2 juin 2008

L’école, un bouc émissaire facile…

Posté par Paul dans la catégorie : Sur l'école .

Le capitalisme, dans nos pays occidentaux, patauge dans une nouvelle crise, dont l’une des dimensions est certes financière, et c’est peut-être la plus évidente. Mais il ne faut pas oublier un autre aspect important, c’est la dimension idéologique de cette crise. Depuis la chute du mur de Berlin, considérée comme un événement clé de l’histoire politique de la fin du XXème siècle, on a tendance à n’évoquer que la « perte des repères traditionnels » de la Gauche ; on insiste sur les difficultés qu’ont les partis représentant ce courant de l’opinion à se positionner à nouveau sur l’échiquier politique, faute de « modèle opérationnel » (personnellement, je n’ai jamais considéré l’URSS ou la Chine comme des modèles, mais bon)… Le capitalisme s’affirme de jour en jour comme la valeur « unique », « triomphante », l’évolution « logique » de notre société, malgré quelques petits accidents de parcours… Bien entendu, on ne parle plus de « capitalisme », terme jugé désuet puisque l’idéologie communiste serait morte ou mourante. On a remplacé ce terme par d’autres, jugés plus seyants : « libéralisme », « mondialisation »… La récupération de cette dernière « étiquette » par les barons de la phynance est d’ailleurs un coup de maître sur le plan idéologique, la notion d’internationalisation ayant quand même fait partie à l’origine des valeurs fondamentales du mouvement ouvrier en lutte.

Pourtant, le capitalisme lui-même n’est pas exempt de problèmes idéologiques. L’un des mythes qu’il a propagés et qui a été le fer de lance de sa propagande pendant des décennies, celui du « self made man », de la réussite individuelle liée à un fort investissement personnel dans les études et le travail, est en train de s’effondrer. Pendant des années, on a réussi à faire croire aux classes populaires et moyennes que leur évolution dans la société était possible, que « quelqu’un qui voulait…. pouvait » s’élever en-dessus d’une condition modeste. Le système fonctionnait pour quelques-uns et alimentait la propagande : le fils d’ouvrier devenu ministre, le petit épicier devenu propriétaire d’une chaîne d’hypermarchés – ça c’était le côté « paillettes » – plus simplement, l’employé de bureau ayant économisé toute sa vie, achetant un petit pavillon en banlieue et payant « les écoles » à ses enfants. Ça n’a pas marché pour tous, bien sûr, car il faut bien qu’une pyramide reste une pyramide, mais ça a marché suffisamment bien pour être crédible. L’école, instrument des pouvoirs en place, jouait parfaitement son rôle, une mécanique bien huilée, triant « le bon grain de l’ivraie » et rejetant « en douceur » les éléments dont elle ne voulait plus. La réussite personnelle était parfois même possible lorsqu’on était mis à l’écart du temple des savoirs. « Vous vous rendez compte, il n’avait que le certificat d’études, et il est maintenant chef d’atelier à la Régie Renault ».

Les enseignants, notamment ceux du premier degré, issus bien souvent des classes populaires, s’impliquaient consciencieusement dans ce processus, ayant même parfois l’impression illusoire qu’ils en étaient le moteur, alors qu’ils n’en étaient que l’instrument. L’école allait dans le même sens que la société. La progression économique et technologique rapide de la période dite « des trente glorieuses », nécessitait une élévation générale du niveau des compétences de la population. C’était l’époque du « plein emploi » : tout le monde travaillait, parfois simplement à creuser des trous et à les reboucher, mais tout le monde travaillait. C’est à ce moment-là que le capitalisme a peut-être marqué le plus de points dans l’inconscient collectif. On s’apitoyait sur ces pauvres gens de l’Est qui, non contents d’être écrasés par une dictature impitoyable, devaient économiser et attendre pendant des années pour se payer une « Traban » alors que chez nous, les ouvriers roulaient au moins en 3cv ou en 4L.

