et sont aussi efficaces qu’un orchestre de chambre. Les airs sont connus ; ce sont de grosses sucreries bien dégoulinantes ; j’adore. Quand le chef de famille se précipite sur nous, je ne peux résister et me fend d’un billet pour acheter le CD. J’ai bien fait : on l’écoute ensuite pendant tout le voyage en Hongrie, puis en Roumanie par la suite, pour ne plus entendre les hurlements de nos dos, maltraités par les cahots des routes secondaires. Fin d’épisode musical ; on descend de la colline sans cheval pour se jeter sur le premier tram de passage. Avec le flair qui me caractérise (encore) à cette heure-là, c’est le bon  : il passe juste devant les bains que j’aimerais visiter. Un petit renseignement en anglais massif demandé au groom de l’hôtel et nous voilà dans le couloir de l’établissement qui abrite l’un des bains les plus célèbres de Budapest, ceux de l’hôtel Gellert. Rassurez-vous, je n’irai pas jusqu’à me mouiller. Le prétexte est tout trouvé : je n’ai pas de maillot et je ne souhaite pas en acheter un à la boutique qui pourvoit à ce genre de besoins. On se contente d’admirer et de photographier. Clic, clac, l’affaire est dans le sac : de vrais Japonais pur sang.

Une heure plus tard, autre décor : le marché central nous accueille. Nous ne l’avions pas prévu dans notre trousse de découvertes garnie le matin même. Nous nous y rendons grâce au hasard de nos divagations et aussi à une conversation impromptue, en italien, avec deux touristes sud-américaines qui cherchaient à s’y rendre. Eh oui je suis très poly et un peu glotte aussi (enfin modérément, pas toutes les glottes). C’est le rêve ce marché central : de grandes halles remplies de petites boutiques proposant les aliments les plus colorés possibles. Jamais je n’aurais cru qu’il soit possible de présenter le paprika d’autant de façons différentes. C’est hallucinant ! En plus, quand on met quelques concombres, quelques tomates et de grands bacs d’épices au milieu de tous ces poivrons, c’est féérique pour un gastronome en culottes courtes. Notre flash crépite tous azimuths sauf qu’on n’a pas besoin de tendre le bras vers le haut parce que les éventaires sont à notre hauteur. Si on avait acheté tous les lots de paprika qu’on nous a proposés, on serait sans doute repartis avec un semi remorque poivronné plutôt qu’avec notre bon vieux kangoo des familles. Les yeux aveuglés de couleurs, l’estomac bien rempli par une bière du cru, il ne reste plus qu’à reprendre le métro et à descendre à la bonne station pour retrouver notre voiture. Mais ceci est une histoire que je raconterai un autre hiver, à la veillée, autour d’un feu de bois… Pour l’instant la blessure à mon amour propre est encore trop vive et chaque fois que je repense à cette douloureuse quête du véhicule perdu, les crampes me lancent à nouveau dans le mollet. En tout cas, notre hôtesse, Eniko, est une personne charmante et le repas que nous prenons en commun dans un restau magnifique le soir, apaise quelque peu mes douleurs.

La campagne autour de Budapest est laide. Enfin elle est plate, pas le moindre relief, et couverte, pendant des kilomètres, de centres commerciaux et de bretelles d’autoroute. Pas de problème, la musique tzigane nous fait oublier tout ça. Cent kilomètres plus tard, nous sommes au pied d’un rocher au sommet duquel se dresse le château de Sirok – si je ne suis pas frappé d’amnésie je vous raconterai cette visite un hiver prochain, les pieds au chaud devant la cheminée. Ce dont je me souviens, c’est que le soir nous avons dormi à Eger, en plein cœur d’un vignoble renommé, après avoir dégusté 3 ? 4 ? 5 ? 6 ? vins du cru avec une caviste enthousiaste qui participait avec conviction à tous nos tests. Nous avons acheté quelques bouteilles à des prix qui feraient s’évanouir les vignerons français, mais il a fallu à la patronne des lieux autant de temps pour les emballer que pour effectuer la vinification complète du raisin. Quand on quitte Eger, on retrouve la grande autoroute vers l’Est. On retrouve aussi la vaste plaine marécageuse qui va nous accompagner pendant une ou deux centaines de kilomètres. Les ornithologues seraient sans doute ravis de visiter ce coin-là car il abrite une immense réserve naturelle peuplée de dizaines d’espèces d’oiseaux. Nos regards se perdent, sans montagnes pour s’accrocher. Nous n’avons plus qu’un objectif : franchir la frontière roumaine et poser nos pieds sur des sentiers escarpés. La famille Baluchon n’est pas loin d’atteindre son objectif initial…

3 Comments so far...

lavande Says:

22 septembre 2010 at 09:00.

Ça nous rappelle de vieux souvenirs d’un voyage en bateau (mais non il n’y a pas que des touristes japonais sur les bateaux!) de Vienne, où nous avions laissé notre tente et notre voiture au camping, à Budapest où nous avions couché à l’hôtel quelques jours, faute de couch surfing à l’époque. Je dois dire prosaïquement que un de mes souvenirs « marquants » est, comme tu le dis, que le beau Danube n’est vraiment pas bleu!
Un bouquin très intéressant à lire : »Danube » un essai de l’écrivain italien Claudio Magris.
je cite Wiki:
« En suivant le cours du Danube depuis sa source disputée au cœur de la Forêt-Noire jusqu’à son delta à la rencontre de la mer Noire, Magris mêle récit de son propre voyage (de part et d’autre du rideau de fer), réflexions sur l’identité des régions traversées et de leurs peuples, sur la Mitteleuropa, anecdotes historiques, et innombrables références culturelles et particulièrement littéraires, de Goethe à Cioran en passant par Kafka, Joseph Roth, Lukács, Canetti, Mircea Eliade… »
Intéressant aussi cet article:
http://www.nouvelle-europe.eu/cultures/cultures-europeennes/au-long-du-danube-avec-claudio-magris.html
On attend la suite des aventures!

Floréal Says:

22 septembre 2010 at 14:09.

On s’y croirait! Merci de nous faire voyager.

Floréal Says:

22 septembre 2010 at 14:11.

On s’y croirait! Merci de nous faire voyager (ce qui ne m’arrive plus très souvent).

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