26 mai 2008

Le joueur de pipeau au sommet du derrick…

Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive l'économie toute puissante .

Dans le concert d’articles actuellement publiés sur la nouvelle « crise » pétrolière, quelques voix font entendre un discours légèrement dissonant mais reposant néanmoins sur une argumentation très intéressante. Il est quelque peu troublant, en effet, de voir tous ces experts financiers découvrir, un beau matin du mois de mai 2008, que les ressources de la planète en énergie fossile sont en train de s’épuiser, et que face à une explosion (soudaine ?) de la demande, l’offre se raréfiant, les cours de l’or noir vont suivre une courbe ascendante de plus en plus vertigineuse. Je comprends que l’on exprime certains doutes lorsque les golden boys de la finance se découvrent, du jour au lendemain, une conscience écologique, et que l’on éprouve le besoin de rentrer un peu dans l’étude détaillée des arguments avancés par ces nouveaux messies de la pénurie. L’une des thèses divergentes les plus intéressantes que j’ai eu l’occasion de lire est celle de F. William Engdahl, publiée récemment sur plusieurs sites d’infos et notamment dans le très sérieux AsiaTimesOnline. Je vais essayer de vous résumer une partie de sa théorie. L’auteur a rédigé également un livre intitulé « Pétrole, une guerre d’un siècle : L’ordre mondial anglo-américain ». Il collabore au site internet canadien de recherche sur la mondialisation : http://www.mondialisation.ca/index.php

La hausse vertigineuse du prix du baril de pétrole est un bel exemple (un de plus !) de manipulation de l’opinion publique mondiale par les experts de la communication au service des grands groupes financiers. Avec un baril de pétrole à 130 dollars environ, F. William Engdahl estime que 60% du prix proviendrait de la spéculation non régulée sur les marchés à terme. L’ampleur de la crise actuelle semble liée à une extrapolation habilement bâtie à partir de faits, certes réels, mais qui n’ont rien d’imprévu. Effectivement les besoins des pays émergeants, telle l’Inde ou la Chine, sont croissants, mais l’offre suffit pour l’instant largement à couvrir les besoins du marché, d’autant que la demande US marque une pause sérieuse, liée à la récession. Si un ralentissement de production est à prévoir (car il est inscrit dans l’ordre naturel des choses), il n’est pas dans l’actualité immédiate. Une première hausse raisonnable du prix du baril de brut a permis de rentabiliser l’exploitation de champs pétrolifères de moindre rendement et de nouveaux gisements sont sur le point d’être mis en service. Rien ne justifie l’augmentation de 200% que nous venons de connaître en un an, et de nombreuses sources économiques se recoupent pour confirmer cette évidence.

En reprenant les thèses de F. William Engdahl, mon but n’est pas de démontrer que le pétrole est une ressource d’avenir, et je n’ignore pas les conséquences humaines et écologiques de la mise en service de nouvelles plateformes d’exploitation. Je veux simplement vous démontrer que la hausse actuelle des cours n’est qu’une bulle spéculative et que, grâce à une masse d’informations tout aussi soudainement que largement développées dans la presse économique, certains acteurs financiers sont en train de se remplir copieusement les poches. Compte-tenu des établissements impliqués dans le déroulement de ce processus spéculatif, on pourrait même se demander si plusieurs banques n’essaient pas de récupérer, en faisant monter artificiellement les cours du baril de brut, une partie des fonds colossaux qu’elles ont perdus dans la précédente bulle, immobilière celle-ci, avec tout son cortège de crédits à hauts risques. Le consommateur qui s’est fait plumer dans sa salle à manger, se ferait à nouveau dévaliser en passant à la pompe à essence. Les gouvernements, qui, dans un premier temps, ont tout à gagner de la hausse du prix du carburant, grâce à l’augmentation proportionnelle des rentrées sous forme d’imposition indirecte, seraient complices, plus ou moins volontaires de cette manipulation…

Faire pression sur le budget de consommateurs qui n’ont pas toujours le choix entre voiture et vélo, tout en rendant responsables la Chine (ce pays de sauvages, justes bons à opprimer les moines tibétains), ou les pays arabes qui refusent de tourner d’un cran la vanne d’approvisionnement… Le responsable de com de chez Goldman Sachs ou de chez J.P. Morgan qui a pondu cette idée, doit rigoler comme un bossu. En réalité, ils sont nombreux à se marrer car les processus spéculatifs se construisent plutôt grâce à un phénomène d’émulation psychologique accompagné d’une solide intox. Nombreux sont les conteurs de bobards qui finissent eux-mêmes par croire à ce qu’ils racontent. Les plus malins remettent les pieds sur terre au bon moment, et dégagent alors des profits énormes, ayant quitté le navire quand il était temps. D’autres continuent, selon F. William Engdahl (et je partage, au moins partiellement, son opinion) à écouter la musique du « joueur de pipeau », envoûtant la foule « du haut de son derrick »…