Pour faire simple, la situation économique a évolué à partir des années 80 : au fur et à mesure que les entreprises grossissaient, les enjeux sont devenus « mondiaux ». La compétition économique ne se déroulait plus à l’intérieur de frontières bien définies, mais dans une « enceinte » beaucoup plus vaste. Sans aucune considération pour les conséquences écologiques, les marchandises se sont mises à faire le tour de la planète avant d’arriver sur les rayons des grandes surfaces. L’ouvrier de chez Peugeot pouvait bien revendiquer : ses exigences n’avaient plus aucune importance puisque, du jour au lendemain, il était devenu « kleenex ». La production des biens de consommation se délocalisait ; pour un travailleur français licencié, dix ouvriers indiens ou chinois pouvaient reprendre son activité, avec un salaire cent fois inférieur. Le chômage a cru massivement. Pour limiter ses effets dévastateurs (croissance trop rapide du nombre officiel de « sans emploi »), le premier « remède » trouvé a été de prolonger la durée des études. Ce n’était qu’un emplâtre sur une jambe de bois. Juste après la guerre, on pouvait devenir instituteur avec simplement le brevet ; il a fallu ensuite le baccalauréat, puis une licence ; on parle actuellement de cinq années d’études après le bac pour devenir enseignant (niveau encore renforcé par une sélection toute aussi arbitraire que stupide).

L’un des mécanismes, certes illusoire, mais néanmoins fondamental dans le fonctionnement idéologique du capitalisme, l’ascenseur social, ne marche plus : il est en panne, à mon avis pour un bon paquet d’années. La société ne permet plus ce fonctionnement car ses exigences sont autres. Nous sommes rentrés dans une période de régression sociale, mais ce phénomène doit être, autant que faire se peut, masqué. Si le fils du plombier ne peut plus devenir ingénieur, si le mythe du « garagiste devenu capitaine d’industrie » ne fonctionne plus, il faut désigner un coupable à la vindicte du public, histoire d’amuser un peu la galerie. Ce bouc émissaire est tout trouvé : c’est l’école (au sens large bien sûr, de la maternelle à l’université).

Dans un premier temps, la propagande fonctionne à plein régime. On commence par larmoyer sur « l’école de papa » : allez faire un tour chez votre libraire en période de « cadeaux » ! Tout y passe, du bonheur de renifler l’odeur des encriers, au plaisir de copier les punitions avec une paire de stylos, sans oublier le charme des blouses grises et des leçons de morale. Le fait que ça marche est parfaitement compréhensible et psychologiquement facile à expliquer. La période des études a occupé une bonne partie du temps d’existence de chacun… C’est l’époque du « devenir », de l’espoir, un moment où les esprits sont fortement malléables. Rares sont les parents d’élèves, lorsqu’un enseignant les reçoit en entretien, qui n’évoquent pas leurs souvenirs, parfois même de façon « autocritique », mais presque toujours avec nostalgie. C’était le « bon vieux temps » et, dans un monde « où tout fout le camp », on aimerait bien le retrouver (pourtant personne n’envisage de revenir au baquet et à la cendre pour faire sa lessive, mais bon…).

Dans un second temps, on évoque « les réformes » successives qui ont cassé ce bel édifice. Ce qui est marrant d’ailleurs c’est que cette critique-là est adoptée aussi bien par les « conservateurs » qui dénoncent le changement que par les « progressistes » qui déplorent que les réformes effectuées n’aient pas été les bonnes. Deux responsables à tous ces maux : la recherche pédagogique (qui se ferait, selon nos idéologues, toujours au détriment des contenus) et, horreur suprême, le « vent de liberté » qui a soufflé après Mai 1968. Les vannes sont ouvertes et le « tout et n’importe quoi » peut se déverser. Les enfants ne savent plus lire à cause de la méthode globale (mise en œuvre dans 1% des classes et préconisée à l’origine pour les enfants qui avaient des difficultés à apprendre à lire de façon conventionnelle). Les enfants ne savent plus compter à cause, au choix, des maths modernes ou du fait qu’on ait abandonné l’apprentissage de la division à la maternelle. Le « collège unique » a démotivé les enfants en « cassant » ce bel esprit de compétition, moteur de tout progrès humain (paraît-il). Puisque tout le monde avait son bac, plus besoin de ne rien faire… Bref, une philosophie de comptoir de bistrot, pour résoudre des problèmes sans doute bien réels et certainement très sérieux, sur lesquels il faudrait s’étendre un peu plus longuement.

