16 juin 2008
Eurosatory (1) : vivement la prochaine
Posté par Paul dans la catégorie : Humeur du jour; Vive la Politique .
Liberté, Egalité, Fraternité… Si cette maxime républicaine écrite en lettres d’or au fronton de nos mairies n’est pas toujours mise en pratique dans la vie quotidienne du commun des mortels, il y a au moins une « zone de droit » où elle s’applique à la lettre chaque année, c’est à Eurosatory, au salon des équipements militaires. Liberté de vendre n’importe quoi, pourvu que cela serve à trucider autrui ou à le torturer avec amour ; Egalité devant les affaires, quel que soit le pays d’origine, petit ou grand, et la couleur de peau du sujet, blanc, noir, basané (bien que le blanc soit plutôt vendeur et le noir plutôt acheteur ou cobaye) ; Fraternité émouvante des marchands d’armes, des engalonnés de tous pays et des chroniqueurs de la presse, toujours admiratifs devant telle ou telle nouveauté affriolante.
Nous autres Français, avons bien sûr quelques angoisses sur le bon déroulement de cette rencontre festive. De cruelles restrictions budgétaires (déjà évoquées dans ces colonnes) pourraient ternir le plaisir qu’ont nos généraux à faire leurs emplettes. Mais, comme le dit si bien Bruno Rambaud (sic), président du Groupement des industries françaises de défense terrestre (GICAT), organisateur de « l’événement », « Eurosatory est un salon profondément international » et « cette attractivité est indépendante des événements politiques à relativement court terme ». Nous voilà donc rassurés… Si vos mauvaises performances au travail, bande de sales fonctionnaires civils et fainéants, ne permettent pas au Ministère de la Défense d’acheter les 700 VBCI prévus, l’important, c’est quand même de participer. Il faut être beaux joueurs et il y a d’autres clients potentiels pour soutenir le moral de nos vaillants entrepreneurs nationaux. Ne parle-t-on pas de vendre quelques « Rafales » à un pays voisin du Golfe ? Je m’aperçois – vous m’en excuserez j’espère – que j’ai omis de vous expliquer ce que c’était un VBCI et que – en ce faisant – j’ai trahi la mission culturelle de la feuille charbinoise (encore une trahison de plus à mon palmarès…). Eh bien, voyez-vous, espèce de sales anti-militaristes qui êtes en train de vous délecter de cette chronique au ton doucereux autant que douteux, un VBCI c’est un Vermicule Boudeur pour le Chargement des Infirmes… Voilà, vous saurez tout.
Eurosatory me ramène à des préoccupations plus terre à terre qui montrent bien l’ignoble personnage que je suis, sous son jour le plus abject. Un jour, dans le grenier d’une école, j’ai récupéré un « tableau pédagogique » d’assez grande dimension, présentant un « bilan chiffré de la guerre de 1914/1918 ». Ce que j’ai lu sur cette affiche scolaire m’a sidéré, non pas tant à cause des chiffres évoqués, que du ton sur lequel c’était rédigé, genre « livre des records ». A ce jour, je me demande encore quelle interprétation il faut donner à ce genre de tableau et qui a bien pu pondre ça un jour. La foire aux horreurs… La photo que je vous livre avec cette chronique n’est pas assez bonne pour que vous puissiez profiter véritablement de toutes les données que le panneau contient. Je vais donc vous faire une petite explication de texte en sélectionnant quelques éléments parmi les plus réjouissants. Vous me direz ensuite l’usage et l’effet que vous envisagez pour de telles informations, sachant que l’on s’adresse à des enfants d’école primaire.
Morceaux choisis…
- « la guerre à la minute » – Pendant la guerre, on comptait 4 tués à la minute… 6400 blessés par jour
- « l’infanterie massacrée » – L’infanterie, la reine des batailles, a été particulièrement éprouvée – 1 fantassin sur 4 a été tué – Les pertes ont été 3 fois plus fortes que celles de la cavalerie, 4 fois plus fortes que celles de l’artillerie… (j’abrège…) – Le général Percin a calculé que 75 000 français ont été tués par notre propre artillerie…
- « La guerre en progrès » – par exemple, la « guerre de sept ans » n’a fait que 550 000 morts, les campagnes de Napoléon, 1 700 000 (le record qu’il fallait battre) et celle de 1914-18, la vraie, dix millions de soldats tués…
- « la colonne tragique » – Si les cadavres des morts de la guerre étaient placés dans des cercueils, les uns sur les autres, sur l’emplacement de l’Arc de Triomphe, ils formeraient une colonne dont la hauteur équivaudrait à 110 fois l’arc de Triomphe, soit 600 m de plus que le Mont-Blanc.
- « La marche funèbre » – Si les morts de la guerre, alignés par rang de 4, pouvaient défiler – à la cadence d’un bataillon par 7 minutes et demi (vous noterez que le rédacteur est un connaisseur) – le cortège funèbre passerait pendant 81 jours et 81 nuit…
Et je pourrais en citer encore… Vous avez vu, c’est écrit en petit en plus ! Mais j’en garde un peu pour les longues veillées de l’hiver prochain. Pour ceux qui piaffent d’impatience, un dernier petit extrait :
« les plus grandes victimes de la guerre »
– amputés des quatre membres : 3
– amputés de trois membres : 12
– amputés de deux bras : 96, de deux jambes : 1289 (notez la précision…)
– amputés d’un bras et d’une jambe : 191
– aveugles amputés de trois membres : 3… et j’arrête là…
On reconnaît en tout cas très bien l’amour des militaires pour les chiffres et pour la précision. On pourrait regretter, aurait sans doute remarqué Boris Vian, qu’il n’y ait pas de distinction, au niveau des amputés d’un bras et d’une jambe, entre les deux membres gauches, les deux membres droits et les hybrides…
Dix millions de morts militaires, quand même, le record reste difficile à battre pour les organisateurs de la prochaine croisade der des ders. D’autant que maintenant le militaire est devenu une denrée coûteuse et respectée, et que l’on préfère nettement le gibier civil, bien qu’il ait moins de valeur. A ma connaissance, aucune échelle de conversion n’existe encore, ou tout au moins, si elle existe, ce qui est probable, elle n’est pas communiquée au bon public.
Là-dessus, je vous laisse… Je vais faire mon shopping et on reparlera sous peu (peut-être demain) des nouveautés fascinantes que j’aurai découvertes à Eurosatoridisné.