Le prix du pétrole est actuellement déterminé, à huis clos, dans des salles de marché appartenant à des institutions financières énormes, telles les sociétés Goldman Sachs, Morgan Stanley, City group ou UBS, pour ne citer que les plus connues d’entre elles. Le cours du baril se détermine dans des « sanctuaires » tels le NYMEX (New York Mercantile Exchange) ou le « London ICE Futures Exchanges ». Ce second marché est étroitement lié, par exemple, à Goldman Sachs. Cette spéculation échappe à toute réglementation et les contrats américains à terme sur le pétrole, ne sont plus soumis à la régulation de la commission américaine qui surveille les échanges de matière première. Cet état de fait résulte d’un « petit cadeau » fait en 2006 par Georges Bush aux lobbies pétroliers et financiers. Cette absence de contrôle permet aux responsables de la compagnie financière Goldman Sachs, d’annoncer, sans aucun élément de preuve pour soutenir cette information, que le prix du baril pourrait bien grimper à 200 dollars dans un délai de six à vingt-quatre mois. La « notoriété de la source » fait que, dans les heures qui suivent, les cours s’envolent de près de 10 %. Rappelez-vous que les mêmes manœuvres avaient lieu en l’an 2000 au sujet de la société Enron, et des multiples entreprises gravitant autour de l’Internet… Avec les résultats que l’on connaît depuis.

Dans une chronique « pétrolière » précédente, j’ai déjà évoqué, de façon un peu humoristique, la question du « pic de production ». Cette notion est extrêmement difficile à cerner, et il est quasi impossible d’affirmer à quel moment se situera ce pic, tellement les informations données par les différents opérateurs (Etats, multinationales du secteur, soi-disant experts) sont soumises à des manipulations et à des effets d’intox. Ce que l’on sait c’est que de nouveaux champs pétrolifères vont entrer en production dans les années à venir, au Brésil, en Arabie Saoudite, notamment. L’Irak disposerait de réserves considérables, et les compagnies pétrolières garderaient sous le coude certains gisements en Alaska et à la frontière Nord, USA-Canada (Montana / Saskatchewan), estimant que l’offre serait pour l’instant suffisante : une augmentation trop brutale de la production aurait un effet très négatif sur les transactions. En réalité, un baril de pétrole en-dessus de 60 dollars (et non à 200), permettrait de rentabiliser de nombreux gisements, moins productifs ou plus difficiles d’accès. On voit donc que la date du fameux « pic de production » est étroitement liée au prix de vente de l’or noir que l’on produit.

Cet exemple du pétrole nous montre bien les perspectives offertes par la dérèglementation des échanges économiques : une misère de plus en plus grande pour les couches populaires des Pays en Voie de Développement, un appauvrissement des mêmes catégories sociales dans les pays dits développés, et un enrichissement sans limite pour une poignée de spéculateurs sans scrupules. Je ne crois pas que ce soit ce à quoi ont rêvé les fondateurs de la première Internationale qui rêvaient, eux, de mondialisation des luttes et non de mondialisation de l’exploitation. Presque un siècle et demi plus tard, ce n’est pas l’internationale ouvrière mais l’internationale du capitalisme qui est en train de se réaliser, au détriment du plus grand nombre.

2 Comments so far...

fred Says:

26 mai 2008 at 13:35.

Du coup j’en profite pour lancer un vibrant « VIVE LE NUCLEAIRE ! »
Je sais que ça ne tombera pas dans les oreilles d’un sourd …

François Says:

27 mai 2008 at 20:06.

Je suis malheureusement tout à fait d’accord avec cette analyse. Cela fait un bon moment que le prix du pétrole varie en fonction du moindre petit incident national ou international, sans compter, comme tu le mentionnes les prophéties qui se réalisent toutes seules (« self-fulfilling prophecies », comme on dit en Anglosaxonnie).

Une fois de plus, nous nous retrouvons dans le rôle des pauvres pigeons à plumer. Encore heureux, notre immeuble est alimenté par de l’eau chaude provenant de l’incinération des déchets, c’est toujours ça de pris!

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