10 avril 2008

L’arbre de Judas et son oreille

Posté par Paul dans la catégorie : voyages sur la terre des arbres .

baiserdejudas.jpg Quelle triste idée ce bon vieux Judas a-t-il eu de se pendre à un sureau pour expier la faute qu’il avait commise ? Un tel acte ne pouvait que jeter le discrédit sur cet arbuste sympathique. Si l’apôtre s’était abstenu de s’en servir comme potence, « l’arbre de Judas » aurait eu certainement meilleure réputation dans la tradition populaire… J’espère en tout cas que le traître avait choisi soigneusement son arbre, car, foi de campagnard, on ne peut pas dire que le bois du sureau soit particulièrement résistant ! C’est à se demander si l’on peut croire à la lettre tout ce qui est écrit dans les évangiles ! En tout cas, et sans doute à cause de cet événement religieux, le sureau, « sambucus nigra » en latin, a bien souvent été associé à la mort, notamment dans les légendes irlandaises. La malédiction qui pesait sur son dos n’empêchait pas les paysans d’en laisser pousser à proximité de leur demeure afin d’avoir sous la main feuilles, écorce et bois, tant leurs usages étaient nombreux et fréquents.

floresureau.jpg Le sureau est en premier lieu un véritable laboratoire pharmaceutique à portée de la main. L’écorce interne des rameaux (la mince pellicule verte se trouvant sous l’écorce ligneuse) a des propriétés diurétiques et elle était couramment utilisée autrefois pour soigner les affections des reins et l’hydropisie. Elle a aussi des propriétés purgatives, voire même vomitives tellement son goût est désagréable en infusion. Les feuilles fraîches ont les mêmes propriétés que l’écorce mais dans la médecine traditionnelle on les utilise également pour calmer certaines douleurs. Les fleurs séchées, utilisées en infusion, ont une action sudorifique importante et peuvent donc être utilisées pour soigner des grippes, des bronchites, des angines, toutes affections pour lesquelles une forte transpiration a des effets bénéfiques sur l’évolution de la maladie. Les fruits cumulent les effets des autres parties de la plante et ont en plus une action analgésique, notamment dans le cas des douleurs rhumatismales… Il faut cependant faire attention, lorsque l’on consomme du sirop, du jus, ou même de la confiture réalisée avec ces petites baies noires, à l’effet purgatif à haute dose ! Quand je vous disais que le sureau était une véritable pharmacopée largement utilisée dans les campagnes.

baiesureau.jpg Le sureau, comme l’ortie, est en quelque sorte un plante « compagne » de l’homme. Il pousse facilement à proximité des habitations, dans les ruines, au fond des vallées ou au bord des rivières car il a une préférence pour les terres profondes, plutôt humides et riches en azote. Dans les lieux où il se plaît, il peut même devenir facilement envahissant et de nos jours il est considéré comme trop commun pour que sa plantation soit recommandée par les pépiniéristes. Autrefois, la présence de sureau dans les talus à proximité des fermes était considéré comme un atout. Dans « le cheval d’orgueil », Pierre Jakez Hélias consacre tout un paragraphe à son sujet : « … Le sureau est l’une de nos providences. Cet arbrisseau n’est pas trop rare dans le pays. Il faut seulement savoir où le trouver. Se garder aussi d’aller en couper sur un talus qui serait dans le territoire reconnu d’un autre quartier, ou alors c’est la guerre. Personne , hormis votre famille ou vos complices, ne vous dira jamais où il y a du sureau. Surtout pas tonton Piron, le couvreur de chaume, qui se purge avec ses feuilles deux fois l’an. Ni Marie-Jeanne Bourdon qui se sert de ses fruits pour teindre en violet la laine qu’elle a filée. Car il y a sureau et sureau … »

flutesureau.jpg Ainsi que l’indique cette brève citation, les usages du sureau ne se situent pas que dans le domaine de la médecine. Les fruits servent à préparer de la confiture (cette préparation se fait plutôt dans les pays nordiques ou, au contraire, en Espagne – en France, la recette est peu répandue). Le jus, beaucoup plus colorant que celui des mûres (c’est tout dire !), permet de teindre la laine ou les étoffes. Le bois des sujets anciens était recherché autrefois par les tourneurs et les tabletiers, mais il doit sécher longtemps car il subit un fort retrait et a tendance à « tourner » un peu dans tous les sens lorsqu’il est trop « vert ». Il est facile d’enlever la moëlle au cœur des rameaux bien droits, et grâce à cela, on peut fabriquer des sarbacanes, des flûtes ou des sifflets. L’ancêtre de la flûte traditionnelle irlandaise était creusé dans une branche de sureau ce qui explique qu’elle était largement répandue dans les campagnes, son coût de fabrication étant nul. Les bergers habituaient aussi leurs chiens à obéir aux différents sons du sifflet de sureau.