Face aux changements brutaux qui survenaient dans la société, l’école a fait preuve au contraire d’un immobilisme surprenant. Je garde toujours en tête ce texte du chercheur informaticien américain Seymour Papert (« l’enfant et la machine à connaître ») qui a déclaré un jour :

« Imaginons un groupe de voyageurs dans le temps qui nous arriverait du siècle dernier, composé de chirurgiens et d’enseignants, tous également désireux de voir combien leur profession a évolué, en cent ans ou plus. Imaginons la surprise des chirurgiens, s’ils se retrouvaient dans la salle d’opérations d’un hôpital moderne. Certes, ils se rendraient compte qu’on est en train d’opérer quelqu’un, et devineraient même, peut-être, l’organe concerné. Mais ils ne seraient certainement pas en mesure de comprendre ce que le chirurgien essaie d’accomplir, ou à quoi servent tous les étranges outils qu’il utilise avec son équipe. Les rituels de la stérilisation et de l’anesthésie, les bips-bips électroniques, les petites lumières clignotantes, autant d’éléments familiers pour un public de télévision, qui seraient, pour eux, totalement inédits.
Leurs collègues enseignants réagiraient bien différemment, en revanche, s’ils arrivaient dans la salle de classe d’une école primaire actuelle. Quelques objets bizarres les intrigueraient. Ils remarqueraient peut-être que certaines techniques ont changé – et se disputeraient entre eux, sans doute, pour savoir si ces changements ont amélioré ou dégradé la situation. Mais ils comprendraient tout à fait la plupart des buts recherchés et pourraient, le cas échéant, prendre très facilement la classe en mains… Pourquoi dans une période où l’activité humaine a connu de telles révolutions, n’y en a-t-il pas eu de semblables dans les méthodes d’enseignement ? »

Excusez-moi pour cette citation un peu longue, mais je ne voulais pas la tronquer afin de bien en conserver l’esprit. Elle me paraît extrêmement lucide…

Haro sur la pédagogie « active » ou « moderne »… L’heure est venue de « remettre » en place d’honneur morale bourgeoise, notation, compétition et sélection. Cette réforme-là ne sera pas difficile à faire car il n’y a pas tant de changements que ça à opérer. Pendant ma période « d’activité professionnelle », je me suis intéressé de très près à la pédagogie Freinet que j’ai essayé de mettre en pratique, plus ou moins bien, je l’avoue, mais « le cœur y était ». Le mouvement qui soutient ce « courant pédagogique » s’appelle I.C.E.M. (Institut Coopératif de l’Ecole Moderne) et sa revue « phare » se nomme « le Nouvel Educateur ». Lorsque j’étais abonné, ce « brûlot subversif » comptait un nombre de lecteurs évoluant entre deux et six ou sept mille selon les périodes. Vous savez combien il y a d’enseignants en France ? Certes ce mouvement n’est pas le seul à propager des idées de changement pédagogique : il y a aussi le GFEN par exemple, mais son influence n’est pas plus conséquente…

On va donc pouvoir tranquillement recommencer à étudier la « règle de trois » au CM, envoyer les « bons éléments » en sixième haut de gamme et proposer aux autres une formation en alternance, une semaine à l’ANPE, une semaine en garderie.. L’image de l’école n’en sera pas revalorisée pour autant, mais on achètera le silence des enseignants à coups d’heures supplémentaires « grassement rétribuées » ou de primes de mérite attribuées au gré du bon vouloir d’une hiérarchie soumise aux caprices du temps. Les problèmes de budget que cette « générosité » va créer seront réglés par l’élimination d’une bonne partie du personnel titulaire formé et l’appel à des « auxiliaires » jetables de plus en plus nombreux. D’ici quelques années le problème des remplacements sera « sous-traité » au privé, l’école maternelle sera reléguée dans les albums souvenirs et les effectifs corrects (3O, 35, 40 ?) permettront de réduire suffisamment le nombre de fonctionnaires pour les rétribuer un peu plus. Pas de problème de budget à prévoir donc.

Je crains par contre que pour faire tenir debout cet édifice de plus en plus boiteux qu’est devenue notre société, il ne faille sans cesse augmenter le nombre de contrôleurs, d’inspecteurs et de CRS. Les sondages le montrent : l’inégalité sociale croissante devient l’une des préoccupations majeures de la population tout autour du globe (lire à ce sujet cet excellent article sur le site « mondialisation.ca », je ne veux pas vous imposer encore des citations !). L’orage menacerait-il à nouveau ?

One Comment so far...

leirn Says:

2 juin 2008 at 21:03.

Ben voué. J’ajouterai rien de plus sinon que je suis d’accord, mais c’est bien aussi de le dire.
Il reste des bastions de la pédagogie institutionnelle, à la Foeven, par exemple.
http://communicationfoeven.free.fr/

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