Associé à la mort de Judas, le sureau, comme je vous le disais plus haut, est donc chargé d’un lourd handicap de départ au niveau des traditions populaires. Ses vertus médicinales ont quelque peu contrarié cette image et du coup, la symbolique de l’arbuste est complexe. Il est à la fois maudit, en tant qu’allié du sorcier, et béni, a contrario, parce qu’il possède un pouvoir de protection. Dans le centre de la France ou en Bretagne, une vache frappée par une branche de sureau ne donne plus de lait puis meurt de maladie dans l’année. Au Danemark, il protège les maisons et en Suède les femmes enceintes. En Sicile, il éloigne les serpents, mais rentrer son bois dans la maison porte malheur… Dormir à l’ombre du sureau est une très mauvaise idée si l’on en croit certains auteurs, mais il protège pourtant de la foudre. Dans la mythologie nordique, il est associé à Thunar le dieu du tonnerre (un rapport ?). Pour éviter tous ses effets maléfiques, la solution est peut-être bien simple : cueillir les parties que l’on veut utiliser le jour de la Saint-Jean, en pleine lumière… C’est moins coûteux que de faire appel à un exorciste. Voilà en tout cas un arbuste dont la sève aura fait couler de l’encre et la littérature à son sujet est abondante. La superposition des mythes chrétiens et des traditions païennes donne parfois des cocktails assez détonants…

oreilledejudas.jpg Mais alors, allez-vous me dire, on ne parle pas d’oreille dans tout ça ! Un peu de patience que diable ! Il faut laisser parfois traîner l’oreille lorsque l’on veut être au courant de tous les secrets d’alcôve ! L’oreille de Judas est un champignon qui pousse bien souvent sur le bois mort du sureau (d’où son nom…). Il est comestible aussi bien cru que cuit et peut se ramasser en toute saison, mais il est meilleur en hiver et au printemps. Si vous êtes des adeptes de la cuisine asiatique, sans doute consommez-vous fréquemment des oreilles de Judas dans les plats que vous dégustez. Il est largement utilisé dans les recettes vietnamiennes ou chinoises sous le nom de « champignon noir ». Personnellement, je ne le trouve pas très « gastronomique » : je lui préfère nettement la trompette de mort, le mousseron ou la morille, mais son goût n’est pas désagréable lorsqu’on le mélange avec d’autres ingrédients.

En tout cas, méfiez-vous lorsque vous aurez des secrets à confier… Ne le faites jamais au pied d’un sureau car il n’y a pas que les murs qui ont des oreilles et Dieu sait ce que Judas pourrait aller raconter à votre sujet un peu partout dans le pays. Déjà que votre réputation n’est pas bien fameuse surtout depuis que l’on sait que vous lisez les billets incongrus de ce blog !

2 Comments so far...

fred Says:

10 avril 2008 at 09:07.

J’ai du mal à évaluer la taille réelle des « oreilles de Judas » sur la photo, mais je trouve qu’elles feraient de très jolis « BoB/bonnet/casquette ». Ce mauve violacé est du plus bel effet !
(c’était ma remarque Gay Friendly du jour !)

sylvaine vaucher Says:

10 avril 2008 at 09:27.

En Suisse on est très friand de sureau…quelques liens
Sureau Biotta http://www.biotta.ch/fr/products/juices/articles/fruit_juices/elderberry.php

Les baies de sureau sont riches en vitamines et oligo-éléments naturels.

La pollution de l’air agresse de plus en plus nos poumons. Le sureau est un simple utilisé dans la médecine populaire pour soigner les voies respiratoires.

Le jus est issu de baies de sureau bio mûries au soleil, fraîchement récoltées est pressées. L’action du Jus de sureau Biotta est renforcée par un extrait de tisane de fleurs de sureau.

Et cela n’arrête pas. Le suisse à besoin d’énergie surtout quand il s’agit de se prononcer sur sa participation à la cérémonie des Menottes Chinoises….sans se sentir trop « traitre » !
http://www.altaterra.ch/contento/default.aspx?tabid=118

http://www.terroir-jurabernois.ch/modules/catalog/detail.asp?ID=2338

Bon je m’arrête là…

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